C’était au temps où François Hollande n’avait pas mesuré la différence entre la présidence d’un grand pays industrialisé et le premier secrétariat du parti socialiste. Atteint d’une forte surdité aux problèmes réels, il avait promis à la CFDT, en contrepartie du soutien de celle-ci à une réformette des retraites ourdie par Marisol Touraine, la mise en place d’un compté pénibilité. La France devenait ainsi le seul pays avancé à mettre en place une comptabilité individuelle de la pénibilité professionnelle. Une usine à gaz se mettait en place au nom de la justice sociale, formalisée par la loi de janvier 2014, dont personne n’interrogeait plus la légitimité ni le bon sens.
L’absurde choix de la pénibilité
Que la loi ouvre la voie à une pénibilité accrue par un système de transfert du risque vers la sécurité sociale et par une mutualisation des coûts n’intéressait manifestement aucun partisan de la solidarité et de la justice sociale. Que nos partenaires européens aient choisi des politiques de prévention pour éviter l’écueil d’une comptabilité absurde, chronophage et dangereuse pour l’intérêt des salariés n’a pas plus dissuadé la technostructure publique qui prenait les décisions sous Jean-Marc Ayrault: il fallait à tout prix faire oeuvre utile en offrant un cadeau inepte au syndicat le plus proche du pouvoir, accessoirement dirigé par un secrétaire général qui n’a jamais travaillé dans une entreprise.
Une fois le sparadrap collé, le casse-tête a prix des proportions cataclysmiques. D’un côté, persévérer dans l’erreur était impossible: aucun employeur ne peut raisonnablement tenir la comptabilité que la loi s’apprêtait à lui demander, sauf à mettre la clé sous la porte faute de temps à consacrer pour faire ses ventes et diriger effectivement son entreprise. D’un autre côté, renoncer au compte pénibilité revenait à se fâcher avec des organisations syndicales, CFDT en tête, qui annoncent qu’un report de la mesure à 2017 serait de toute façon un casus belli.
Le moins pire choix de Valls
L’arbitrage de Manuel Valls annoncé hier et mis en oeuvre à travers une logique d’amendements à la loi Rebsamen est donc, au fond, la moins pire des solutions pour sortir d’un piège où l’incompétence présidentielle a plongé l’exécutif. Pour y parvenir, il s’est appuyé sur le rapport Sirugue-Virville remis dans la journée.
Finalement, le suivi individuel serait abandonné au sens propre et le gouvernement se rallierait au choix moins chronophage mais structurellement dangereux du référentiel de branche. La pénibilité de chaque métier de la branche serait donc comptabilisée et le salarié recevrait un décompte annuel de la CNAV lié à l’occupation du poste. Ces arrangements sont beaux sur le papier, mais la mise en pratique (qui épargne relativement les chefs d’entreprise) risque de relever de belles surprises. La CNAV devra en effet mesuré le temps passé sur chaque poste. En cas de polyvalence, de changements en cours d’année, de mouvements divers et variés, tout cela promet une belle pagaille.
Le nouveau système repose donc sur la célérité des branches et sur leur capacité à négocier au prochain semestre un référentiel applicable au 1er janvier 2016. C’est évidemment irréaliste, et les partenaires sociaux peuvent d’ores et déjà s’apprêter à des retards et à des “trous” dans la raquette.
Le burn-out prend le relais
Un prêté pour un rendu! Dans la foulée de la reculade gouvernementale sur la pénibilité, Benoît Hamon annonçait son intention d’amender le texte en reconnaissant le “burn-out” comme maladie professionnelle. L’événement n’est pas anodin. Si la reconnaissance de la pénibilité concerne surtout l’industrie, la reconnaissance du burn-out concerne surtout le secteur des services, notamment les agences bancaires.
Ce que les industriels auront gagné d’une main, les financiers l’auront perdu de l’autre. Il faudra totuefois suivre le destin de cet amendement pour en mesurer la portée.
Pour le reste, la première séance publique sur la loi Rebsamen a permis de récapituler les positions de chacun sur le sujet sans réserver de réelle surprise.