Le Conseil supérieur de la prud’hommie se penche sur le projet de décret d’application de la loi Macron

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat CFDT.

 

Le Conseil supérieur de la prud’homie qui s’est réuni le 15 octobre dernier n’avait à son ordre du jour qu’un seul point, mais pas n’importe lequel ! Il s’agissait, en effet, de se pencher sur un projet de décret du ministère de la Justice qui, en application de la loi Macron, sera prochainement amené à réformer en profondeur la procédure prud’homale. Il est à noter que cette séance du CSP s’inscrit dans la continuité d’un groupe de travail ad hoc (associant les membres de ce même conseil) qui s’était déjà réuni sur le sujet, à la Chancellerie, le 2 octobre dernier. 

 

La Chancellerie a ouvert la séance en présentant les grandes lignes du projet de décret ainsi que les motivations qui l’ont conduit à l’élaborer tel qu’il est. Ainsi, a-t-elle rappelé que l’objectif était, en tout premier lieu, de réduire les délais de procédure. Pour ce faire, il a notamment été décidé de rapprocher la procédure prud’homale des règles de la procédure civile. Car, à en croire la Chancellerie, nombre d’entre elles ont déjà fait leur preuve en termes de raccourcissement des délais de procédure. 

S’agissant de la procédure prud’homale, la Chancellerie l’a présenté comme conservée dans ses spécificités mais aussi rationalisée. Ainsi, par exemple, de son caractère oral qui perdure mais qui se trouve aussi beaucoup plus formalisé qu’elle ne l’est aujourd’hui. 

Le débat s’est ensuite ouvert, article par article, avec les membres du conseil. Nous ferons ici le point sur les principales thématiques qui ont pu être abordées. Étant entendu que, sur certaines d’entre elles, des évolutions pourraient encore très bien se faire jour suite à la séance d’aujourd’hui. 

La Chancellerie a, enfin, mis en avant la méthode de concertation qui préside à l’élaboration de ce futur décret. Elle a, en ce sens, rappelé que ce conseil supérieur de la prud’homie avait été précédé d’un groupe de travail ad hoc qui avait, lui-même, associé l’ensemble des organisations syndicales siégeant à ce même conseil. 

 

  • Sur l’entrée en vigueur à venir de ce projet de décret

Ce projet de décret porte pour ambition de réformer de fond en comble la procédure prud’homale. Pourtant, à la notable exception des règles attenantes au statut de défenseur syndical, il prévoit, pour l’heure, une entrée en vigueur immédiate, dès le lendemain de sa publication au journal officiel

Aussi, au vu de la difficulté qu’il y aura à s’approprier les règles nouvelles, les organisations syndicales de salariés ont toutes sollicité un différé d’application. Ce, afin que les conseillers prud’hommes aient bien le temps de s’approprier les nouvelles règles. 

Le président du conseil supérieur de la prud’homie a soutenu cette demande et la Chancellerie a donné son accord de principe à un différé d’application, sans toutefois qu’une date certaine ne soit encore arrêtée. Cette avancée, obtenue (certes) seulement dans son principe, est particulièrement importante car elle permettra aux conseillers (et donc à l’institution judiciaire) de réellement s’approprier le nouveau cadre procédural. Ce qui sera de nature à limiter les cafouillages et des tâtonnements. 

  • Sur les incidents liés à la contestation de la compétence d’une section

La CFDT s’est félicitée de constater que, désormais, ce type d’incompétence ne peut être soulevé que devant le bureau de conciliation et d’orientation (BCO) et « avant toute défense au fond », alors qu’aujourd’hui elle peut l’être « quel que soit le stade de la procédure ». Une telle évolution du texte induira un recul des pratiques dilatoires, ce qui est à l’évidence une très bonne chose. Mais nous avons cependant demandé que ce dispositif soit encore amélioré. Ce, en ne rendant possible l’évocation de l’incompétence de section que lors du premier passage du dossier devant le BCO (et non après un ou plusieurs renvois). Mais, visiblement, la Chancellerie n’a pas entendu donner suite à cette revendication. 

  • Sur les compositions possibles du bureau de jugement

Jusqu’à la loi Macron, le bureau de jugement était, hors cas de départage, à tout coup composé de quatre conseillers (deux salariés et deux employeurs). Depuis la loi Macron, le bureau de jugement est susceptible de connaître de nouvelles formes de composition : 

– formation restreinte (deux conseillers, un salarié et un employeur) 

– formation échevinée (deux conseillers salariés, deux conseillers employeur et un juge professionnel). 

