La consécration du défenseur syndical par la loi « Macron »

Alors que la loi « Macron » pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, vient d’être définitivement adoptée par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution en date du 10 juillet 2015, il apparait utile de détailler ses apports concernant le défenseur syndical. Précisons cependant à titre liminaire que la loi n’est pas promulguée à ce jour, et qu’il convient d’attendre sa publication au Journal officiel pour que le texte entre dans notre système juridique. Dans l’intervalle, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer dans le délai d’un mois à compter de sa saisine par les parlementaires de l’opposition. De surcroît, les dispositions relatives au défenseur syndical ne devraient entrer en vigueur au plus tard que le premier jour du douzième mois suivant la publication de la présente loi[1], dans l’attente des décrets d’application. 

 

Un statut d’acteur, dans le contentieux prud’homal 

 

Il n’est pas passé inaperçu pour nombre de praticiens du droit du travail, que le texte instaurait un véritable statut de « défenseur syndical » en modifiant à cet effet le code du travail. L’ancien article L. 1453-4 ne sera désormais plus isolé, en tant qu’il était le seul texte à évoquer les salariés exerçant des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et désignés dans les établissements d’au moins onze salariés. 

 

La nouvelle rédaction de l’article L. 1453-4 du code du travail pose clairement l’office de cet acteur juridictionnel : « Un défenseur syndical exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel[2] en matière prud’homale. Il est inscrit sur une liste arrêtée par l’autorité administrative sur proposition des organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche, dans des conditions définies par décret ». 

 

Un nouvel article L. 1453-5, précise que dans les établissements d’au moins onze salariés, le défenseur syndical disposera du temps nécessaire à l’exercice de ses fonctions, dans la limite de dix heures par mois. De plus, aux termes de l’article L. 1453-6, « le temps passé par le défenseur syndical hors de l’entreprise pendant les heures de travail pour l’exercice de sa mission est assimilé à une durée de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés et du droit aux prestations d’assurances sociales et aux prestations familiales ainsi qu’au regard de tous les droits que le salarié tient du fait de son ancienneté dans l’entreprise. Ces absences sont rémunérées par l’employeur et n’entraînent aucune diminution des rémunérations et avantages correspondants ». Les employeurs seront remboursés par l’État des salaires maintenus pendant les absences du défenseur syndical pour l’exercice de sa mission ainsi que des avantages et des charges sociales correspondants. S’agissant du défenseur syndical qui exerce son activité professionnelle en dehors de tout établissement ou qui dépend de plusieurs employeurs, un décret devra déterminer les modalités de son indemnisation. 

 

Acteur incontournable des contentieux prud’homaux, le défenseur doit se former ; à cet effet il pourra demander des autorisations d’absence à l’employeur, qui lui seront accordées dans la limite de deux semaines par période de quatre ans suivant la publication de la liste des défenseurs syndicaux sur laquelle il est inscrit. Ces absences seront assimilées à une durée de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés, du droit aux prestations d’assurances sociales et aux prestations familiales ainsi que pour l’ensemble des autres droits résultant pour l’intéressé de son contrat de travail et seront rémunérées par l’employeur sans qu’il ne puisse les imputer sur celles des congés payés annuels. Elles sont admises au titre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle, dans les conditions prévues à l’article L. 6331-1. 

 

Dans le cadre de sa mission légale, selon le nouvel article L. 1453-8 ; « le défenseur syndical est tenu au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. Il est tenu à une obligation de discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu’il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d’une négociation ». Etant précisé que « toute méconnaissance de ces obligations peut entraîner la radiation de l’intéressé de la liste des défenseurs syndicaux par l’autorité administrative. 

 

Un statut protecteur, du contrat de travail 

 

Le défenseur syndical devient un « salarié protégé », puisqu’est inséré un article L. 1453-9 qui dispose que l’exercice de sa mission ne peut être une cause de sanction disciplinaire ou de rupture du contrat de travail et que son licenciement est soumis à la procédure d’autorisation administrative. Le législateur entend donc octroyer au défenseur syndical le statut protecteur prévu au livre IV de la deuxième partie du code du travail. D’ailleurs, la loi complète l’article L. 2411-1, qui liste les bénéficiaires de la protection contre le licenciement, par un 19° mentionnant le défenseur syndical. L’amendement adopté doit donc être salué en ce qu’il vise à prévoir les mêmes garanties pour les défenseurs syndicaux que celles prévues pour les autres salariés protégés, tels que les représentants du personnel ou le conseiller du salarié[3]

 

Concrètement, le licenciement du défenseur syndical ne pourra intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. Il en ira de même, pour la rupture du contrat de travail à durée déterminée avant son terme, en raison d’une faute grave ou de l’inaptitude constatée par le médecin du travail, ou à l’arrivée du terme, lorsque l’employeur n’envisage pas de renouveler un contrat comportant une clause de renouvellement. Le défenseur syndical bénéficiera également de la protection statutaire en cas d’interruption ou de non-renouvellement d’une mission de travail temporaire, ainsi qu’en cas de transfert partiel d’entreprise ou d’établissement. 

 

Au titre des dispositions pénales, le législateur ajoute un article L. 2439-1 au code du travail selon lequel, le fait de rompre le contrat de travail d’un défenseur syndical inscrit sur la liste arrêtée par l’autorité administrative, ou de transférer son contrat dans le cadre d’un transfert partiel d’entreprise ou d’établissement, en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d’autorisation administrative, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 €. 

