Cette publication a été initialement diffusée sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Le rôle du juge du fond, qu’il soit conseiller prud’homme ou magistrat en cour d’appel, est particulièrement important lorsqu’il s’agit d’apprécier le motif de licenciement. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation en censurant une cour d’appel qui, considérant qu’un salarié n’avait pas commis de faute lourde, s’est dispensé de rechercher si les faits reprochés ne pouvaient pas être qualifiés de faute grave ou de faute simple. Cass.soc., 16.09.20, n°18-25943
· Rappel des faits
Dans cette affaire, une salariée, travaillant en qualité de coordinatrice pour une association de commerçants, s’est vue notifier la plus grave des sanctions : un licenciement pour faute lourde. L’employeur lui reproche de ne pas avoir présenté à l’encaissement, à la date prévue, les quelque 135 chèques correspondant aux droits d’emplacement d’une braderie organisée par l’association. Selon lui, cela aurait à la fois entraîné un retard de trésorerie mais aussi causé un préjudice d’image auprès des émetteurs de chèques.
Privée de son emploi et de ses indemnités de rupture, la salariée décide de contester le bien-fondé de son licenciement devant le conseil de prud’hommes.
Un licenciement pour faute lourde peut être prononcé lorsque le salarié, en commettant les faits qui lui sont reprochés, a l’intention de nuire à l’employeur.
Considérant que l’intention de nuire faisait défaut, la cour d’appel a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur est par conséquent condamné au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur décide alors de se pourvoir en cassation et invoque deux principaux arguments.
- Selon lui, la cour d’appel aurait violé le Code du travail en écartant la cause réelle et sérieuse ainsi que la faute grave au seul motif que l’intention de nuire n’était pas établie.
- Par ailleurs, la cour d’appel, qui a relevé que les faits reprochés à la salariée pouvaient constituer des fautes, aurait dû rechercher s’ils caractérisaient une faute qui aurait pu justifier un licenciement pour faute grave, ou à défaut pour cause réelle et sérieuse.
· Le rôle du juge en matière de qualification des faits invoqués par l’employeur en cas de licenciement disciplinaire
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a donc dû répondre à la question de savoir si en l’absence de faute lourde, le licenciement est automatiquement sans cause réelle et sérieuse.
Pour commencer, elle rappelle à juste titre qu’en cas de licenciement disciplinaire, c’est bien la lettre de licenciement qui « fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture ». Mais elle précise en parallèle que le juge a pour mission de qualifier les faits invoqués.
Or, la Cour de cassation relève que la cour d’appel, pour dire que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a retenu que si les faits reprochés à la salariée pouvaient constituer des fautes, l’existence d’une intention de nuire n’était pas demontrée.
Elle en déduit que la cour d’appel ne pouvait pas prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement sans avoir préalablement recherché « si les faits ainsi reprochés à la salariée n’étaient pas constitutifs d’une faute grave ou d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement ».
Cet arrêt de la Cour de cassation n’a rien d’original en soit ! La jurisprudence est fixée depuis bien longtemps[1], il s’inscrit simplement dans sa droite ligne.
Néanmoins, il vient rappeler le rôle du juge en matière d’appréciation de la qualification des faits.
Si le juge a la possibilité d’atténuer le degré de gravité retenu par l’employeur, il ne peut en revanche l’aggraver. De même, si l’employeur s’est placé sur le terrain disciplinaire, le juge ne peut aller sur un autre terrain. Par exemple, s’il constate que le licenciement pour faute est en réalité un licenciement économique, le juge doit considérer que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ne peut décider que celui-ci repose sur une cause économique.[1] Voir par exemple Cass.soc., 9 avr. 1987, n° 84-40461