La CFDT revient sur les limites au port de signes religieux en entreprise

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.

 

Deux ans après avoir interrogé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la chambre sociale vient préciser les conditions dans lesquelles un employeur peut interdire le port de signes religieux. La Cour de cassation reconnaît ainsi qu’une entreprise privée peut introduire dans son règlement intérieur une clause de neutralité prohibant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Elle ajoute que si le salarié refuse de s’y conformer, l’employeur doit chercher à le reclasser sur un poste n’impliquant pas de contact visuel avec les clients avant d’envisager son licenciement. En revanche, à défaut de clause du règlement intérieur, le licenciement sera considéré comme discriminatoire. Cass.soc.22.11.17, n°13-19855. 

  • Rappel des faits

Une salariée est embauchée en CDI par une société de conseil en qualité d’ingénieure d’études. Elle porte alors le voile au bureau, comme en rendez-vous client, sans que cela ne lui soit reproché. Le règlement intérieur ne prévoit aucune disposition particulière à ce sujet. Jusqu’au jour où son employeur reçoit une plainte de l’un des clients auprès duquel elle était intervenue, ce dernier demandant à ce que l’employée ôte son foulard lors de ses visites. L’entreprise somme alors la salariée de retirer son voile dès lors qu’elle intervient dans les entreprises clientes de la société. Face au refus de la salariée, la société la licencie pour faute. Estimant son licenciement discriminatoire, la salariée saisit la justice. 

Le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel rejettent sa demande et considèrent au contraire qu’il n’y a pas de discrimination directe. D’une part parce que son voile était, au quotidien, autorisé au sein même de l’entreprise, d’autre part parce que cette restriction était légitime et procédait des intérêts de l’entreprise. 

La salariée se pourvoit alors en cassation et lui soumet la question suivante : une entreprise est-elle fondée à sanctionner une salariée qui refuse de retirer son voile, dès lors qu’un client le réclame ? 

Avant de répondre, la Cour de cassation a préféré interroger la CJUE dans le cadre d’une question préjudicielle. 

Rappel du cadre posé par la CJUELe 14 mars 2017, la CJUE,a clarifié les conditions dans lesquelles une entreprise pouvait apporter des restrictions au port de signes religieux en son sein (1).la CJUE reconnaît la possibilité pour une entreprise privée de prévoir une règle interne interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu travail, à condition :- qu’elle repose sur un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse,- qu’elle soit générale et indifférenciée,et qu’elle ne vise que les salariés en contact avec la clientèle.Elle ajoute qu’en cas de refus du salarié de se conformer à cette règle, l’employeur doit chercher à le reclasser dans un poste sans contact visuel avec la clientèle, avant d’envisager son licenciement. La CJUE a également précisé que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir une travailleuse porter un foulard islamique ne pouvait être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante susceptible de justifier une discrimination (2). 

  • La possibilité de prévoir des clauses de neutralité

Avant de statuer, la Cour de cassation rappelle le cadre posé par la CJUE. Elle reconnaît que l’employeur « investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié », peut prévoir dans le règlement intérieur ou une note de service, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause : – est générale et indifférenciée, c’est-à-dire, qu’elle interdit aussi bien les signes religieux, politiques que philosophiques (sans en viser un en particulier) ; – et qu’elle ne s’applique qu’aux salariés se trouvant en contact avec la clientèle. 

La consécration de l’obligation de reclassement 

La Cour de cassation reprend par ailleurs l’obligation de reclassement du salarié. En cas de refus du salarié de se conformer à une clause de neutralité, l’employeur a l’obligation de rechercher, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, à reclasser le salarié à un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec la clientèle avant de procéder à son licenciement. 

