La CFDT : La Haute juridiction réaffirme la nécessité de protéger les salariés investis d’un mandat

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat la CFDT

Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)(1), la chambre sociale de la Cour de cassation a réaffirmé la nécessaire protection spéciale des salariés investis d’un mandat de représentation du personnel en cas de résiliation judiciaire. Elle a jugé que les articles instituant cette protection ne portaient pas une atteinte disproportionnée à des principes à valeur constitutionnelle tels que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle ou encore le droit de propriété de l’employeur. Cass. soc. 04.02.16, n° U 15-21536. 

Dans cette affaire, un employeur a tenté d’utiliser ces principes constitutionnellement garantis pour faire échec à la protection exceptionnelle dont bénéficie les salariés protégés en cas de rupture du contrat de travail par résiliation judiciaire. 

Un salarié peut agir devant le Conseil de prud’hommes pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements graves de l’employeur à ses obligations. Dans ce cas, les relations contractuelles de travail se poursuivent dans l’attente de la décision du Conseil de Prud’hommes. Si la demande est justifiée, la résiliation judiciaire produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (2) ou d’un licenciement nul (cf. infra), à la date de son prononcé par le juge (3). 

La contestation de la nullité du licenciement en cas de résiliation du contrat d’un salarié protégé. 

A l’occasion d’un pourvoi en cassation, un employeur a invoqué l’inconstitutionnalité de certains articles du Code du travail (art. L. 2411-22, L. 2421-1 à L. 2421-5 et L. 2422-4 C.trav.) au regard de la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et du droit de propriété. 

Ici, plus que ces articles prévoyant la protection exceptionnelle des salariés, c’est leur interprétation par la Cour de cassation qui était réellement mise en cause. 

En effet, la Haute juridiction juge de manière constante que lorsque la demande émane d’un salarié protégé, la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur (l’employeur n’ayant pas demandé l’autorisation de licencier le salarié) (4). 

Cette demande doit s’apprécier en tenant compte de l’ensemble des règles applicables à son contrat de travail mais aussi des exigences propres à son mandat (5). Ainsi un salarié titulaire d’un mandat représentatif peut faire une demande de résiliation judiciaire si l’employeur a manqué à ses obligations tant à l’égard de son contrat de travail que de son mandat. La résiliation lui ouvre alors le droit au paiement d’une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait dû percevoir jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours au jour de la demande de résiliation judiciaire (6). 

Par cette question prioritaire de constitutionalité, l’employeur tentait de contester le fait qu’un employeur puisse être condamné pour licenciement nul (et aux indemnités afférentes) sans avoir directement licencié son salarié et, potentiellement, sans avoir manqué à ses obligations au regard de son mandat. 

C’est pourquoi la question suivante a été posée à la Cour de cassation : « Les dispositions des articles L. 2411-22, L. 2421-1 à L. 2421-5 et L. 2422-4 du code du travail, telles qu’interprétées de manière constante par la Cour de cassation, en ce qu’elles impliquent que lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation, y compris extérieur à l’entreprise, est prononcée aux torts de l’employeur, la rupture produit automatiquement les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur avec toutes conséquences indemnitaires, que les manquements de l’employeur soient ou non en lien avec le mandat, sont-elles contraires à la liberté d’entreprendre, à la liberté contractuelle et au droit de propriété de l’employeur constitutionnellement garantis ? » 

Le droit syndical et le principe de participation justifient la protection exceptionnelle 

La Cour de cassation a refusé de renvoyer la QPC devant le Conseil constitutionnel. Cette question était néanmoins l’occasion de réaffirmer l’importance des normes sociales constitutionnellement garanties. 

Elle rappelle, tout d’abord, que les dispositions législatives mises en causes, prévoyant une protection exceptionnelle contre le licenciement, ont pour objet de garantir l’indépendance des salariés investis d’un mandat représentatif. Elle juge que ces règles « ne portent une atteinte disproportionnée ni à la liberté d’entreprendre, ni au droit de propriété, non plus qu’au droit au maintien de l’économie des contrats légalement formés ». 

