La mutualisation au coeur du rapport parlementaire sur le paritarisme

Jeudi dernier, la mission d’information de l’Assemblée Nationale sur le paritarisme a rendu son rapport. Présidée par le centriste Arnaud Richard et ayant pour rapporteur l’omniprésent Jean-Marc Germain, elle propose un retour historique sur le paritarisme en France, ainsi que des propositions, parfois détonantes, visant à l’adapter aux défis économiques et sociaux contemporains. 

Un incertain mode de régulation des relations sociales

S’appuyant sur les auditions d’une grande partie de ce que le petit monde du paritarisme français compte de responsables et d’observateurs plus ou moins avisés, la mission parlementaire s’attache dans un premier temps à préciser son objet, conceptuellement et historiquement. L’ampleur de cet exercice se lit dans la place qu’il occupe dans le rapport final : sur les quelque 310 pages du corps de texte, environ 250 lui sont consacrées. Les lecteurs malicieux ne manqueront pas conclure que cette proportion est révélatrice de ce que le paritarisme est plus facile à évoquer de manière théorique et, de préférence, au passé. Pourtant, l’importance des institutions paritaires est très actuelle : elles gèrent “150 milliards d’euros”, et il vaut donc mieux les connaître. 

Le paritarisme et l’Etat

Les députés rappellent que le terme “paritarisme” a été “forgé et popularisé par M. André Bergeron en 1961 pour qualifier le mode de gouvernance créé pour l’Unédic.” Il est fondé sur l’idée que, pour ce qui concerne certains aspects de l’organisation du monde du travail, les représentants des employeurs et ceux des salariés sont plus aptes que les pouvoirs publics à agir “dans l’intérêt général”. S’il n’existe aucune définition fixée du paritarisme, il est communément admis qu’il faut distinguer le paritarisme “de négociation”, qui établit “les normes applicables aux salariés et aux entreprises, liées à l’existence d’un contrat de travail”, voire “l’interprétation de ces normes”, du paritarisme “de gestion”, qui désigne “la gestion paritaire” des institutions appliquant ces normes. 

A la suite de cette entreprise sémantique, les auteurs du rapport reviennent, de manière détaillée, sur l’historique des différentes formes d’application du paritarisme : Sécurité sociale, paritarisme d’entreprise, AGIRC-ARRCO, prévoyance, action-logement, santé et sécurité au travail, handicap, prud’hommes, formation professionnelle. Tout y est ! Cette vaste fresque amène une réflexion : même lorsque les institutions paritaires s’avèrent efficaces, les pouvoirs publics finissent toujours par les mettre au pas. Le déroulement des récentes négociations chômage ou AGIRC-ARRCO en fournit une bonne illustration… C’est en partant de ces constats pas toujours très agréables qu’il allait bien falloir proposer plusieurs pistes de réforme pour le paritarisme. 

Renforcer les structures du paritarisme

Certaines visent à le restructurer. L’Etat est ainsi appelé à produire “un document général annuel retraçant les données financières des systèmes paritaires.” Afin de rassurer ceux qui craindraient une “étatisation rampante” du paritarisme, les députés proposent de créer un “haut conseil de la négociation collective et du paritarisme”, appelé à devenir la “clef de voûte de l’architecture du dialogue social interprofessionnel” et qui aurait la charge d’établir l’agenda des négociations inteprofessionnelles et de faire le lien avec les pouvoirs publics. Enfin, “l’ensemble des acteurs du paritarisme” serait formé par un “institut des hautes études du dialogue social”, devant diffuser “une vision partagée des enjeux économiques et sociaux.” Encore faudra-t-il préciser laquelle… 

Réaffirmer la mutualisation comme base du paritarisme

D’autres propositions concernent la construction progressive d’une “sécurité sociale professionnelle”. Sur son volet “formation professionnelle”, elle pourrait comprendre une “assurance-formation gérée par une Agence nationale pour l’évolution professionnelle”, ainsi qu’une “banque paritaire du temps” qui prendrait le relais du compte épargne temps, en l’améliorant. A terme, une “agence nationale de sécurité sociale professionnelle”, destinée tant “aux salariés qu’aux autres actifs et aux demandeurs d’emploi”, fusionnerait ces deux dispositifs. Le CPA n’est pas encore officiellement créé mais il faut pourtant croire qu’il n’est que le début d’une longue succession de créations de comptes et de banques divers et variés en matière de formation professionnelle. 

Plus marquant, sur le volet “protection sociale” de la sécurité sociale professionnelle, les auteurs du rapport préconisent, en des termes choisis et mesurés, de revenir sur la censure des clauses de désignation. Nous citons ici les propositions dans leur intégralité. D’une part : “Dans l’attente d’une révision de la jurisprudence constitutionnelle sur la force obligatoire des clauses conventionnelles de désignation d’un assureur collectif de branche, motivée par la révision des critères de représentativité des syndicats d’employeurs, ou d’une révision constitutionnelle le permettant, les assureurs désignés ou recommandés par les partenaires sociaux devraient bénéficier d’une réassurance privilégiée des complémentaires santé.” D’autre part : “Introduire dans le droit national, le cas échéant en levant les éventuels obstacles constitutionnels, un nouveau vecteur juridique, la “convention collective de sécurité sociale complémentaire”, qui permettrait aux branches professionnelles, au motif de la solidarité, d’établir un régime de prévoyance étendu à toutes les entreprises d’un secteur d’activité déterminé.” Les assureurs apprécieront… 

Universaliser le paritarisme

Enfin, constatant la montée en puissance du travail indépendant réalisé dans le cadre de l’économie numérique : Uber, Airbnb, etc., les parlementaires estiment nécessaire d’intégrer les travailleurs concernés aux formes de régulation paritaires des relations sociales. En particulier, ils convient “les partenaires sociaux à engager une négociation” visant à étendre la sécurité sociale professionnelle à ces “travailleurs économiquement dépendants”. Une telle négociation pourrait se faire “dans le cadre interprofessionnel habituel ainsi qu’au sein d’un comité qui comprendrait les autres représentants de ces travailleurs.” Etant données les difficultés auxquelles ces derniers risquent d’être confrontés afin de s’organiser, il y a fort à parier que les partenaires sociaux traditionnels vont faire peu de cas de ce futur probable “comité” Théodule. 

Au total, sous ses apparences d’exposé ronronnant sur le paritarisme à la française, le rapport de la mission d’information propose de renforcer de manière importante les pouvoirs accordés aux partenaires sociaux. En particulier, le rapport entend réaffirmer leurs compétences en matière d’organisation des mutualisations professionnelles et interprofessionnelles. Cette réaffirmation de la logique conventionnelle s’effectue, bien entendu, sous le contrôle grandissant de l’Etat. Reste désormais à savoir si les propositions des parlementaires seront suivies d’effets. 

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