  • Une clause de neutralité impérativement prévue dans le règlement intérieur

Au-delà de ces conditions, Cour de cassation pose une nouvelle exigence : la clause qui impose la neutralité dans l’entreprise doit obligatoirement figurer dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise au même régime(3). Dès lors qu’il est question d’une mesure disciplinaire dans l’entreprise qui apporte qui plus est une restriction aux droits fondamentaux, un certain nombre de garanties doivent être assurées(4). A défaut, les clauses du règlement intérieur seraient inopposables au salarié(5). Le règlement intérieur devient donc l’unique support possible de l’instauration d’une politique de neutralité au sein de l’entreprise

  • A défaut de clause dans le règlement intérieur, le licenciement constitue une discrimination directe

Or, en l’espèce, l’entreprise n’avait pas introduit de clause de neutralité, interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux, que ce soit dans le cadre du règlement intérieur ou d’une note de service. Qui plus est, l’interdiction faite à la salariée de porter le voile ne résultait que d’un ordre oral visant un signe religieux déterminé. 

Pour la Cour de cassation, il y a donc bien une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses.  

La seule chose qui aurait pu alors justifier cette différence de traitement aurait été l’existence d’une exigence professionnelle et déterminante telle qu’elle est prévue par l’article 4§1 de la directive. 

Pour rappel, selon l’article 4 de la Directive, les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement prohibée par la même directive ne constitue pas une discrimination lorsqu’en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée(6) . 

Or, sur ce point, la CJUE a été très claire : la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services de l’entreprise assurés par une salariée portant le foulard islamique ne peut pas être considérée comme une exigence professionnelle et déterminante une telle discrimination. 

La Cour de cassation n’avait donc pas d’autre choix que de considérer le licenciement discriminatoire et de casser l’arrêt de la cour d’appel. Elle renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Versailles. 

  • Une solution qui ne surprend pas mais dont la portée reste mitigée

En combinant les solutions dégagées par la CJUE et le Code du travail (ouvrant la possibilité de prévoir dans le règlement intérieur une clause de neutralité), la chambre sociale transpose, mais surtout précise, le cadre d’instauration d’une politique de neutralité dans les entreprises privées. En ce sens, la décision a le mérite de rendre les règles applicables plus lisibles tant pour les droits des salariés, que pour les entreprises. Par ailleurs, on ne peut qu’approuver l’obligation pour l’entreprise de chercher à reclasser le salarié avant de procéder à son licenciement. Mais il reste à préciser les contours de cette obligation (quel périmètre ? quel type de poste ?). En revanche, on peut regretter le rôle central donné au règlement intérieur. Certes, la décision va dans le sens de la loi Travail du 8 août 2016(7), mais la question du fait religieux en entreprise ne doit pas se régler que par la voie disciplinaire, mais au contraire par le dialogue et l’anticipation. 

La Cour de cassation conforte d’autant plus le rôle du règlement intérieur, qu’elle ajoute, dans sa note explicative, que si sa décision ne s’oppose pas à la négociation dans l’entreprise de chartes éthiques portant sur les modalités du « vivre ensemble dans la communauté de travail », de telles chartes étant dénuées de caractère obligatoire, ne pourraient pas fonder un « licenciement pour motif disciplinaire dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles comportent ». 

Il ne reste qu’à attendre la décision rendue par la cour d’appel de renvoi, qui devrait conclure à un licenciement discriminatoire. 

 

 

(1)CJUE, 14.03.17, C-157/15, Aff G4S Secure Solutions NV (Belgique) et C-188/15, Aff. Micropole SA (France). (2) Art 4 § 1 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travaiil. (3) Art L.1321-5 C.trav. (4) La communication du règlement intérieur à l’inspection du travail, le contrôle de l’inspecteur sur la licéité de la clause et la consultation obligatoire du comité d’entreprise et, le cas échéant du CHSCT. (5) Cass.soc.09.05.12, n° 11-13687. (6) Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ; Art L.1133-1 C.trav pour l’application française.(7) Loi n°2016-1088 du 08.08.16 ; Art L.1321-1 C.trav. « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché». A noter, qu’à l’époque des faits, cette disposition n’existait pas encore. (8) Cass.soc.25.06.14, n°13-28369, Affaire « Baby-Loup » 

 

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