La validité de la rupture conventionnelle soumise au consentement libre et éclairé des parties

Cet article a initialement été publié sur le site de la CFDT. 

L’existence d’un différend entre les parties, au moment de la conclusion d’une rupture conventionnelle, n’affecte pas la validité même de la convention, à condition que le consentement du salarié soit libre et éclairé. Après avoir rappelé le principe, les juges du fond ont estimé que le consentement du salarié qui signe une rupture, alors qu’il est sous l’emprise de difficultés financières et menacé de licenciement par son employeur, est vicié. Cour d’appel de Versailles, 16.12.14, n°14-00880 

 

  • L’affaire

 

Embauché en tant qu’ouvrier dans une société de bâtiment, le salarié se voit offrir, en mars 2011, un poste de commercial. Insatisfait de ses résultats, son employeur lui propose, le 13 septembre 2011, une rupture conventionnelle avec versement de 2 mois de préavis, ainsi qu’une indemnité de licenciement et lui demande de quitter l’entreprise en attendant de recevoir les documents de rupture conventionnelle. À partir de là, le salarié n’est plus rémunéré. 

Ne voyant rien venir, ce dernier se présente à son employeur qui lui soumet alors un projet de rupture conventionnelle dont les indemnités mentionnées ne correspondent pas à ce qui avait été promis à l’origine. Le salarié a en outre, des réclamations relatives à des commissions, des heures supplémentaires et des frais kilométriques. Il refuse donc de signer et quitte l’entreprise. 

Il reçoit alors simultanément deux courriers de la société : l’un par lequel, le considérant en absence injustifiée depuis le 14 septembre, elle le met en demeure de reprendre son poste, faute de quoi elle envisage un licenciement pour faute grave. Le second le convoquant à un entretien en vue d’une rupture conventionnelle. Sans revenu depuis le 14 septembre, c’est donc en grande difficulté financière, que le salarié, assisté d’un conseiller du salarié, a signé une rupture conventionnelle à des conditions insatisfaisantes. 

Estimant son consentement vicié tant par ses difficultés économiques que par les menaces de licenciement proférées par son employeur, le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour demander la nullité de la rupture qu’il a ainsi été contraint de signer. Débouté par les juges du fond, le salarié fait appel. 

La Cour d’appel de Versailles donne raison au salarié : elle estime que sous l’emprise de difficultés économiques et par l’effet de diverses pressions tenant à l’intention de l’employeur de le licencier, le salarié s’était « trouvé contraint moralement à régulariser un document de rupture conventionnelle ne satisfaisant nullement sa revendication ». Aussi, la Cour requalifie la rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

La rupture conventionnelle permet à un employeur et à un salarié de mettre un terme d’un commun accord au CDI qui les lie. L’essence même de cette rupture réside dans le consentement mutuel des parties. Sa validité en dépend, puisqu’à défaut de consentement libre et éclairé, la rupture est susceptible d’être annulée et de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

 

  • Une rupture conventionnelle peut être signée dans un contexte conflictuel…

 

Pendant un temps, on s’est demandé si on pouvait conclure une rupture conventionnelle alors qu’il existait un litige entre les parties. La Cour de cassation a mis fin à la controverse dans un arrêt du 23 mai 2013 (1), jugeant que dès lors que le consentement d’une ou des parties n’a pas été vicié, une rupture conventionnelle peut être signée même en présence d’un litige ou d’un différend. En effet, on peut être en désaccord sur un élément lié à l’exécution du contrat de travail, tout en étant d’accord sur le principe même d’une rupture. 

En l’espèce, la situation conflictuelle a bien été caractérisée par les juges du fond, mais ce n’est pas elle qui a été considérée comme viciant le consentement du salarié. 

 

  • …à condition que le consentement des parties soit libre et éclairé

 

Si l’existence d’un différend entre les parties n’empêche pas la rupture conventionnelle du contrat, c’est à la condition que le consentement de l’une ou l’autre des parties n’ait pas été vicié, autrement dit que la rupture n’ait pas été imposée par l’une d’elles (par des pressions ou des menaces) (2). 

Pour les juges d’appel, l’envoi de deux courriers simultanés, l’un évoquant un licenciement pour faute, et l’autre proposant une rupture conventionnelle, avait créé une « confusion sur la mise en œuvre » des droits du salarié. Mettre en avant son incompétence professionnelle et jeter le doute sur son avenir au sein de la société en le menaçant de licenciement constituait, pour les juges un moyen d’exercer une contrainte morale sur le salarié. 

Menace amplifiée par le fait que le salarié était, au moment de la signature, sous l’emprise de difficultés économiques dues à l’absence de revenus depuis quelques mois

Pour les juges du second degré, les pressions morales ajoutées à la situation financière du salarié ont inévitablement vicié son consentement. Et ce, quand bien même le salarié aurait été assisté par un conseiller du salarié lors de l’entretien, et qu’il ne se serait pas rétracté au cours du délai qui lui était imparti. 

Certes, on peut conclure une rupture conventionnelle dans une situation conflictuelle, mais il est parfois difficile de savoir dans quelle mesure cette situation a pu créer des pressions sur le salarié. C’est pourquoi, outre les règles procédurales dans la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle (assistance du salarié, délai de rétractation…), le contrôle de l’administration et du juge devra inévitablement porter aussi sur les conditions dans lesquelles est intervenue la rupture. 

 


(1) Cass. Soc., 23 mai 2013, n°12-13.865  

(2) Cass. Soc., 30 janvier 2013, n°11-22.332 : une convention de rupture conclue alors que le salarié était, au moment de la signature de l’acte, dans une situation de violence psychologique en raison d’un harcèlement moral est nulle. 

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