La modernisation du dialogue social en 5 questions

Ce jeudi, les partenaires sociaux entament la dernière boucle de leur course de fond pour la modernisation du dialogue social. En principe, vendredi soir, un accord devrait être signé entre le MEDEF et la CFDT à coup sûr, probablement la CGC et la CFTC, et peut-être la CGPME, l’UPA et FO. La CGT devrait ne rien signer. 

Pourquoi une négociation s’est-elle ouverte sur ce sujet?

La modernisation du dialogue social est une vieille intention patronale, qui s’est longtemps réduite à la question stratégique des institutions représentatives du personnel (IRP). Le bord patronal, et singulièrement le MEDEF (dont les adhérents sont plus largement concernés par cette question qui touche les entreprises de plus de 50 salariés) ont, pour cette raison, projeté la création du conseil d’entreprise, supposé réunir dans une seule instance les actuels comités d’entreprise (CE) et comité d’hygène et de sécurité (CHSCT). A l’appui de cette logique de simplification, le bord patronal souligne que le dialogue social en entreprise est trop formel (et préoccupé par de nombreuses obligations mineures) et pas assez réel. 

Cette négociation interprofessionnelle a longtemps patiné avant d’être reprise, en 2014, à la demande du gouvernement. Elle s’est formellement ouverte en octobre. Elle devait se conclure le 18 ou 19 décembre, mais les syndicats patronaux ont choisi de reporter la conclusion en janvier, le temps de se mettre d’accord. Voici le texte qui avait été distribué en amont à cette époque: 

Projet d'ANI sur le dialogue social – version du 15 décembre 2014 from Eric Verhaeghe  

Pourquoi cette négociation n’évoque-t-elle plus la question des seuils sociaux?

Cet été, le gouvernement comme le MEDEF ont caressé l’idée de centrer la négociation sur un assouplissement des seuils sociaux. L’intention affichée était de favoriser des créations d’emplois en évitant l’automatisme de la création d’un comité d’entreprise dès le franchissement du cap du cinquantième salarié, ou de l’organisation d’élections dès le franchissement du cap de 10 salariés.  

Cet objectif a été révisé à la baisse, notamment parce que la CFDT, qui est incontournable dans la signature de l’accord, n’a guère apprécié que le résultat de la négociation soit préempté avant même l’ouverture des discussions. 

En contrepartie, la CFDT a obtenu du gouvernement et du MEDEF la mise sur le tapis d’une question épineuse, qui pourrait provoquer l’échec de la négociation: la représentation des salariés dans les très petites entreprises, c’est-à-dire sous le seuil des 10 salariés. Cette question était déjà évoquée dans la Position Commune sur la représentativité du 9 avril 2008, mais elle n’a jamais été réglée. Assez astucieusement, la CFDT a décidé de troquer une signature sur la création du conseil d’entreprise et probablement sur l’assouplissement des seuils sociaux en échange d’une « introduction » des syndicats dans la masse des entreprises de moins de 10 salariés. 

La question des seuils sociaux pourrait donc revenir dans les dernières heures de la négociation. 

Pourquoi le gouvernement s’intéresse-t-il à cette question?

La négociation a pris un tour stratégique pour le gouvernement, car la mise en place d’une représentation effective des salariés dans les TPE permettrait de diffuser une culture de l’accord partout en France. De cette façon, le gouvernement pourrait encourager l’inversion de la hiérarchie des normes, qui repose sur l’idée que le droit social doit être défini par des accords d’entreprise plutôt que par des lois ou des accords interprofessionnels. Cette inversion est considérée comme une clé pour la compétitivité des entreprises: elle leur permettrait de déroger négativement aux lois en matière de normes sociales, et ainsi de diminuer les « rigidités » du marché du travail lorsqu’elles sont dues à un excès de réglementation. On retrouve ici la thématique du Code du Travail, trop « épais » pour être efficace. 

L’inversion de la hiérarchie des normes fait partie des réformes promises à la Commission Européenne et à l’Allemagne par la France pour obtenir une tolérance vis-à-vis de ses déficits excessifs. La réussite de la négociation constitue donc un enjeu essentiel. 

Pourquoi la CGPME et l’UPA refusent-elles la solution proposée par le MEDEF?

Pour les syndicats patronaux représentant les entreprises artisanales et les PME, le risque de cette négociation est d’apparaître comme les « dindons de la farce ». En effet, le bénéfice patronal tiré de la négociation à ce stade ne profite qu’aux grandes entreprises: la création du conseil d’entreprise n’a aucun intérêt pour les moins de 50 salariés. En revanche, les concessions lachées par le bord patronal pour obtenir cet aménagement concernent les PME: l’amélioration de la représentation des salariés dans les moins de 50, et surtout dans les moins de 10. 

La CGPME et l’UPA sont relativement concurrents sur le même segment d’entreprises et ne peuvent donc se permettre d’être en retrait l’un par rapport à l’autre. La CGPME prépare l’élection d’un nouveau président, qui devra d’emblée montrer sa fermeté.  

Assez logiquement, la CGPME et l’UPA refusent donc de souscrire à des concessions dont les contreparties ne leur profitent pas. D’où l’idée très probable d’introduire la question de l’assouplissement des seuils pour les amener in extremis à la signature. 

Que se passera-t-il si un accord n’est pas trouvé?

Compte tenu des pressions qui s’exercent sur la France par ses partenaires européens pour « flexibiliser » son marché du travail, le gouvernement sera obligé de légiférer sans s’appuyer sur un texte validé par les partenaires sociaux. Cette solution soulève forcément de grandes craintes à la CGPME et à l’UPA: mieux vaut une signature sur un mauvais texte que l’on contrôle, qu’un silence sur une loi qu’on ne contrôle pas. 

Rappelons ici que la généralisation du mandatement constitue une solution de sortie particulièrement utile pour les partenaires sociaux. 

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