La SNCF et le savoureux paradoxe de la branche du rail

L’empoisonnante grève à la SNCF est largement analysée comme une manoeuvre toxique de la CGT. Ce point de vue n’est probablement pas dénué de fondement, mais il fait l’étrange économie de la responsabilité patronale dans ce dossier. 

La mystérieuse branche du rail

Le fait n’a pas été suffisamment expliqué au public, mais la raison première de la grève du rail est indissociable de l’organisation qui se met en place dans le secteur ferroviaire. Dans la perspective de l’ouverture (enfin!) du rail à la concurrence, à l’horizon 2020, la France a constitué une branche du rail en bonne et due forme. Celle-ci devait négocier une convention collective, avant que les entreprises du secteur (et singulièrement la SNCF, qui capitalise 148.000 salariés sur les 160.000 de la branche) ne se dote d’accords spécifiques. 

On ne le dit pas assez, mais la constitution de la branche du rail (en remplacement du rôle social historique du ministère des Transports) est au coeur des problématiques qui expliquent les grèves aujourd’hui. Et sur ce point, la responsabilité patronale est écrasante, tant la méthode choisie pour négocier la convention collective était porteuse des conflits auxquels nous assistons aujourd’hui. 

Une fédération patronale postiche

Pour négocier une convention collective nationale, il faut des patrons! Dans le cas du rail, le “patronat” ferroviaire, essentiellement constitué de fonctionnaires repentis, a fait le choix de se greffer sur l’Union des Transports Publics (l’UTP) devenue pour la cause, en 2006, l’Union des Transports Publics et Ferroviaires. 

En réalité, la branche “ferroviaire” de l’UTP se rassemble autour de 11 entreprises, dont les plus importantes sont la SNCF, Eurostar (filiale de la SNCF), Keolis (filiale de la SNCF) et Transdev (filiale de la Caisse des Dépôts). Autrement dit, la branche du rail est d’abord le terrain de jeux de fonctionnaires qui adorent donner des leçons de responsabilité sociale aux employeurs privés et qui, cette fois, se retrouvent à la manoeuvre. 

Et la démonstration qui est faite est très impressionnante! 

9 ans pour négocier une convention collective

Premier élément très impressionnant: il a fallu pas moins de dix ans pour négocier la convention collective du rail! 

Le premier accord de principe sur la convention collective du rail date du 6 juin 2007. Il fixait alors le périmètre de la branche. Le même jour, la branche signait un accord de méthodologie sur la négociation de l’accord. 

C’est le 26 mai 2016 que la branche a décidé de clore les négociations sur cette convention collective, ouvert à la signature début juin. Bref, 9 années pleines ont été nécessaires, depuis la signature de l’accord de méthode, pour négocier la convention. 

Des concessions maladroites

Entretemps, la branche n’est pas restée inactive. Elle en a profité pour négocier des accords qui paraissent autant de balles dans les pieds patronaux. 

Dès 2008, un accord sur le temps de travail dans le fret ferroviaire intervient pour régler les problèmes soulevés par l’ouverture du secteur à la concurrence. L’accord pose la règle des 35 heures hebdomadaires et des 1607 heures annuelles. Il prévoit également 104 jours de repos périodiques contre 52 prévus par le code du travail. 

Surtout, l’accord de branche prévoit qu’un accord d’entreprise ne peut lui être plus défavorable. 

Dans la foulée, la branche négocie un accord sur le contrat de travail et les classifications, puis un accord sur la formation professionnelle. Ces accords applicables au fret ont évidemment constitué un “crantage” pour l’ensemble de la branche, qui agit aujourd’hui comme un ver dans le fruit. 

Sur ce point, le patronat ferroviaire ne pouvait ignorer qu’en saucissonnant sa négociation, en la commençant par le fret, il faisait un précédent qui lui reviendrait mécaniquement dans la figure. C’est toute la stratégie de négociation qui est ici en cause. 

Un laboratoire paradoxal pour la loi Travail

Le déroulement de la négociation illustre bien les risques portés par une réécriture de la loi Travail. Que nous montre en effet la négociation dans la branche du rail? que des négociateurs hors sol, soumis à des contraintes politiques, à un rapport de force déconnecté de l’entreprise qui devra appliquer les règles, sont forcément tentés de négocier des normes extrêmement favorables que peu d’acteurs du secteur peuvent suivre raisonnablement. 

Qui plus est, le rail, en interdisant aux accords d’entreprise d’être moins favorables que la convention collective, montre bien le danger porté par une réécriture de l’article 2 selon les principes imaginés par le gouvernement. Le contrôle a priori, par la branche, des accords d’entreprise porte en germe cette terrible mécanique qui tuera tous les effets possibles de la réforme. 

Bref, la négociation dans le rail montre tout ce qu’il ne faut pas faire, et que le gouvernement, pour sortir rapidement de la crise qu’il a ouverte, s’apprête à répéter. 

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