La Loi Travail facilite-t-elle réellement les licenciements ?

Face à des opposants qui pointent un affaiblissement historique des droits des salariés, le Gouvernement se défend de vouloir faciliter les licenciements, mais seulement encadrer davantage les ruptures pour motif économique, dans un souci de sécurité juridique. Il n’y aurait donc pas création d’un « droit à licencier » au profit des employeurs. Analysons les quelques évolutions apportées par la Loi El Khomri en matière de licenciement. 

 

La Loi Travail ne créé pas un « droit à licencier »

Depuis plusieurs semaines, les débats (houleux) au sujet de la Loi Travail provoquent surenchères, déformations et interprétations fantaisistes de toute part. A l’heure où les débats parlementaires débutent, il devient difficile de démêler le vrai du faux. Ainsi, à force d’entendre que la première version du projet de loi facilitait grandement les licenciements, on pourrait penser que le Gouvernement a tenté de réintroduire une forme de « contrat nouvelle embauche », avec une rupture quasiment libre durant une période donnée. 

Il n’en est rien. Rappelons, à ce sujet, que la France est tenue par les dispositions de la Convention n°158 de l’OIT, selon laquelle « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise » (l’exception « période d’essai » ne doit donc pas dépasser une durée raisonnable). Par ailleurs, le projet de Loi El Khomri proposait initialement de reprendre et sacraliser les principes énoncés dans le « Rapport Badinter », dont l’exigence d’un motif réel et sérieux pour tout licenciement. Ces principes ont néanmoins été écartés lors du travail en Commission. 

En réalité, la Loi Travail ne révolutionne pas le droit du licenciement. Elle s’attache essentiellement à préciser et objectiver les critères du licenciement pour motif économique, et instaure les nouveaux « accords offensifs pour l’emploi », dont le refus d’application par un salarié peut entraîner son licenciement, qu’il convient de qualifier. Le reste des textes relatifs au licenciement demeure inchangé. 

 

Un licenciement économique aménagé pour les TPE/PME ?

L’article 30bis a été au cœur des contestations. Si les opposants au texte y ont vu le symbole de l’instauration d’un « droit au licenciement », le Gouvernement a martelé qu’il s’agissait surtout de mettre fin au flou jurisprudentiel et à l’insécurité juridique entourant le licenciement économique. 

Cet objectif devait être rempli en deux temps : tout d’abord, il s’agissait de codifier des motifs économiques déjà consacrés en jurisprudence (« cessation d’activité » et « difficultés économiques » venant ainsi s’ajouter aux mutations technologiques et sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, déjà prévues par l’article L. 1233-3) tout en laissant la porte ouverte à d’autres créations jurisprudentielles, par l’utilisation de l’adverbe « notamment »

Ensuite, l’autre mesure qui a fait couler beaucoup d’encre visait à objectiver la notion de « difficultés économiques », en instaurant des critères précis et connus d’avance, afin de laisser moins de place à l’appréciation souveraine (et parfois surprenante) des juges. Les difficultés économiques ayant conduit au licenciement pourraient désormais être établies, au choix, par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires (par rapport à l’année précédente), des pertes d’exploitation, une importante dégradation de la trésorerie, ou « tout autre élément de nature à justifier ces difficultés ». La durée nécessaire pour établir ces difficultés devait être prioritairement fixée par accord de branche, et à défaut par la loi (quatre trimestres de baisses du chiffre d’affaires / commandes, un semestre de pertes d’exploitation). 

Face aux critiques unanimes, le Gouvernement a désespérément cherché un compromis. D’un côté, en permettant aux juges de contrôler les « difficultés créées artificiellement en vue de procéder à des suppressions d’emploi », pour éviter les abus redoutés par les salariés. De l’autre, en tentant de calmer les TPE/PME en leur octroyant un statut privilégié, tenant compte de leur situation de fragilité particulière. Le texte présenté à l’Assemblée renonce donc à la possibilité d’adapter les durées requises par accord, et instaure une modulation en fonction de la taille de l’entreprise (par exemple, un trimestre de baisse du chiffre d’affaires suffira pour une entreprise de moins de onze salariés, quand il en faudra quatre pour une entreprise de plus de trois cent salariés). Un autre critère a également été ajouté lors de son passage en Commission : la dégradation de l’excédent brut d’exploitation. 

Les parlementaires devront enfin régler l’épineuse question du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, que le projet de loi initial entendait borner au territoire national, y compris en présence d’un groupe international. 

 

Quelle qualification pour le licenciement consécutif à un « accord offensif » ?

L’autre nouveauté décriée au sein de la Loi Travail est la possibilité de conclure avec les syndicats des accords « offensifs » sur l’emploi, c’est-à-dire destinés à améliorer la compétitivité de l’entreprise et à déclencher ensuite, le cas échéant, des embauches. S’ils ne peuvent venir réduire la rémunération mensuelle des salariés, ces accords peuvent toutefois conduire à augmenter provisoirement la durée du travail ou modifier sa répartition, sans contreparties. Il s’agit d’un complément aux « accords de maintien dans l’emploi », possibles depuis 2013 mais réservés à des situations de crises, alors que l’accord offensif pourra être conclu en dehors de toute difficulté économique. 

Cette disposition a fait l’objet de moindres réticences, certainement parce que les syndicats de salariés gardent la main (ils sont libres de ne pas signer ces accords), et qu’ils lui prédisent un « succès » comparable aux accords de maintien dans l’emploi, très peu utilisés en pratique. L’inquiétude des opposants au texte s’est concentrée sur le sort réservé au salarié qui refuserait l’application d’un tel accord, dont les dispositions sont censées se substituer à celles de son contrat de travail. 

Le projet de loi initial prévoyait que ce salarié serait « soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel ». Cela revenait à considérer que la rupture était liée à la personne du salarié, à un choix librement effectué en dehors de toute contrainte économique. Cela revenait surtout à priver le salarié d’une indemnisation plus généreuse et de dispositifs d’accompagnement dans la reprise d’un emploi, réservés aux salariés licenciés pour motif économique. 

Estimant que le choix laissé au salarié était bien dicté par des considérations économiques, le rapporteur C. Sirugue (PS) a déposé un amendement visant à appliquer au salarié réfractaire la procédure du licenciement individuel pour motif économique. Sur ce point, il faudra alors décider si le salarié doit également bénéficier du congé de reclassement (ou CSP) … 

Au final, si la Loi Travail ne bouleverse pas le droit du licenciement en profondeur, elle modifie toutefois l’appréciation des motifs économiques ayant conduit à la rupture du contrat, et cherche à sécuriser la démarche de l’employeur. Côté salarié, elle fait surtout craindre des ruptures plus rapides et plus systématiques en cas de périodes difficiles. Pour un texte qui entendait, selon les mots de M. El Khomri, « développer de nouvelles formes de relations de confiance », c’est pour l’instant un échec cuisant. 

 

 

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