Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Un salarié qui donne sa démission à son employeur sans émettre la moindre réserve et qui plus tard sollicite devant les prud’hommes sa requalification en licenciement « irrégulier » et « infondé » a le droit de se prévaloir de la même procédure d’urgence que celle qui est ouverte aux salariés qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail. Cass.soc. 18.09.19, n°18-15.765.
- Les faits et l’action de la salariée
Une salariée est engagée fin 2009 par un restaurant fonctionnant sous enseigne Mc Donald’s. Mais après 3 ans 1/2 de bons et loyaux services, et alors qu’elle y occupe une poste d’assistante de direction tout en exerçant un mandat de délégué du personnel, elle décide de donner sa démission à l’employeur. Le courrier qu’elle lui adresse à cette occasion est rédigé dans des termes on ne peut plus neutres : « Je souhaite démissionner de mon poste d’assistante de direction que j’occupe au sein de la SASU Puget Drive depuis le 1er janvier 2010. Je vous demanderai s’il vous plaît de ne pas effectuer mon préavis qui est de deux mois. De plus, je démissionne aussi de mon poste de délégué du personnel à compter de ce jour. Je vous remercie d’avance pour votre compréhension ».
Nous sommes alors le 24 avril 2013.
1 an 1/2 plus tard, le 6 octobre 2014, elle saisit le conseil de prud’hommes afin de solliciter la requalification de la rupture de son contrat de travail de démission en licenciement « irrégulier et infondé » en raison d’agissements de harcèlement moral qu’elle aurait eu elle-même à subir du temps où elle était encore en poste.
Pour ce faire, elle demande que son dossier soit porté directement devant le bureau de jugement et que ce dernier statue rapidement « dans un délai d’un mois suivant la saisine ». Ce en application de l’article L. 1451-1 du Code du travail selon lequel « lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ».
D’où vient l’article L. 1451-1 du Code du travail ? Introduit dans le Code du travail en juillet 2014 à la suite de l’adoption d’une proposition de loi[1], cet article a pour objet : -de permettre aux salariés qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail de ne pas avoir à subir une trop longue attente avant de savoir si cette rupture doit avoir les conséquences d’un licenciement ;-de ne pas rester un temps infini dans l’expectative, notamment vis-à-vis de leurs droits à l’assurance chômage.De prime abord, cette disposition semble être particulièrement intéressante pour les salariés. En pratique, elle ne l’est pas tant que ça, car le délai d’1 mois donné à la justice pour rendre sa décision cadre difficilement avec la complexité dont ces dossiers sont souvent porteurs.
- La validité de la saisine du conseil de prud’hommes en débat
L’employeur considérait que l’article L. 1451-1 du Code du travail n’avait pas vocation à s’appliquer à cette situation. La formule « demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur » ne rimant selon lui qu’avec prise d’acte au sens strict du terme, et non avec démission, dont le salarié réclame après coup la requalification en licenciement « irrégulier » et « infondé ».
Qu’est-ce qu’une prise d’acte ?La « prise d’acte » est une décision unilatérale prise par un salarié de rompre le contrat de travail qui le lie à son employeur du fait de manquements graves qu’il reproche à son employeur qui l’empêche de poursuivre son contrat de travail. Celle-ci apparaît comme étant particulièrement dangereuse car si les faits invoqués par le salarié sont considérés par les juges comme justifiant la prise d’acte, celle-ci a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle a les effets d’une démission[2].
Afin d’étayer son positionnement, la partie patronale relevait que le conseil de prud’hommes ainsi saisi avait décidé de renvoyer le dossier devant le bureau de conciliation, considérant ainsi que la voie de la procédure d’urgence visée à l’article L. 1451-1 du Code du travail n’était pas opposable à l’espèce.
Et d’en conclure que 2 ans après la démission de la salariée, celle-ci n’avait pas convenablement saisi le conseil de prud’hommes. De ce fait toute action judiciaire à venir devait être considérée comme prescrite[3].
Telle n’était pas bien sûr l’approche de la salariée ! Elle considérait que sa démission avait certes été donnée sans la moindre réserve, mais qu’elle avait été contestée après coup –via une demande judiciaire de requalification en licenciement « irrégulier » et « infondé » – Selon elle, ce contentieux pouvait très bien entrer dans le champ d’application de l’article L. 1451-1 du Code du travail puisqu’il s’agissait là aussi de demander la « qualification de la rupture du contrat de travail » (…) « en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur ».
Ce en quoi les juges d’appel lui avaient donné raison, considérant que ce texte ne faisait effectivement « aucune différence entre une rupture du contrat de travail par prise d’acte du salarié aux torts de l’employeur et une rupture résultant d’une démission dont il est demandé la requalification en licenciement irrégulier et infondé ».
- La validité de la saisine du conseil de prud’hommes confirmée par la Cour de cassation
La Cour de cassation valide le raisonnement adopté par la cour d’appel en précisant que le libellé de l’article L. 1451-1 du Code du travail était de nature à accueillir non seulement les contentieux liés à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, mais aussi ceux liés aux démissions suivies d’une demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou nul.
En conséquence, la salariée devait être vue comme ayant« valablement saisi le conseil de prud’hommes le 6 octobre 2014 de sorte que sa demande n’était pas prescrite ».
[1] Loi n° 2014-743 du 01.07.14.
[2] Cass.soc. 25.06.03, n°01-42-335.
[3] Par application de l’article L. 1471-1 du Code du travail, le délai de prescription des actions portant sur la rupture du contrat de travail était à l’époque de 2 ans. Rappelons ici que l’article 6 de l’ordonnance n° 2017- du 22 septembre 2017 l’a désormais ramené à 1 an.