Cet arrêt provient du site du syndicat CFDT.
L’employeur ne peut motiver le licenciement d’une salariée enceinte par le seul fait qu’elle est inapte à tout poste et que le reclassement est impossible dans l’entreprise. C’est aux visas des articles L. 1225-4 et L. 1232-6 du Code du travail que la Cour de cassation rappelle que les motifs de licenciement d’une salariée en état de grossesse sont limités. Le contrat de travail ne peut être rompu qu’en cas de faute grave de l’intéressée non liée à l’état de grossesse ou de l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse. Cass.soc.03.11.16, n°15.15333.
• Rappel : une protection « spéciale » contre le licenciement L’article L. 1225-4 du Code du travail prévoit une protection spéciale de la salariée contre le licenciement qui couvre toute sa grossesse, la durée du congé maternité et au-delà du retour du congé de maternité.
La protection est dite « relative » durant la période pré et post congé de maternité (c’est le cas en l’espèce). C’est-à-dire qu’il est possible de licencier la salariée seulement dans deux hypothèses :- en cas de licenciement pour faute grave non liée à son état de grossesse ou,- en cas d’impossibilité de maintenir son contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.
Il appartient alors à l’employeur de rapporter la preuve du bien fondé du licenciement.Durant la période du congé de maternité, la protection est dite « absolue ». Il est, cette fois, strictement interdit de licencier la salariée. Toute prise d’effet ou notification de la rupture, et même la mise en œuvre des mesures préparatoires à une telle décision, sont interdites et ce, quel que soit le motif de licenciement (faute grave ou licenciement économique, notamment).
L’article L. 1232-6 du Code du travail prévoit quant à lui que le ou les motifs de licenciement, invoqués par l’employeur, doivent être mentionnés dans la lettre de licenciement. Aussi, l’employeur qui souhaite licencier la salariée enceinte doit mentionner expressement dans ladite lettre : soit une faute grave de la salariée soit l’impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement (1).
• Faits, procédure, prétention des partiesCette affaire concerne une professeur de danse au sein d’une association qui, à l’issue de son congé maternité, est placée en arrêt de travail pour maladie. Lors de sa visite de reprise, le médecin du travail la déclare inapte à tout poste dans l’entreprise avec mention d’un danger immédiat.
Deux mois plus tard, en mai 2009, elle informe son employeur de sa nouvelle grossesse en lui adressant un certificat médical. Quelques mois après, fin juillet 2009, l’employeur décide de la licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement, tant au sein de l’association qu’en externe.La salariée décide de saisir la justice afin de faire reconnaître son licenciement nul car pris en violation des dispositions relatives à la grossesse et la maternité.
Les juges du fond donnent raison à la salariée et déclarent le licenciement nul. Pour eux, cette dernière ne peut être licenciée que si la lettre de licenciement est motivée par la faute grave de l’intéressée non liée à son état de grossesse ou par l’impossibilité pour l’employeur de maintenir son contrat pour un motif étranger à la grossesse. Par ailleurs, les juges soulignent que le lien entre l’inaptitude de la salariée et l’état de grossesse n’a pas été exclu expressément par ladite lettre.
Pour l’employeur, les dispositions du Code du travail (articles L. 1232-6 et L. 1225-4) sont respectées. La lettre de licenciement énonce le motif de licenciement, en l’espèce, l’inaptitude de la salariée et l’impossibilité de reclassement, à l’exclusion de tout autre motif. Par ailleurs, il reproche aux juges de ne pas avoir recherché si le contrat de travail pouvait être maintenu.L’employeur décide donc de former un pourvoi. La Cour de cassation doit alors répondre à la question suivante :L’employeur peut-il justifier le licenciement de la salariée enceinte en le motivant uniquement par l’inaptitude et l’impossibilité de reclassement de cette dernière ?
• Les motifs justifiant le licenciement d’une femme enceinte sont limitésNon, répond la Cour de cassation, en combinant les articles L. 1225-4 et L. 1232-6 du Code du travail : l’employeur , qui est tenu d’énoncer les motifs dans la lettre de licenciement, ne peut résilier le contrat de travail d’une salariée en état de grossesse médicalement constatée que s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée non liée à l’état de grossesse ou de l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse.
En l’espèce, la lettre de licenciement ne mentionne aucun de ces deux cas. Aussi, les juges du fond en ont exactement déduit que le licenciement est nul.La Cour de cassation ne semble pas fermer la porte à ce qu’une femme enceinte déclarée inapte à tout poste et dont le reclassement est impossible, puisse être licenciée mais encore faut-il que la lettre de licenciement soit motivée par un des deux cas autorisés de licenciement, en l’espèce, il s’agit de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail.
• L’inaptitude de la salariée ne suffit pas, encore faut-il que le contrat ne puisse être maintenu
La lettre de licenciement doit énoncer le ou les motifs qui rendent impossible le maintien du contrat de travail, à défaut le licenciement est nul (2).En l’espèce, l’employeur motive la lettre de licenciement par l’inaptitude de la salariée et l’impossibilité de reclassement mais ne précise pas en quoi il était dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail. D’ailleurs, la Cour de cassation précise que ce n’est pas aux juges du fond de rechercher si le contrat pouvait être maintenu.
L’impossibilité de maintenir le contrat de travail est strictement appréciée par la Cour de cassation. Par exemple, l’existence d’une cause économique ne constitue pas nécessairement l’impossibilité de maintenir le contrat de travail (3). En revanche, le licenciement est justifié s’il est motivé par une compression générale du personnel (4).
En l’espèce, l’employeur aurait dû préciser dans la lettre de licenciement en quoi l’inaptitude et l’impossibilité de reclassement de la salariée rendaient impossibles le maintien de son contrat de travail, ainsi que le caractère étranger à la grossesse de la rupture.
Les conséquences sont lourdes, puisque le licenciement est jugé nul. D’autant que la loi Travail a alourdi les sanctions en cas de violation des dispositions relatives à la grossesse et la maternité.
Désormais, en cas de licenciement nul lié à la grossesse et à la maternité : le juge octroie à la salariée une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois. Le nouvel article L. 1235-3-1 précise que cette indemnité qui n’est applicable qu’en l’absence de demande par la salariée de sa réintégration ou lorsque celle-ci est impossible, s’ajoute à l’indemnité de licenciement ainsi qu’au rappel de salaire dont la salariée a été privée pendant la période couverte par la nullité.
Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte une nouvelle fois des précisions quant à la protection de la salariée enceinte. La CFDT ne peut qu’encourager le renforcement de cette protection, en appliquant strictement les dispositions relatives à la grossesse et à la maternité.