La sécurité sociale nous est régulièrement servie comme la grande invention de la Libération grâce à laquelle le bonheur sur terre est possible. Mais l’envers du décor est moins rose, et les défenseurs de cette vieille dame sont loin d’être des anges sans conflit d’intérêt. Il faut d’ailleurs se demander à qui profite la sécurité sociale aujourd’hui.
Le Mediator, scandale emblématique de la sécurité sociale et de ses dangers
Le Mediator est ce médicament produit par le laboratoire Servier à partir des années 70 et retiré de la vente en 2009. Sa dangerosité est reconnue assez tôt, mais les autorités sanitaires françaises vont tarder, de façon troublante, à le retirer de la vente pour des raisons qui sont loin d’être éclaircies. En Suisse, par exemple, le médicament est retiré de la vente en 1997. Il faudra attendre douze ans, et le combat d’Irène Frachon, pour que la France lui emboîte le pas.
Pire, à partir des années 2000, le Mediator est devenu le principal coupe-faim du marché, alors même que sa dangerosité était connue.
La passivité de l’Assurance Maladie face au désastre
Pourquoi l’assurance maladie n’a-t-elle pas pris l’initiative de ne plus rembourser le Mediator? Pourquoi n’a-t-elle pas fait son métier d’assureur en recommandant clairement aux médecins de ne plus prescrire ce médicament dangereux?
Dans la pratique, les caisses primaires semblent avoir régulièrement sanctionné des médecins pour avoir prescrit le Mediator en dehors de ses indications. L’Assurance Maladie s’est même fendue d’un courrier à l’Agence du Médicament sur le Mediator. Et pourtant, rien n’a bougé.
On lira ici, avec délectation, les propos de Martin Hirsch, un temps directeur de cabinet du ministre de la Santé, Bernard Kouchner:
Pour l’heure, les responsables de 1997 bottent en touche. A commencer par Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat chargé de la Santé qui, dans Le Journal du Dimanche du 19 décembre rappelle que «l’alerte et l’urgence» est «ce qu’il a fait de mieux dans sa vie». «On se demande pourquoi on n’a jamais entendu parler du Mediator. Il y a eu des dysfonctionnements, reconnaît Martin Hirsch (alors directeur de cabinet de Bernard Kouchner. Ce médicament aurait dû être dans la charrette de l’Isoméride. Et il ne l’a pas été. Il y a eu une grosse bataille pour interdire l’Isoméride, c’est le même labo, ces médicaments ont les mêmes effets, il n’y avait aucune raison de s’arrêter là.» Pour Martin Hirsch, tout ceci est «incompréhensible». Il faudra pourtant bien comprendre.
Si le directeur de cabinet du Ministre de l’époque (devenu directeur général de l’AP-HP) peut expliquer qu’il n’avait jamais entendu parler du Mediator, c’est peut-être parce que l’assureur supposé protégé les assurés, à savoir la sécurité sociale, n’a pas suffisamment mis en garde le ministre contre le laxisme de l’Agence du Médicament, devenue ensuite AFFSAPS, puis ANSM.
La question de l’accès aux données de santé
Il faut dire que la sécurité sociale est un assureur commode et accommodant pour les laboratoires pharmaceutiques et les médecins. Alors qu’elle détient une mine d’or sur les données de santé, qui lui permettraient d’améliorer considérablement l’efficacité de notre système sanitaire si elles étaient utilisées de façon intelligente et ouverte, la sécurité sociale prend bien garde à en tirer le parti le plus minimaliste possible. Les données sont couvertes d’une chape de plomb, et tout est fait pour éviter qu’elles ne servent à contrôler l’efficacité des prescriptions.
Si l’assurance maladie agissait efficacement pour protéger les assurés (par exemple en exigeant la fin de la commercialisation des médicaments qu’elle sait dangereux), elle utiliserait ses bases de données pour piloter la santé et orienter les pratiques médicales. Le rapport de force avec l’agence du médicament ou tout autre autorité chargée d’autoriser les mises sur le marché des médicaments serait en sa faveur. Mais, pour des raisons politiques, l’assurance maladie est un “nain” qui vit dans l’ombre des pouvoirs publics.
L’Assurance Maladie doit faire son métier d’assureur
Dans le scandale du Mediator, il paraît évident aujourd’hui que l’assurance maladie a ménagé les autorités désignées par le ministre, même si celles-ci sont aujourd’hui épargnées par le devoir de transparence pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons demain. On ne s’étonnera pas de voir aujourd’hui Didier Tabuteau, premier directeur général de l’Agence du Médicament en 1995, renvoyer l’ascenseur à l’assurance maladie, en proposant que celle-ci absorbe les complémentaires santé.
Mais combien d’autres scandales l’assurance maladie couvre-t-elle aujourd’hui?
On prend ici l’exemple du professeur Grimaldi, autre grand défenseur du monopole de la sécurité sociale. Ce diabétologue a reçu un prix remis par une structure lige de l’industrie du sucre. Dans le même temps, il donne des interviews pour expliquer qu’il ne faut pas “diaboliser le sucre”. On s’étonne que la toute-puissante assurance maladie ne mette pas bon ordre dans ces mélanges de genre.
Le bon sens est en effet que l’assureur protège efficacement ses assurés, y compris en garantissant un engagement des médecins à soigner leurs patients. Face au laxisme actuel de l’assurance maladie, on comprend que beaucoup, dans le corps médical, en redemandent. Mais est-ce bien le rôle de la sécurité sociale de couvrir ces dérives?
À qui profite le laxisme de l’assurance-maladie?
Une tentation est de croire que les défenseurs de la sécurité sociale intégrale sont attachés à la solidarité de façon désintéressée. En grattant un peu, on s’aperçoit que le combat pour la sécurité sociale cache des intérêts industriels et économiques bien sentis. Il est dommage que la presse subventionnée s’intéresse trop peu à ces questions.