La crise du coronavirus obligera-t-elle les assureurs, et singulièrement les assureurs santé, à licencier massivement les épaisses couches bureaucratiques qu’ils nourrissent depuis des années au détriment de leurs assurés ? En tant que fournisseur de la moitié du marché de l’assurance, Tripalio a une vision large des “couches intermédiaires” des sièges, et pose la question. Alors qu’un reconfinement partiel s’annonce, et qu’il devrait donner un nouveau coup bas à une économie chancelante, il y a du plan social dans l’air. Prisonnier depuis des années d’une doctrine de “non-licenciement”, les assureurs risquent de devoir accepter des gros mots comme “gains de productivité” et optimisation de leur organisation.
La bureaucratie dans l’assurance a la vie dure. Depuis une vingtaine d’années, elle ne cesse de s’épaissir dans les grands sièges… et parfois dans les moins grands. On pense ici aux groupes de protection sociale qui ont connu une multitude de fusions en tous sens, et à un certain nombre de mutuelles, qui ont suivi le même chemin. Au rythme des fusions, des acquisitions, les effectifs sont restés les mêmes et ont parfois grossi… pour justifier la complexité grandissante d’une organisation toujours plus délirante. Combien de temps cela durera-t-il ?
La bureaucratie plutôt que l’efficacité…
En tant que fournisseurs de la moitié du marché de l’assurance, Tripalio détient un poste d’observation hors pair sur la place de la bureaucratie dans l’assurance. Au fil des ans, il nous semble que cette place est chaque année confortée.
Elle est une réalité première dans les groupes de protection sociale qui ont subi le choc de fusions successives sans licenciement autorisé par les conseils d’administration. Ce phénomène a quelque chose d’aussi comique que tragique. Les administrateurs syndiqués croient rendre service aux salariés en interdisant les licenciements secs. En réalité, ils organisent le malheur de beaucoup d’entre eux, maintenus en emploi certes, mais dans des placards, ou sur des strapontins âprement discutés chaque matin par des collaborateurs qui se disputent sans pitié des bouts de dossiers pour éviter l’ennui.
Mais on aurait tort de limiter le phénomène bureaucratique dans l’assurance à ces assureurs santé. L’une de nos premières expériences de vente, il y a six ans, s’est faite chez un assureur de la place (qui rêvait à l’époque d’absorber Axa…) devant une quinzaine de collaborateurs venus de trois services différents. Nous étions alors une start-up débutante. Pendant une heure et demie, nous avons assisté aux déclarations de haine entre ces quinze collaborateurs qui n’étaient d’accord sur rien.
Il est fascinant de voir comment les couches bureaucratiques peuvent torpiller toute une organisation.
Bureaucratie et productivité
L’un des effets les plus pervers de la bureaucratie consiste à demander toujours plus de moyens pour être toujours moins efficace. De ce point de vue, le fonctionnement de certains grands assureurs n’est pas différent de celui des grandes administrations. Les collaborateurs inventent rapidement des procédures absconses pour justifier leur salaire… et ne tardent pas à demander de nouveaux effectifs pour les aides dans des tâches mystérieuses compréhensibles d’eux seuls.
On devinera dans cet ensemble les expressions bien connues de cahier des charges, qui est demandé sur tout et à tous propos, de business model et de business plan, que la bureaucratie intermédiaire adore exiger à tous bouts de champs. Il est toujours très comique de voir dans les bureaux des sièges des salariés n’ayant jamais créé une entreprise (et qui en seraient incapables, d’ailleurs) tyranniser des petits courtiers qui font comme ils peuvent en exigeant d’eux des documents impossibles à fournir, l’arrogance aux lèvres, et le mépris dans le regard.
Au final, toutes ces procédures sont un immense empêchement pour faire des affaires et pour développer les entreprises. Mais ne le dites surtout pas, les bureaucrates sont convaincus du contraire.
Normes réglementaires et bureaucratie
Il est vrai que la propension à développer de la bureaucratie n’est pas née de rien. Elle s’appuie sur les nombreuses interventions de l’Etat, et notamment sur ses interventions réglementaires ou normatives largement initiées… par les assureurs eux-mêmes pour javelliser la concurrence. Qu’il s’agisse de solvabilité 2 ou d’autres directives supposées moraliser le marché, partout ont fleuri les fonctions bureaucratiques dans les entreprises, qui minorent chaque jour un peu plus cette fonction grossière qu’on appelle “vendre un contrat”.
Plus le temps passe, plus les fonctions d’audit, de surveillance, d’analyse de conformité transforment l’assurance en un métier de reporting, où la fonction principale consiste à “assurer”, sans vendre de contrat (nous y reviendrons demain…), laissant à d’autres le soin de distribuer les contrats aux assurés. Il est probable que sans cette épaisse couche de normes qui fait les délices des grandes écoles et des adeptes de la chicanerie actuarielle, la physionomie de l’assurance serait beaucoup moins bureaucratique.
La bureaucratie laisse-t-elle encore des moyens aux autres ?
Dans tout cet univers de plus en plus bureaucratique, une question cruciale est désormais posée : les salaires des bureaucrates ont-ils pris un tel poids dans l’industrie de l’assurance qu’ils ne laissent plus guère de moyens aux autres, et aux autres fonctions ? On pense ici aux gains de productivité que permettraient des refactorisations de logiciels, malheureusement trop chères pour des états-majors où l’essentiel des ressources est ponctionné par les salaires des bureaucrates.
Le plus cocasse vient sans doute du fait que ces projets informatiques trop coûteux sont le plus souvent achetés par… d’anciens informaticiens devenus bureaucrates de l’innovation dans les compagnies, les groupes ou les mutuelles. Ils savent donc comment faire monter les prix pour dissuader leur hiérarchie d’acheter des produits qui permettraient de tailler dans les effectifs.
L’heure des plans de licenciement arrive-t-elle ?
Après une expérience réussie de cinq ans où nous avons commercialisé des produits d’externalisation des directions juridiques et marketing, il nous semble que la bureaucratie assurantielle a désormais atteint ses limites. La captation des fonctions-clés par un “marais” de cols blancs qui a fait son beurre d’un fonctionnement sous-optimal de leur entreprise ne paraît plus guère compatible avec les marges de plus en plus limitées des acteurs du système. D’une part, la sinistralité est appelée à augmenter en dommage. D’autre part, la taxation massive pointe le bout de son nez en vie et en non-vie.
Ces évolutions systémiques obligeront, selon nous, les compagnies à remettre en cause leur doctrine historique du “pas de vague” social.