Cet article a été intialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
L’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 a fusionné tous les accords dont les dispositions l’emportaient sur celles du contrat de travail pour les fondre en un seul régime : les accords liés à l’emploi et au fonctionnement de l’entreprise (1). En donnant plus de liberté aux négociateurs, le législateur fait le pari de leur responsabilité. Une telle responsabilité est particulièrement importante au regard des enjeux liés à l’entrée en application de ces accords, que les salariés ne pourront refuser qu’au péril d’un licenciement. Dans les lignes qui suivent, Me Cotza (avocate associée, cabinet Legendre-Picard-Saadat) nous livre son point de vue, ainsi que quelques points de vigilance à avoir en tête lors des négociations.
Des AME aux accords emploi et fonctionnement de l’entreprise
Introduits respectivement dans le Code du travail en 2013 et 2016, les Accords de maintien de l’emploi (AME) et les Accords en faveur de la préservation ou du développement de l’emploi (APDE) auront eu une vie aussi courte que confidentielle. Ces deux dispositifs, assez peu connus du grand public, sont aujourd’hui remplacés par un nouveau type d’accord, bénéficiant d’un cadre juridique très (trop ?) souple, que le législateur s’est abstenu de nommer.
Et pour cause. Les anciennes terminologies, d’« accord compétitivité » ou d’« accord de maintien de l’emploi » sont devenues trop restrictives pour désigner ce nouvel accord, dont l’objet dépasse largement le champ de l’emploi. L’article L.2254-2.I. du Code du travail prévoit désormais que ces accords ont pour objet de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi ».
Ces accords, que l’on baptisera « accords emploi et fonctionnement de l’entreprise », sont susceptibles d’avoir les mêmes conséquences que les AME et les APDE à l’égard des salariés, à savoir principalement la modification de leur contrat de travail (impact sur leur rémunération, leur volume horaire, etc.).
Pour rendre ces accords plus attractifs que leur aïeux les AME et les APDE, le législateur a fait œuvre de simplification extrême, puisque tout y est facilité : des conditions préalables à leur signature, en passant par leur contenu, jusqu’ à leur suivi…
Ainsi, la détermination du contenu de ces accords est-elle laissée presque entièrement à la discrétion des partenaires sociaux. Ce dispositif appelle les organisations syndicales à une particulière vigilance, en particulier sur 5 aspects.
Points de vigilance lors de la négociation des accords
– La nécessité d’être éclairé
Une bonne négociation équilibrée suppose que les parties soient placées sur un pied d’égalité en ce qui concerne le niveau d’information.
Or, c’est naturellement l’employeur qui détient les informations, les organisations syndicales en étant les créancières.
Pour garantir la qualité de la négociation, deux conditions nous paraissent essentielles :
– les négociateurs doivent pouvoir disposer du recours à un expert pour connaître la situation financière réelle de l’entreprise et vérifier les projections économiques de l’employeur. Si l’expertise n’est plus de droit quelle que soit la taille de l’entreprise, elle doit être exigée par les organisations syndicales comme condition préalable à la négociation (par exemple dans un accord de méthode) ;
– les négociations des accords « emploi et fonctionnement de l’entreprise » ne doivent pas être dissociées de l’information/consultation sur les orientations stratégiques du comité d’entreprise (futur CSE).
Ainsi, nous conseillons vivement d’intégrer systématiquement dans ces accords une partie « diagnostic », portant évaluation de la situation actuelle de l’entreprise, ainsi qu’une partie « prospective », identifiant clairement les grands projets de l’employeur sur la durée de l’accord et les indicateurs de suivi.
La formalisation de ce diagnostic et du programme d’action dans l’accord leur conférera un caractère contractuel qui en facilitera l’interprétation et l’exécution de bonne foi.
Les organisations syndicales doivent pouvoir négocier en connaissant les orientations que l’employeur souhaite donner à son entreprise à moyen terme.
– L’exigence de précision dans la rédaction du contenu de l’accord
La plus grande vigilance est également requise s’agissant de la rédaction de l’accord. Le choix des mots est souvent décisif, ou même l’articulation de ses différentes stipulations.
« Rédiger, c’est orienter »
Par exemple, l’employeur aura naturellement un penchant pour recourir à des verbes à caractère non contraignant (ex. la société « s’efforce », « encourage »…), qui lui laisseront une grande souplesse dans l’application de l’accord.
Il nous faudra donc être particulièrement attentifs à ce que les obligations de l’employeur présentent un caractère réellement contraignant (du type : « la société doit » ou « s’engage à »).
