L’Institut Montaigne vient de publier le rapport “Sauver le dialogue social. Priorité à la négociation d’entreprise”, qui fournit un diagnostic sur l’état du dialogue social en France et propose quelques pistes afin de contribuer à sa “refondation”.
Une critique somme toute assez classique
Au menu : une critique appuyée du modèle de relations sociales qui prévaut en France, un modèle décrit par le rapport comme étant “à bout de souffle”. Fondé sur une hiérarchie des normes où la loi l’emporte toujours, il donnerait une importance démesurée à l’Etat et à des syndicats de salariés dont la représentativité serait douteuse. Selon les auteurs, ce système, radicalement différent de ceux que l’on observe dans de nombreux autres pays européens, expliquerait en partie le niveau de chômage élevé qui sévit en France. Incapables de maîtriser les principaux paramètres liés à la gestion de leur main d’oeuvre, les entreprises françaises seraient en effet lourdement pénalisées par rapport à leurs concurrentes étrangères. Que faire ?
Dans ce contexte, le rapport comprend douze propositions destinées à repenser la situation. Huit d’entre elles concernent la nécessité de réorganiser le dialogue social au niveau des entreprises. Il s’agirait notamment de réévaluer la légitimité des accords d’entreprise – de telle sorte à ce qu’ils ne soient plus situés en bas de la hiérarchie des normes – et de redéfinir les négociateurs de ces accords – en révisant l’importance accordée aux organisations syndicales. Deux propositions évoquent le périmètre des accords de branche et enfin, les deux dernières concernent les négociations interprofessionnelles : au sujet de ces deux échelons de négociation, le rapport est flou, se contentant de sous-entendre qu’il doivent être subordonnés aux accords d’entreprises.
Quel que soit le regard que l’on porte sur la pertinence ou non du diagnostic et des remèdes, il convient tout d’abord de noter qu’ils n’expriment rien de très nouveau. Comme les auteurs du rapport le rappellent d’ailleurs eux-mêmes, c’est justement en partant de ces principes que les partenaires sociaux avaient décidé, dès la fin des années 2000, de se lancer dans une négociation interprofessionnelle destinée à réévaluer les conditions du dialogue social. Et nous pourrions remonter plus loin encore… Plus généralement, les observateurs et commentateurs du petit monde des relations sociales françaises ne seront pas bousculés dans leurs schémas de pensée en lisant le rapport de l’Institut Montaigne. Mais alors, pourquoi donc l’avoir écrit ?
Les petites originalités du rapport
Les agendas se téléscopent parfois de manière cocasse. A l’heure actuelle, l’un des principaux enjeux de gestion des ressources humaines auxquels doivent faire face les entreprises françaises concerne la généralisation de la complémentaire santé à l’ensemble des salariés. Elle fait suite à l’ANI de 2013. Source de tracas administratif et de surcoût pour la plupart des employeurs, elle est également l’occasion, pour les assureurs, de développer leur marché dans ce domaine. Dans ces conditions, il est assez savoureux de noter que le rapport de l’Institut Montaigne déplore vivement la “crise” des rounds de négociations interprofessionnelles, au titre qu’ils seraient “peu efficients au regard des grands enjeux du marché du travail”. Est-ce bien raisonnable de le crier si fort ?
Mais la question qui demeure la plus floue dans le rapport concerne la place des branches. D’un côté, se référant au “modèle allemand” – redevenu, après quelques décennies, une référence dans le débat public – le rapport entend valoriser l’échelon de la branche comme échelon de négociation. Réduire le nombre de branches à moins d’une centaine permettrait de les relégitimer et d’y discuter de classification ou de protection sociale mais aussi de durée du travail et de salaire minimum. Rien que ça ! Pourtant, la faible place qu’occupe l’échelon de la branche dans le rapport ne manque pas de questionner quant à la volonté de ses auteurs de lui accorder réellement de l’importance. Le “modèle allemand”, c’est bien sympathique, mais surtout quand ça nous arrange !
Enfin, l’enjeu de la représentativité des syndicats ayant souvent été abordé dans le rapport, nous soulignerons l’une des pistes évoquées en toute innocence par ses auteurs afin d’affermir la légitimité des syndicats dans l’entreprise. “Le « chèque syndical » constitue également une initiative intéressante : mis en place en 1990 par AXA, le chèque syndical avait pour objectif affiché de stopper la lente dégradation de la représentativité syndicale dans l’entreprise en incitant les salariés à choisir leurs représentants. […] Ce système, parfois considéré comme un peu « daté », a pourtant rencontré un certain succès puisque plus d’un employé sur deux en moyenne l’utilise. L’expérience a ainsi été reconduite chaque année depuis 1990.” Comment résister à un si bel hommage ?