La loi Travail, ou le triomphe final de l’étatisme

Quelques mois après le lancement complètement raté de la loi Travail, un premier bilan de la confrontation mérite d’être tiré. Au-delà de la polarisation assez fausse entre libéralisme d’un côté, et protection des salariés de l’autre, c’est une autre lecture qui se dégage peu à peu: celle qui oppose plutôt l’étatisme de la représentation nationale et la confiance dans la démocratie sociale dont se revendiquent les entreprises.  

Libéralisme et protection: la fausse opposition

Au vu de la rédaction actuelle de la loi, plus personne ne peut réellement prétendre que celle-ci procède d’un libéralisme échevelé qui mettrait en danger la protection des salariés. La mécanique de l’accord majoritaire à 50% exclut en effet les manipulations massives comme certaines ont pu survenir dans le passé. Seul un accord accepté par des syndicalistes élus représentant au moins la majorité des salariés pourra passer la rampe des négociations internes à l’entreprise.  

En contrepartie de ce dispositif, les salariés obtiennent des droits nouveaux, comme la création du compte personnel d’activité.  

Le triomphe de l’étatisme

Depuis le début, cette mécanique consistant à déposséder les députés de leur pouvoir normatif au profit du dialogue d’entreprise est diabolisée par une part importante des principaux concernés. Officiellement, c’est au nom de l’intérêt des salariés que les députés défendent leur droit d’intervenir dans la vie des entreprises. Dans la pratique, il est difficile de distinguer cette crainte et la volonté farouche de la représentation nationale de conserver le dernier mot dans la détermination des normes applicables aux salariés. 

Quelque soit le motif affiché, c’est l’obsession étatiste qui agite les parlementaires dont les amendements pléthoriques ont perturbé le débat démocratique.  

La contamination étatiste de Valls

Si Manuel Valls a pu, aux premiers jours de la loi Travail, donner le sentiment de vouloir changer la donne et décentraliser la norme sociale, son attitude marque de nombreuses hésitations, voire d’importants retours en arrière.  

Dès les premiers jours du débat, le Premier Ministre a renoncé aux éléments de décision unilatérale qui auraient pu modifier la physionomie du droit du travail dans les petites entreprises. En particulier, il a rapidement escamoté le recours au forfait-jour par décision unilatérale.  

Désormais, le Premier Ministre ne cache plus ses interventions directes dans les négociations entre partenaires sociaux. 

L’exemple de la négociation chômage

L’exemple le plus frappant de cette reprise en main est donné par la négociation chômage, où le Premier Ministre est passé “par-dessus l’épaule” des partenaires sociaux pour donner son approbation à un accord négocié entre professionnels du spectacle. Qu’importe si cet accord ne respectait le cadrage déterminé par les partenaires sociaux, en application d’un mécanisme défini… par Manuel Valls en 2014, quelques semaines après son arrivée à Matignon. Tel est le fait du prince! 

D’autres exemples du bon plaisir vallsien

L’actualité témoigne d’une véritable nervosité de Manuel Valls vis-à-vis des partenaires sociaux. Après avoir enjoint à son ministre des Transports, dans le silence le plus complet de la ministre de tutelle Ségolène Royal, de prendre l’engagement de ne pas toucher au régime d’heures supplémentaires des routiers, Manuel Valls a pris une position identique dans le conflit avec la SNCF. Il est manifestement intervenu en “court-circuitant” le président de l’entreprise, Guillaume Pépy, pour donner satisfaction à la CFDT sur la question sensible de l’organisation du temps de travail. 

Le glissement marqué hors de la “démocratie sociale”

Progressivement, Valls s’est donc laissé gagner par les démons qu’il entendait combattre. Non seulement les dispositions qui permettront aux entreprises de négocier leurs propres normes sont sur une mauvaise pente, mais le Premier Ministre passe outre les règles qu’il a lui-même fixées en reprenant en main directement les négociations qui sont ouvertes. Il ne pouvait donner meilleure démonstration de sa grande proximité intellectuelle avec les députés de sa majorité qui contestent la loi. Au fond, les uns comme les autres sont plus à l’aise dans un système où l’Etat décide de tout, et où les entreprises obéissent. 

Valls encourage-t-il la chienlit?

La question ultime que soulève l’attitude de Manuel Valls consiste évidemment à savoir si son interventionnisme tous azimuts aide au règlement du conflit, ou s’il constitue une incitation permanente à contester.  

Dans la pratique en effet, la position du Premier Ministre pénalise ceux qui misent sur la négociation entre partenaires sociaux pour aboutir à leurs fins, et encouragent à la contestation et à l’interpellation directe du Premier Ministre, en dehors des cadres définis par les textes. Très rapidement, cette position déséquilibrée devrait vider l’esprit de la négociation de tout contenu et de toute envie, pour favoriser des surenchères syndicales ingérables.  

On peut penser sans être grand clerc que la dernière année du quinquennat sera très agitée.  

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