Le Conseil constitutionnel a rendu, jeudi 21 janvier 2016, sa décision concernant la loi de modernisation du système de santé portée par Marisol Touraine. Toute la loi est conforme à la Constitution d’après les sages, à l’exception notamment de sa mesure phare, tant vantée par la ministre de la santé, la généralisation du tiers payant. Même si les défenseurs de la mesure minimisent ce nouveau coup dur en faisant valoir l’existence de délais d’adaptation pour rendre la mesure conforme à la Constitution, c’est un bémol de plus dans la partition parfois improvisée du Ministère de la santé.
Un tiers payant généralisé à revoir
Le défaut principal des dispositions prévoyant la généralisation du tiers payant est que l’article 83 de la loi crée de nouvelles obligations pour les professionnels de santé avec un calendrier fixé par le législateur. Or les Sages notent que “ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient des mesures équivalentes en ce qui concerne l’application du tiers payant aux dépenses prises en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire”. En effet, ces mesures sont renvoyées à des décrets alors qu’elles devraient être précisées dans la loi conformément à l’article 34 de la Constitution qui précise que la loi “détermine les principes fondamentaux…des obligations civiles et commerciales…et de la sécurité sociale”.
Le Conseil constitutionnel considère que la loi aurait dû assurer une protection des professionnels de santé en prévoyant des obligations strictes à l’égard des organismes assureurs complémentaires.
L’autre point bloquant de la loi de modernisation du système de santé
La seconde mesure qui a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel se situe à l’article 107 de la loi Touraine. Il y est prévu que le Gouvernement est habilité à définir les règles budgétaires et comptables régissant les relations entre les établissements publics d’un même groupement hospitalier de territoire par des ordonnances. Or, les Sages rappellent que l’article 38 de la Constitution précise que “Les ordonnances […] deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation”. Mais la loi santé, à son article 107 ou ailleurs, ne fixe aucune date à laquelle le projet de loi de ratification des ordonnances que le Gouvernement est habilité à prendre devra être déposé devant le Parlement.
Le Conseil constitutionnel conclut donc à l’inconstitutionnalité de la mesure en raison de l’absence de cette date.
Les mesures déclarées conformes à la Constitution
Sur tous les autres points dont le Conseil constitutionnel était saisi, la loi santé a été déclarée conforme à la Constitution. Voici les principales mesures validées.
Les dispositions relatives au tabac
Le paragraphe II de l’article 22 régissant les modalités d’entrée en vigueur de l’interdiction des arômes et additifs dans les produits du tabac n’est pas incompatible avec la directive européenne que la loi transpose et ne méconnait donc par l’article 88-1 de la Constitution précisant que la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle.
Le 2° du paragraphe I de l’article 23 supprimant la dérogation à l’interdiction de publicité pour le tabac dans les débits de tabac, non visibles de l’extérieur, est conforme à la Constitution en ce qu’il n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
L’article 27 de la loi santé qui impose le paquet de tabac neutre n’est pas contraire à la Constitution notamment en vertu du respect des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’article 17 précise que “La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité”, or les Sages notent qu’il résulte de l’article 2 dudit texte que les atteintes portées au droit de propriété peuvent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. En l’occurrence, l’objectif poursuivi est la protection de la santé des individus en enlevant tout impact promotionnel à l’emballage de produits nocifs. L’atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre n’est donc pas disproportionnée.
L’expérimentation des salles de consommation
Les sages ont déclaré conformes à la Constitution les articles 41 et 43 de la loi santé relatifs à la création d’un cadre législatif à la politique de réduction des risques pour les consommateurs de drogues et à l’expérimentation des salles de consommation des drogues à moindre risque.
Suppression du délai de réflexion dans le cadre d’un IVG
L’article 82 de la loi relative à la modernisation du système de santé supprime le délai d’une semaine jusque-là prévu entre la demande de la femme d’interruption de sa grossesse et la confirmation écrite de cette demande. Les Sages considèrent que la suppression de ce délai de réflexion n’est contraire ni à la sauvegarde de la dignité humaine, ni à la liberté de la femme. De plus, le Conseil constitutionnel rappelle qu’aucune exigence de valeur constitutionnelle n’impose le respect d’un délai de réflexion avant un acte médical ou chirurgical.
La recherche biomédicale sur les gamètes
Le paragraphe III de l’article 155 de la loi santé permet la réalisation de recherches biomédicales sur des gamètes afin de constituer un embryon ou sur un embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation. Cette mesure ne peut être effectuée que dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation et avec le consentement de chaque membre du couple. Le Conseil constitutionnel confirme que cette disposition ne méconnaît pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
La transparence des liens d’intérêt entre acteurs de la santé
Les Sages se sont finalement prononcés sur le 5° de l’article 178 de la loi Touraine qui vise à renforcer la transparence des liens d’intérêt entre les entreprises qui commercialisent ou produisent des produits de santé ou cosmétiques destinés à l’homme, ou les entreprises qui assurent des prestations associées à ces produits, et les acteurs du secteur de la santé. Ainsi, l’article précise que les entreprises sont tenues de rendre publics, sur un site internet public unique, l’objet précis, la date, le bénéficiaire direct, le bénéficiaire final et le montant des conventions conclues avec les acteurs du secteur de la santé. Il est aussi prévu que les rémunérations versées aux acteurs du secteur sanitaire doivent être rendues publiques si elles excèdent un seuil fixé par décret, il en va de même pour les avantages en natures ou en espèces autres que les rémunérations versées aux acteurs du secteur sanitaire.
Le Conseil constitutionnel a déclaré ces mesures conformes au principe de la liberté d’entreprendre et au droit au respect de la vie privée.