Nous avions contesté, lors des débats qui ont accompagné l’élaboration de la loi Macron, de telles évolutions mais nous n’en sommes plus là aujourd’hui. La loi étant aujourd’hui passée, nous nous battons désormais pour que soit gravé, dans le marbre des textes réglementaires, le caractère exceptionnel et dérogatoire de ces nouvelles compositions. 

Aussi sommes-nous intervenus, au même titre que le syndicat CFDT Interco justice, pour demander que le texte fasse apparaître que la composition de droit commun était bien celle à quatre conseillers (deux employeurs et deux salariés). Et force est de constater que, suite à nos diverses interventions, nous avons fini par avoir gain de cause. L’article R. 1423-35 du Code du travail en cours de réécriture précise désormais expressément que « dans sa formation de droit commun », le bureau de jugement est composé de « deux employeurs et deux salariés »

Sur ce sujet, nous sommes également intervenus pour regretter le fait que ce même article R. 1423-35 manque de lisibilité du fait des trop nombreux renvois de textes à textes qu’il contient. 

  • Sur les activités prud’homales indemnisables

Nous avons vivement regretté que, sur cet aspect des choses, le projet de décret se contente, pour l’heure, de mettre à jour, sur un plan purement formel, l’article R. 1423-55 du Code du travail qui fait, comme nous le savons, l’inventaire à la Prévert des activités prud’homales indemnisables. 

Dans le système procédural à venir, les dossiers seront, en effet, a minima constitués dès le stade de la conciliation. Or, à l’heure actuelle, seul l’un des conseillers siégeant au BCO a le droit de préparer les dossiers. Et ce, qui plus est, sur un espace-temps très réduit ne variant même pas en fonction du nombre de dossiers enrôlés. Le système d’indemnisation (et notamment l’article D. 1423-35 du Code du travail) doit donc nécessairement évoluer afin de répondre aux nouveaux canons procéduraux. 

La Chancellerie a pu affirmer qu’elle nous entendait. Ce qui ne l’a pourtant pas empêché de botter en touche en précisant qu’il fallait dans un premier temps observer la pratique avant de pouvoir déterminer quelles devraient être les nouvelles règles d’indemnisation (?!). Nous avons vivement critiqué une approche aussi attentiste des choses et avons, semble-t-il, été entendus du président du conseil supérieur de la prud’homie puisque ce dernier a clairement invité la Chancellerie à envisager des solutions dès maintenant. Nous avons donc quelque espoir de voir assez rapidement les choses évoluer. 

  • Sur la suppression du principe d’unicité d’instance

Le patronat y était farouchement opposé (car craignant le développement de pratiques de « harcèlement judiciaire » de la part de certains salariés) et la grande majorité des organisations syndicales y étaient favorables. Pour nous, cette suppression doit être vue comme un réel progrès et comme la fin d’une spécificité prud’homale désuète qui était, qui plus est, potentiellement dangereuse pour le justiciable salarié. Reste cependant à savoir comment, dans ce cadre procédural nouveau, seront traitées les « demandes additionnelles » et les « demandes reconventionnelles »

  • Sur la saisine rénovée du conseil de prud’hommes

Nous avons rappelé que, sur le principe, nous approuvions le fait que les dossiers puissent être a minima constitués dès l’étape de la conciliation. En effet, la conciliation ne peut, à notre sens, se faire que sur la base d’une situation clairement définie. Par contre, nous avons aussi réaffirmé notre inquiétude de voir la saisine simplifiée disparaître. Car, pour nous, une telle évolution serait, à n’en pas douter, susceptible de poser un vrai problème d’accès à la justice pour les publics les plus fragilisés. 

Aussi avons-nous eu l’occasion de rappeler qu’en la matière, nous n’avons pas manqué d’être force de proposition puisque, depuis les auditions Lacabarats, nous n’avons eu de cesse de solliciter l’avènement d’un système qui ferait cohabiter « saisine simplifiée » et « dossier constitué devant le BCO ». Une telle évolution était possible ! Pour ce faire, il aurait suffi que l’obligation, pour le demandeur, de constituer son dossier soit un tout petit peu décalée dans le temps. Les trois étapes suivantes se seraient ainsi succédé : saisine simplifiée, transmission par le demandeur des principales pièces (et réplique éventuelle du défendeur) puis, enfin, tenue du BCO. 