Elle souligne ensuite un point non négligeable omis par les demandeurs : la résiliation judiciaire n’est prononcée qu’en cas de manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. La condamnation de l’employeur est ainsi proprement fondée. 

De toute évidence, l’employeur ne pouvait pas raisonnablement arguer de l’absence de lien entre les manquements (justifiant la résiliation judiciaire et produisant les effets d’un licenciement nul) et le mandat du salarié. En effet, lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations au regard du contrat de travail, le mandat du salarié est forcément impacté en ce qu’il ne peut plus exercer normalement son travail. Il ne peut plus, a fortiori, exercer normalement son mandat. D’ailleurs, dans bien des cas, les manquements de l’employeur trouvent leur source dans le mandat (ce qui est constitutif d’une discrimination syndicale). 

Pour finir, la Cour de cassation fait elle-même appel à des principes à valeur constitutionnelle : le droit syndical et le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Elle affirme que les règles particulières applicables aux salariés protégés ne visent qu’à assurer l’effectivité du droit syndical et du principe de participation. Cela justifie que les représentants du personnel bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle. 

Par cette décision, la Cour de cassation fait, fort heureusement, œuvre de rempart face à la tentative de s’attaquer aux droits syndicaux. Elle réaffirme ainsi la nécessité d’une protection exceptionnelle, même en cas de résiliation judiciaire, comme corollaire au droit à la participation des travailleurs. 

(1) Une question prioritaire de constitutionnalité peut être posée par tout justiciable, au cours d’une instance judiciaire, pour invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative. Cette question est transmise par le juge du fond à la Cour de cassation, puis au Conseil constitutionnel lorsque certaines conditions sont remplies. La question doit porter sur une disposition législative applicable au litige ou à la procédure, ou constituant le fondement des poursuites. La disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement des circonstances. (2) Cass. soc. 20.01.1998, n° 95-43350 (3) Cass. soc. 11.01.2007, n° 05-40626 (4) Cass. soc. 26.09. 2006, n° 05-41890 (5) Cass. soc. 04.05.2011, n° 09-70702 (6) Cass. soc. 04.03.2009, n° 07-45344 ; Cass. soc. 04.05.2011, n° 09-43206 ; Cass. soc. 13 .02.2013, n° 11-26913 (est incluse la période de protection instituée par le législateur à l’issue du mandat). 

Ajouter aux articles favoris
Please login to bookmark Close
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer

Un premier avenant intéressant pour la PSC du ministère de l’Intérieur

Un an après la signature de l’accord ministériel du 16 mai 2024 sur la protection sociale complémentaire (PSC) des agents du ministère de l’Intérieur et des outre-mer, un premier avenant est venu, le 12 mars 2025, en corriger plusieurs aspects. Publié au Journal officiel d'aujourd'hui, ce texte modifie la structure des bénéficiaires, ajuste un article sur la gouvernance et corrige une rédaction ambiguë sur les ayants droit. La principale évolution porte sur...

Budget 2025 : plus de 33 milliards d’euros alloués aux établissements médico-sociaux par la CNSA

Un arrêté publié au Journal officiel d'aujourd'hui, fixe pour l’année 2025 l’objectif de dépenses et le montant total annuel des financements alloués aux établissements et services médico-sociaux relevant de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). L’objectif de dépenses est établi à 33 248,30 Md€ pour l’ensemble du secteur. Ce montant se répartit entre 17 538,87 Md€ pour les établissements et services accueillant des personnes âgées...

Dotations médico-sociales 2025 : 32,55 Md€ répartis entre les régions par la CNSA

Par décision du 2 juin 2025, publiée au Journal officiel d'aujourd'hui, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a fixé les dotations régionales limitatives applicables aux établissements et services médico-sociaux pour l’année 2025. Ces dotations, réparties par Agence régionale de santé (ARS), concernent à la fois les structures accueillant des personnes âgées et celles destinées aux personnes en situation de handicap. Le montant total...