La grève et le mutisme ne font pas bon ménage

L’article ci-dessous a été initialement publié sur le site de la CFDT en date du 9 septembre 2015, toutefois BI&T vous avait proposé deux mois auparavant l’article intitulé La grève, un droit conditionné, (9 juillet 2015). 

Il a pour titre : “Grève : Les revendications ne doivent pas être tues !”

Le salarié qui participe à un mouvement de grève peut très bien se trouver exposé à des risques de répression patronale. C’est en ce sens que la loi veille à le protéger contre le licenciement. Mais pour que cette protection soit effective, encore faut-il que, lorsque la grève débute, l’employeur ait été informé des revendications professionnelles portées par les grévistes. Cass.soc.30.06.15, n° 14-11.077.  

L’article L. 2511-1 du Code du travail précise quelle est la nature de la protection dont bénéficient les salariés grévistes: « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ».

Pour savoir si une telle protection est susceptible de s’appliquer à un salarié donné, il convient de vérifier si le mouvement de grève auquel il participe est licite. S’il l’est, le salarié est protégé. S’il ne l’est pas, le salarié n’est pas protégé. 

  • Rappel des conditions pour qu’une grève soit licite

Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour qu’un mouvement de grève soit considéré comme licite? 

A bien regarder la jurisprudence, il se trouve qu’il en y en a deux. Depuis fort longtemps, en effet, la Cour de cassation considère que pour qu’il y ait grève, il faut qu’il y ait « une cessation concertée du travail » (1ère condition) en vue d’appuyer des revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur refuse se donner satisfaction » (2ème condition)(1). 

  • Faits

Dans l’affaire qui a conduit la Cour de cassation à rendre l’arrêt ici commenté, il se trouve qu’un salarié, ouvrier paysagiste de son état, qui avait participé, avec sept de ses collègues, à un mouvement de grève afin de revendiquer le paiement d’un acompte sur leur treizième mois, avait été licencié, pour « faute grave », à la suite de faits commis au cours de la cessation du travail. A première vue, une telle décision patronale avait de quoi surprendre. Car s’il avait été décidé de licencier le salarié pour « faute grave », et non pour « faute lourde », c’est bien que l’employeur n’avait pas entendu le faire bénéficier du statut protecteur que la loi accorde au salarié gréviste. 

  • L’existence de révendications professionnelles ne suffit pas

Or, il paraissait également difficile de contester le caractère licite de la grève puisqu’il y a avait bien eu « cessation concertée du travail » à l’appui de « revendications professionnelles ». 

Et pourtant … C’est bien sur ce terrain que l’employeur décida de se placer pour dénier au salarié licencié tout bénéfice du statut protecteur. Car si les revendications professionnelles des salariés grévistes existaient belle et bien, il se trouve aussi qu’au moment où les salariés avaient cessé le travail, elles n’étaient nullement connues de l’employeur. Et il est vrai que, dans l’esprit même de la définition jurisprudentielle ci-avant rappelée, une telle information de l’employeur peut assez facilement être présentée comme incontournable puisqu’il y est évoqué l’existence de « revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur refuse se donner satisfaction ». Or, comment pourrait-on savoir si l’employeur refuse d’y donner satisfaction s’il n’en a pas même été informé … 

  • Un employeur non informé, un grèviste non protégé

Quoiqu’il en soit, devant la justice, l’argument fit mouche. Le salarié eut beau faire preuve d’abnégation et contester son licenciement, tour à tour, devant les prud’hommes, devant la cour d’appel et devant la cour de cassation, rien n’y fit … Il fût à chaque fois débouté. In fine, la haute juridiction de l’ordre judiciaire est donc venue valider le raisonnement que les juges du fond avaient initialement adopté. A savoir que si « l’exercice normal du droit de grève n’est soumis à aucun préavis », il nécessite cependant « l’existence de revendications professionnelles collectives dont l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail ». 

Or, dans l’espèce qui nous occupe ici, il s’avère que « l’employeur avait été tenu dans l’ignorance des motifs de l’arrêt de travail » puisqu’il n’avait pu savoir ce que les grévistes revendiquaient qu’après leur avoir demandé «les raisons du blocage des portes de l’entreprise ». 

Aussi, si, hors services publics, le fait de se mettre en grève ne nécessite pas de préavis, il ne saurait, pour autant, faire l’économie d’une communication, à l’employeur, des revendications portées. 

Lorsque des salariés décident de faire grève, ils doivent nécessairement informer l’employeur de ce qui les pousse à agir. Ce dès que possible et, quoiqu’il en soit, au plus tard, au moment où l’arrêt concerté du travail se déclenche. L’employeur ne doit donc jamais avoir, lui-même, à s’enquérir des raisons qui ont pu conduire à une telle situation. Non seulement parce que cela ne serait pas un gage d’aboutissement des revendications mais aussi parce que, ce faisant, les salariés grévistes se déshabilleraient (dangereusement) de leur légitime protection. 

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