Mais telle n’a pas été l’option retenue par la Chancellerie. 

Celle-ci a finalement souhaité faire en sorte que le dossier du demandeur soit a minima constitué dès la saisine. Ce qui a de facto pour conséquence de mettre un terme à la saisine simplifiée. Via une réécriture de l’article R. 1452-2 du Code du travail, le projet de décret prévoit, en effet, que lors de cette fameuse saisine, le demandeur devra désormais, par le biais d’une « requête » produire ses pièces, les récapituler sur un « bordereau » et procéder à un « exposé sommaire de ses demandes »

Exigences nouvelles qui auront, notamment, pour conséquences : 

– D’intégrer le temps de préparation des dossiers dans les délais de prescription… et donc de réduire ces derniers alors qu’ils sont, comme nous le savons tous, de plus en plus courts ; 

– De conduire les salariés les plus fragiles et les salariés non assistés (au moment de la saisine) à renoncer à toute velléité d’action. 

Sur cet aspect des choses, il est à noter que le président du conseil supérieur de la prud’homie a proposé d’alléger ces nouvelles formalités pesant sur le demandeur. Ce, en « restreignant les contraintes » touchant à l’exposé sommaire des demandes et en « reconsidérant le bordereau des pièces ». Aussi sommes-nous en droit d’espérer, sur cet aspect des choses, de nouvelles avancées. 

BON A SAVOIR : À la suite du groupe de travail du 2 octobre dernier, nous avions déjà obtenu de la Chancellerie une toute première inflexion. Jusqu’alors, le projet de décret prévoyait que ces formalités devaient être accomplies « à peine de nullité ». Suite aux protestations émises par l’ensemble des organisations syndicales du fait du danger que représentait, pour le justiciable salarié, une sanction de cette nature, la Chancellerie a fini par la faire disparaître du texte. 

Ainsi sommes-nous en droit de penser que, dorénavant, de telles formalités de saisine seraient susceptibles d’être (ou non) accomplies sans risque de sanction. Même si, pour être tout à fait honnête, un doute subsiste encore. Afin de réécrire cet article du Code du travail, le gouvernement s’est, en effet, inspiré articles 56 et 58 du Code de procédure civile qui décrivent le fonctionnement, en droit commun, de l’assignation et de la requête. Or, l’article 58 du Code de procédure civile décrit ce qu’une requête doit contenir « à peine de nullité ». Aussi avons-nous demandé à la Chancellerie d’avoir la garantie que, par le biais de cet article, la sanction de nullité ne puisse pas redevenir réalité. Mais, pour l’heure, aucune réponse claire ne nous a été donnée. 

Quoi qu’il en soit, nous avons tout de même la faiblesse de penser que cette suppression du terme « à peine de nullité » dans le corps de l’article R. 1452-2 du Code du travail constitue une avancée décisive puisque le Medef s’en est ouvertement offusqué ! 

S’agissant de ces articles 56 et 58 du Code de procédure civile, il est également à noter que, le premier traite de l’assignation et que le second traite de la requête. Or, à bien y regarder, il apparaît que la requête est bien moins exigence que l’assignation. Pourtant, larequêtefigurant à l’article R. 1452-2 du Code du travail réécrit par le projet de décret s’inspire davantage, en droit commun, de l’assignation que de la requête. Nous avons souligné cette incohérence en séance mais, pour l’heure, nous n’avons, sur ce point, obtenu aucune réponse de la Chancellerie. 

  • Sur l’assistance et la représentation des parties

Nous sommes, ici, intervenus pour regretter que, via la réécriture de l’article R. 1453-1 du Code du travail, il soit mis finau concept, au combien utile, de comparution personnelle. En effet, le fait que les parties puissent désormais recourir à leur gré (en dehors de tout motif légitime d’absence) à la représentation va clairement contribuer à plomber une conciliation qui n’est déjà pas au top.  

Nous nous sommes, par contre, réjoui du fait que le défenseur syndical ne soit pas soumis à l’obligation de produire des conclusions récapitulatives (en première instance toute du moins). Ce d’autant plus que cela avait été, dans les premières moutures du projet de décret, envisagé. 

