Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT
Dans un arrêt récent, la Cour de cassation étend une nouvelle fois les cas dans lesquels peut être signée une rupture conventionnelle. Il s’agit cette fois-ci de l’autoriser pour un salarié déclaré inapte à son poste suite à un accident du travail, sauf cas de fraude ou de vice de consentement. Cass.soc.09.05.19, n°17-28.767.
Les cas jadis interdits à la rupture conventionnelle sont bel et bien de l’histoire ancienne ! Pour rappel, en 2008, une circulaire de la DGT (1) prévoyait expressément qu’il n’était pas possible de recourir à une rupture conventionnelle qui s’inscrit dans une «démarche visant à contourner des procédures et des garanties légales (périodes de protection de l emploi, accident du travail, maladie professionnelle, maternité, maladie de droit commun; procédures de rupture pour inaptitude médicale; procédure de licenciement engagée…)». Les juges ne veulent définitivement pas en tenir compte…
- Faits, procédure
Dans cette affaire, une salariée est victime d’un accident du travail et se voit déclarer inapte à son poste. Au lieu de procéder à un licenciement pour inaptitude, les parties décident de signer une rupture conventionnelle.
La salariée souhaite remettre en cause la rupture de son contrat de travail. La cour d’appel rejette sa demande, considérant que la rupture conventionnelle a été régulièrement homologuée par l’autorité administrative.
La salariée décide de former un pourvoi au motif que la rupture conventionnelle est nulle, car conclue en méconnaissance des obligations spécifiques d’ordre public mises à la charge de l’employeur(2) au profit du salarié déclaré régulièrement inapte à son emploi à la suite d’un accident du travail.
- La fraude ou le vice de consentement, seuls obstacles à la rupture conventionnelle
Pour la Cour de cassation, sauf cas de fraude ou de vice du consentement, le fait que la salariée soit déclarée inapte à son poste suite à un accident du travail ne fait pas obstacle à la signature d’une rupture conventionnelle.
Le principe est donc clair : à l’exception de la fraude ou du vice du consentement, la rupture conventionnelle est possible. La Haute Cour considère encore une fois que le simple fait qu’une rupture conventionnelle puisse être invalidée en cas de fraude ou de vice du consentement suffit à éviter d’éventuelles dérives.
Ce qui veut dire que les parties peuvent comme en l’espèce décider de privilégier la signature d’une rupture conventionnelle plutôt que le licenciement pour inaptitude.
Cette solution est donc contraire aux garde-fous posés dans la circulaire de 2008 visant à encadrer la rupture du contrat de travail à l’amiable et à protéger les salariés qui bénéficient d’une protection particulière en raison de leur situation.
- Dans la lignée d’une jurisprudence “permisssive”
Ce principe n’est pas nouveau pour la Cour de cassation. La Haute Cour a déjà affirmé que la rupture conventionnelle peut valablement être conclue pendant le congé maternité d’une salariée et dans les quatre semaines suivant la fin de son congé(3). Elle l’a aussi reconnue valable au cours d’une période de suspension du contrat de travail résultant d’un accident du travail (4). Peu importe pour la Cour que dans ces deux situations de suspension du contrat, il existe des dispositions légales protectrices encadrant strictement la rupture du contrat (5).
En autorisant la signature de la rupture conventionnelle alors que la salariée est déclarée inapte suite à un accident du travail, la Cour de cassation fait donc sauter le dernier verrou.
Un arrêt avait également reconnu la rupture conventionnelle possible en cas d’aptitude avec réserves (6).
- Une décision très critiquable
La rupture conventionnelle, défendue par la CFDT, ne doit intilalement pas servir à contourner les procédures et garanties légales accordées au salarié, notamment dans les cas d’accidents du travail et d’inaptitudes professionnelles (recherche de reclassement, réintégration dans l’emploi d’origine ou équivalent, etc.).
Pourtant en ayant la possibilité ici de signer une rupture conventionnelle, l’employeur se voit exonéré de mener toute recherche de reclassement et voit le coût de la rupture du contrat de travail de la salariée amoindri. Ce moyen lui permet d’éviter de payer le double de l’indemnité légale (voire conventionnelle) de licenciement et l’indemnité égale à l’indemnité compensatrice de préavis. Des sommes spécifiques à verser dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle.
Attention, pour rappel, les indemnités prévues dans la rupture conventionnelle doivent être au minimum équivalentes à l’indemnité légale (voire conventionnelle) de licenciement. Aussi, en cas d’inaptitude professionnelle, le salarié a tout intérêt à négocier l’indemnité afin que son montant soit au moins équivalent à ce qu’il aurait perçu en cas de licenciement pour inaptitude.
(1) Circulaire DGT n° 2008-11 du 22.07.08 relative à l’examen de la demande de l’homologation d’une rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée, complétée par la Circulaire DGT n° 2009-04 du 17.03.09 relative à la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée. (2) Article L.1226-10 C. trav. : L’employeur a une obligation de rechercher un reclassement ; Article L.1226-12 C. trav. : L’employeur ne peut rompre le contrat qu’en cas d’impossibilité de reclassement ou de refus par le salarié des postes proposés. (3) Cass.soc.25.03.15, n°14-10.149. (4) Cass.soc.30.09.14, n°13-16.297. (5) art. L. 1226-9 et L. 1225-4 du code du travail. (6) Cass.soc.28.05.14, n°12-28.082.