Cet article a été, initialement, publié sur le site du syndicat CFDT.
Le Conseil d’Etat a récemment apporté une précision de taille concernant le licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé. Il a jugé que lorsque l’inaptitude du salarié est susceptible de justifier son licenciement, mais qu’elle est directement liée à des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de son mandat représentatif, l’administration ne peut autoriser son licenciement. CE, 21.09.16, n°396887.
- Faits et procédure
Dans cette affaire, une inspectrice du travail a accordé à une entreprise l’autorisation de licencier un salarié protégé pour inaptitude. Le salarié a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de la décision autorisant son licenciement.
Avant de statuer sur le fond de l’affaire, le Tribunal administratif a décidé de transmettre, pour avis, le dossier au Conseil d’Etat (1).
La question posée est la suivante : « L’inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude physique d’un salarié protégé, doit-il refuser le licenciement comme étant en rapport avec les fonctions représentatives, alors même que l’inaptitude du salarié résulte d’une dégradation de son état de santé en lien direct avec les difficultés mises par son employeur à l’exercice de ces fonctions » ?
- Rappel du périmètre du contrôle de l’inspecteur du travail
Les salariés titulaires d’un mandat de représentation du personnel (notamment) bénéficient d’une protection contre le licenciement (2). Ainsi, avant de pouvoir licencier un tel salarié, l’employeur doit-il obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail, qui vérifiera que le licenciement envisagé n’est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé(e) ni avec son appartenance syndicale. Le Conseil d’Etat a rappelé que la protection exceptionnelle dont bénéficient ces salariés est dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l’inaptitude du salarié protégé, il appartient à l’administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu’elle justifie le licenciement envisagé. Pour cela, doivent être pris en compte les éléments suivants :
– les caractéristiques de l’emploi exercé à la date à laquelle l’inaptitude est constatée, – l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé(e), – les exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il ou elle est investi(e), – la possibilité d’assurer son reclassement dans l’entreprise.
Il ajoute qu’en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, il n’appartient pas à l’administration de rechercher la cause de cette inaptitude.
Jusqu’ici, la position des hauts magistrats est en tout point conforme à la jurisprudence commune du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, selon laquelle il existe une stricte séparation des pouvoirs entre les juridictions administratives et judiciaires. Ainsi, dans l’examen de la demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, l’inspecteur du travail (le cas échéant, le ministre du travail, sous le contrôle du juge) n’a-t-il pas à contrôler la cause de l’inaptitude. Il appartient au juge judiciaire (plus spécifiquement au conseil de prud’hommes) d’en apprécier la cause (3).
Toutefois, les hauts magistrats vont répondre à la question du tribunal par l’affirmative en faisant une précision quant à l’origine de l’inaptitude en en rapport avec l’exercice des fonctions représentatives.
- Le cas de l’inaptitude causée par l’entrave aux fonctions représentatives du salarié
Avant d’effectuer leur précision, les juges rappellent d’abord qu’en toutes circonstances, l’autorité administrative doit « faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale ». Et cette solution s’applique même lorsque le salarié est atteint d’une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, dès lors que le licenciement envisagé est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé ou avec son appartenance syndicale.
Ainsi, le Conseil d’Etat peut-il en déduire que « le fait que l’inaptitude du salarié résulte d’une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l’existence d’un tel rapport » et que ce rapport fait obstacle à ce que l’administration accorde l’autorisation sollicitée.
Autrement dit, si l’entrave de l’employeur à l’exercice de son mandat est en lien direct avec la dégradation de l’état de santé du salarié protégé à l’origine de son inaptitude, alors le licenciement consécutif à cette inaptitude est bien en rapport avec le mandat du salarié et doit être refusé par l’inspecteur du travail.
Cette décision fait preuve de logique et nous ne pouvons que nous en réjouir.