  • Sur la mise en état des dossiers

À l’exception du Medef, l’ensemble des organisations syndicales et professionnelles siégeant au CSP ont salué l’avènement d’une procédure de mise en état davantage formalisée. Nous nous sommes, quant à nous, également inquiétés du fait que le projet de décret n’accorde aucun temps spécifique aux fins de réalisations des différents actes inhérents à la mise en état (auditions…). Nous nous sommes également interrogés sur le fait que, dans le projet de décret, BCO et conseillers rapporteurs soient dotés des mêmes prérogatives. La seule différence entre les deux étant finalement que seul le conseiller rapporteur dispose de temps pour mener à bien sa mission… 

Une telle interrogation a permis de remettre sur la table la question des moyens. S’il doit y avoir des séances de mise en état, comment parviendra-t-on à leur faire de la place lorsque l’on sait que les rôles sont d’ores et déjà surchargés ? Cette question est d’autant plus prégnante que la présence du greffe y sera indispensable. 

La Chancellerie a pu rétorquer à tout cela qu’il y a aujourd’hui de la mise en état non formalisée qui existe au niveau des bureaux de jugement (ce qui génère des renvois) et que cette mise en état non formalisée va tout simplement migrer vers le BCO. 

  • Sur la conciliation et l’orientation

Nous nous sommes inquiétés du fait que, via l’article R. 1454-7 du Code du travail réécrit par le projet de décret, un règlement intérieur puisse non seulement spécialiser des conseillers prud’hommes à la conciliation, mais aussi, carrément les cantonner à cette fonction. 

La Chancellerie nous a rassurés en affirmant que seule la spécialisation était visée et non une quelconque (possible) affectation exclusive de certains conseillers prud’hommes à la conciliation. Aussi sommes-nous en droit d’attendre une clarification du texte ou, à tout le moins, l’expression de la manière dont il faut interpréter le décret via la circulaire à venir (après publication de décret). 

S’agissant de la décision valant attestation d’assurance chômage que le BCO serait en droit de délivrer, la Chancellerie a pu préciser que cette disposition était encore, à l’heure qu’il est, à l’expertise. 

  • Sur la procédure d’appel

Interpellée sur l’obligation qui pourrait être faite aux défenseurs syndicaux de produire des écritures récapitulatives au même titre que les avocats, la Chancellerie a répondu qu’il devrait effectivement en aller ainsi. Représentation obligatoire oblige. Ainsi, une bien curieuse dichotomie se trouve-t-elle mise en lumière. Au niveau des prud’hommes, les défenseurs syndicaux ne seront astreints à aucun formalisme particulier alors qu’au niveau de l’appel il sera attendu d’eux un bien plus grand « professionnalisme »

Mais, sur ce point, nous avons aussi obtenu de la Chancellerie une information beaucoup plus intéressante (et rassurante), à savoir que le passage à une représentation obligatoire en appel ne contraindra nullement les justiciables appelant à s’acquitter du droit de 225 € visé à l’article 1635 bis P du Code général des impôts. Des inquiétudes s’étaient faites jours à ce propos. Il y a donc clairement lieu de rassurer définitivement tout le monde sur ce point. 

  • Sur les modes alternatifs de résolution des litiges

Il est à noter sur ce point que nous sommes battus contre de telles perspectives lors des débats qui ont entourés la loi Macron mais que, là encore, nous n’en sommes désormais plus là. Sur le plan réglementaire, nous nous battons désormais contre les déclinaisons les plus inacceptables et les plus incompréhensibles de la loi. Ainsi avions-nous déjà obtenu, dès la séance de travail du 2 octobre 2015, que le possible renvoi de dossiers du BCO vers le conciliateur de justice (!) disparaisse de l’article R. 1471-2 du Code du travail en cours de réécriture. Ainsi nous sommes-nous interrogés, lors de la séance du 15 octobre 2015, sur le fait de savoir qui supporterait le coût de la médiation, lorsque, en application de ce même article R. 1471-2, le BCO aurait « enjoint » aux parties d’y recourir. 

Au terme de ce Conseil supérieur de la prud’homie, nous sommes donc en droit d’espérer de nouvelles inflexions du texte allant dans le sens d’une garantie davantage affirmé, pour les justiciables salariés, d’une justice prud’homale de qualité. Après réalisation de ce travail de concertation, la balle est désormais dans le camp de la Chancellerie. 

Affaire à suivre donc, notamment à l’occasion de nos rassemblements régionaux qui, désormais, approchent à grand pas. 

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