Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Pour la première fois, la Cour de cassation précise l’articulation à opérer entre la résiliation judicaire du contrat de travail et les règles protectrices liées à la grossesse. Pour bénéficier de la protection, la salariée doit avoir averti son employeur de son état au plus tard au jour de la saisine de la juridiction prud’homale. Cass.soc.28.11.18, n°15-29330.
Attention au timing ! Si par malheur la salariée informe l’employeur de sa grossesse après la saisine de la juridiction prud’homale pour résiliation judiciaire, elle ne pourra bénéficier des règles protectrices liées à la grossesse. En cas de succès, la résiliation judicaire produira au mieux les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non celui d’un licenciement nul, pourtant nettement plus favorable… C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt publié.
Dès que l’employeur est informé de la grossesse (médicalement constatée) d’une salariée et ce, jusqu’à 15 jours après la notification du licenciement, il doit appliquer les règles légales protectrices. Ce qui veut dire qu’il ne peut ni licencier la salariée pendant le congé maternité, ni même prendre de mesures préparatoires au licenciement. C’est seulement durant la période de protection dite « relative » ( c’est à dire la période post et pré congé maternité) que la salariée peut être licenciée – et uniquement dans deux hypothèses : – soit pour faute grave et non liée à l’état de grossesse, – soit en cas d’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse. A défaut de respecter ces règles, le licenciement sera jugé nul. Qu’en est-il de l’application de ces dispositions en cas de résiliation judicaire ?
- Faits, procédure
Une infirmière reproche à son employeur d’avoir manqué à ses obligations contractuelles en ne lui fournissant pas de taches à effectuer à hauteur de la durée convenue dans son contrat de travail. En juillet 2013, elle décide de saisir la juridiction prud’homale pour demander une résiliation judicaire.
Toujours en service dans la société le 12 décembre 2013, elle informe par courrier son employeur de son état de grossesse. Quelques jours plus tard, il la licencie pour faute grave.
Contrairement aux juges de première instance, la cour d’appel va reconnaître fondée la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. La salariée ayant informé son employeur de son état de grossesse, la résiliation judiciaire du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement nul.
L’employeur, qui n’était pas au courant de l’état de grossesse au moment de la saisine du conseil des prud’hommes, décide de se pourvoir en cassation. Il remet en cause la résiliation judicaire et les conséquences indemnitaires relevant des effets d’un licenciement nul. C’est ce dernier point qui va retenir notre attention…
QuelLES SONT LES conséquences indemnitaires de la résiliation judiciaire lorsque l’employeur est informé postérieurement à la saisine de la juridiction de l’état de grossesse de sa salariée ?
- La protection liée à la grossesse n’est pas prise en compte
Tout en rappelant les textes, la Cour de cassation pose le principe suivant : si « au jour de la demande la résiliation judicaire, la salariée n’a pas informé l’employeur de son état de grossesse, la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
Pour la première fois, la Cour de cassation précise donc qu’en pareil cas c’est à la date de la saisine de la juridiction prud’homale qu’il faut se placer pour savoir si la salariée bénéficie ou non de la protection liée à la grossesse et en déduire ainsi les conséquences indemnitaires d’une résiliation judiciaire.
Pour les salariés protégés, la Cour de cassation avait déjà retenu que c’est au jour de l’introduction de la demande qu’il faut se placer pour savoir si oui ou non la protection joue et produit les effets d’un licenciement nul (1).
Aussi, l’employeur n’ayant été informé de l’état de grossesse de la salariée qu’après la saisine du conseil des prud’hommes pour résiliation judiciaire, la salariée ne bénéficiait pas des règles protectrices liées à la grossesse.
- Les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
La résiliation judicaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non d’un licenciement nul, ce qui est nettement moins avantageux. Les articles L.1225-71 et L.1235-3-1 du Code du travail prévoient en cas de licenciement nul une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire. En outre, la salariée a le droit au paiement des salaires couvrant la période de protection liée à la maternité.
Par ailleurs, la salariée ayant été licenciée après la demande de résiliation judicaire, les effets de la résiliation judiciaire débuteront à compter de son licenciement, et non à compter du prononcé du jugement.
La jurisprudence de 2007 (2) précise que lorsque la résiliation judiciaire est suivie d’un licenciement, et donc que la salariée n’est plus liée par un contrat de travail, le juge doit suivre l’ordre chronologique des évènements. Il doit en premier lieu rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée. Si oui, le juge fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement. Ce n’est que si la résiliation judicaire n’est pas fondée que les motifs du licenciement sont examinés. Cette jurisprudence est très défavorable au salarié et encore davantage en l’espèce…
- Application de la barémisation et du plafond
Pour rappel, les ordonnances Macron mettent en place une barémisation et un plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (3). C’est donc la double peine pour le cas de cette salariée. En effet, en cas de licenciement nul, le plafonnement est exclu et la salariée peut alors être indemnisée pour l’intégralité du préjudice subi (4).
En conclusion, après une saisine de la juridiction pour résiliation judicaire, l’annonce de la grossesse ne protège pas la salariée. Elle la protège d’autant moins lorsque sa demande est suivie d’un licenciement et que la résiliation judiciaire est reconnue justifiée par les juges.
Notons qu’en l’espèce, le licenciement pour faute grave n’a été prononcé que quelques jours après l’annonce de sa grossesse. Il aurait sans doute été préférable de pouvoir contester le licenciement et de demander sa nullité…
(1) Cass.soc.26.10.16, n°15-15.923.
(2) Cass.soc.15.05.07, n°04-43.663.
(3) Art. L.1235-3 C.trav.
(4) Art. L.1235-3-2 C.trav.