 

Le droit positif ne protégeait pas le défenseur syndical au même titre que les autres salariés titulaires du « statut protecteur » contre le risque d’éviction. Tout juste, l’employeur qui licenciait un tel salarié risquait de se rendre coupable du délit de discrimination à raison des activités syndicales[4], voir être condamné pour licenciement intervenu en violation de l’article L. 1132-1 du code du travail. Désormais, l’employeur qui envisagera de se séparer d’un salarié exerçant l’activité de défenseur syndical devra obligatoirement passer par la phase d’autorisation administrative. 

 

Néanmoins, une précision doit être apportée, s’agissant des salariés titulaires de mandats extérieurs. Le fait que des salariés exercent diverses fonctions à l’extérieur de l’entreprise, conduit à s’interroger sur la connaissance par l’employeur de l’existence de tels mandats. Comment pourrait-il en effet respecter les règles entourant le licenciement des salariés protégés, puisque par définition, il ignore ce que fait son salarié en dehors des murs de l’entreprise ? Auparavant, la jurisprudence considérait que la publication au recueil des actes administratifs des préfectures de la liste des conseillers du salarié suffisait à rendre le statut protecteur opposable à l’employeur[5]. Mais cette interprétation faisait peser un grand risque sur les employeurs, puisque même de bonne foi, ils étaient susceptibles de licencier un salarié protégé. 

 

Saisi le 7 mars 2012, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’association « Temps de vie », relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 2411-1, L. 2411-3 et L. 2411-18 du code du travail, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation[6] ainsi rédigée : « Considérant que la protection assurée au salarié par les dispositions contestées découle de l’exercice d’un mandat extérieur à l’entreprise ; que, par suite, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d’une telle protection dès lors qu’il est établi qu’il n’en a pas informé son employeur au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement »[7]. En conséquence, même si le salarié titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise n’est toujours pas tenu d’en informer son employeur lors de l’embauche ou en cours d’exécution de son contrat de travail, il devra impérativement, s’il souhaite se prévaloir de la protection légale, en informer son employeur au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement. La Cour de cassation fait désormais application de cette réserve d’interprétation créée par les Sages du Palais-Royal, elle juge en effet que « l’article L. 2411-1 16° du code du travail et les articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code doivent être interprétés en ce sens que le salarié protégé n’est pas en droit de se prévaloir de la protection résultant d’un mandat extérieur à l’entreprise lorsqu’il est établi qu’il n’en a pas informé son employeur au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement »[8]

 

A notre sens, cette jurisprudence devrait trouver à s’appliquer au défenseur syndical compte tenu de son mandat extérieur à l’entreprise. Aussi, dès que les décrets d’application seront publiés et que les listes arrêtées par l’autorité administrative auront été créées, le défenseur désigné par son organisation syndicale, sera bien avisé d’informer son employeur au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement, s’il souhaite bénéficier du statut protecteur. 

 

* * * 

 

[1] Article 259, V, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ; « Les 19° à 21° du même I et le II du même article entrent en vigueur au plus tard le premier jour du douzième mois suivant la publication de la présente loi ». 

[2] Possibilité maintenue,alors que des amendements avaient été déposés au cours des débats parlementaires, tendant à supprimer la possibilité pour le défenseur syndical d’exercer des fonctions d’assistance ou de représentation devant les cours d’appel en matière prud’homale. (Notamment : Amendement N° 208 rectifié, déposé le 7 avril 2015 par : MM. Mézard, Bertrand, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Mmes Laborde, Malherbe, M. Requier). 

[3] Amendement n° 2678 présenté par M. Ferrand, M. Robiliard, M. Castaner, M. Grandguillaume, M. Savary, M. Tourret, M. Travert, Mme Untermaier et Mme Valter. 

[4]Cass. crim., 6 mai 2008, n° : 07-80.530, Bull. crim. 2008, N° 106. 

[5]Cass. soc., 13 juill. 2004,n° 02-42.681, Bull. 2004 V N° 212 p. 196, Dr. soc. 2004. 1153, obs. J. Savatier. 

[6] « Par cette réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel lève les ambiguïtés qui agitaient les rapports entre employeurs et salariés protégés par un mandat extérieur à l’entreprise » : Dr. Soc., n° 9 sept. 2012, p. 799, « La pacification par le Conseil constitutionnel des rapports entre employeurs et salariés protégés », par Julien Bonnet. 

[7] Cons. const., 14 mai 2012, n° 2012-242 QPC, « Association Temps de Vie », Considérant n° 10 ; (D. 2012. Pan. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2012. 796, note J. Bonnet ; Constitutions 2012. 459, chron. C. Radé ; RSC 2012. 871, obs. A. Cerf-Hollender). 

[8] Cass. soc., 6 mai 2014, n° 13-16.498, Inédit ;Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-28.269, FS-P+B, M. D. et a. c/ Sté Ambulances usselloises ; JCP S. n° 24, 11 Juin 2013, 1252, commentaire Daniel Boulmier. – V. également : Cass. soc., 14 sept. 2012, n° 11-21.307 ; JCP S 2012, 1468, note D. Boulmier ; RDT 2013, p. 48, note J.-M. Verdier. – T. Durand, « Le salarié investi d’un mandat extérieur à l’épreuve de la schizophrénie patronale : la chambre sociale de la Cour de cassation confirme le diagnostic erroné du Conseil constitutionnel » : Dr. ouvrier 2013, p. 1. 

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