– L’impératif de suivi par les partenaires sociaux
Il ne suffit pas de signer un accord, encore faut-il en assurer le suivi après signature ! Cette tâche est indispensable.
Or, si l’article 3 de l’ordonnance du 22 septembre 2017 n°2017-1385 est silencieux sur les modalités de suivi de l’accord Emploi et fonctionnement de l’entreprise, il ne faut pas oublier que la loi Travail du 8 août 2016 a également introduit dans le Code du travail l’article L.2222-5-1, qui prévoit que « La convention ou l’accord définit ses conditions de suivi et comporte des clauses de rendez-vous ».
Une clause de rendez-vous engage les parties contractantes à se rencontrer avant l’échéance de l’accord afin de décider d’une éventuelle poursuite de leur relation à la fin de celui-ci, mais également de s’assurer qu’il a bien été respecté.
Ces clauses de rendez-vous devront être rédigées avec la plus grande précision.
Outre qu’il faudra définir la périodicité de ces rencontres et les membres de la commission de suivi, les négociateurs oublient très souvent un certain nombre de précisions, qui sont pourtant essentielles, ainsi en est-il pour :
/ les informations qui doivent être communiquées par l’employeur pour chaque réunion de la commission de suivi,
/ la charge de la rédaction des comptes rendus de chaque réunion,
/ les modalités de prise en compte des remarques des participants aux commissions
– L’exécution loyale de l’accord
Il n’est pas inintéressant d’observer que pour les accords de maintien de l’emploi, le législateur avait prévu un dispositif spécifique de recours au juge en cas de défaillance de l’employeur.
Ainsi, l’article L.5125-5 du Code du travail prévoyait-il que « l’accord peut être suspendu par décision du Président du Tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, à la demande d’un de ses signataires ; lorsque le juge estime que les engagements souscrits, notamment en matière de maintien de l’emploi, ne sont pas appliqués de manière loyale et sérieuse ou que la situation économique de l’entreprise a évolué de manière significative. »
Ce dispositif n’est pas repris pour les accords emploi et fonctionnement de l’entreprise, alors même qu’il visait à garantir l’exécution loyale de l’accord par l’employeur.
Si le législateur n’a pas fait preuve de la même rigueur s’agissant de ces nouveaux accords, rien n’empêche les partenaires sociaux de prévoir un dispositif similaire permettant de garantir son exécution loyale par l’employeur !
On pourrait notamment imaginer un dispositif de mise en demeure, de recours à un médiateur en cas de difficulté d’application ou d’interprétation de l’accord assorti d’une suspension immédiate de l’accord dans l’attente de l’issue du différend.
Il faudra bien évidemment penser à prévoir les effets de la suspension de l’accord sur la situation individuelle des salariés (retrouvent-ils leur ancien salaire automatiquement, leurs anciens horaires ?).
– Prise en compte des conséquences pour les salariés
Les conséquences pour les salariés de la signature d’un accord emploi et fonctionnement de l’entreprise sont particulièrement importantes. Le salarié qui refuse la substitution des clauses prévues par l’accord à celles de son contrat s’expose à un licenciement, qui sera considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse.
Compte tenu des enjeux, il est impératif que les partenaires sociaux prévoient deux garanties.
Une garantie d’information des salariés : les organisations syndicales ne doivent pas se contenter de la simple communication aux salariés de l’existence et du contenu de l’accord ; il faut que le salarié puisse bénéficier d’une explication détaillée du contenu de l’accord et des conséquences de son refus sur la poursuite du contrat de travail.
Le salarié devrait également pouvoir solliciter un entretien avec le service des ressources humaines en étant assisté par un représentant du personnel.
Pourquoi ne pas également imaginer qu’une notice explicative de l’accord soit corédigée avec les organisations syndicales et l’employeur ?
Comme il a été précédemment rappelé, le salarié qui aura refusé la modification de son contrat de travail sera licencié pour un motif réputé réel et sérieux.
Néanmoins, il n’est pas inenvisageable que l’employeur soit lui-même défaillant dans l’exécution de ses obligations. La faute de l’employeur devrait pouvoir permettre au salarié de contester a posteriori son licenciement ou d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Or, depuis les ordonnances du 22 septembre 2017, le délai de prescription pour contester son licenciement est désormais d’1 an. Compte tenu du raccourcissement de ce délai, et alors même que la défaillance de l’employeur est souvent révélée postérieurement, le salarié risque de se voir priver de la possibilité de solliciter en justice des dommages et intérêts.
Il faudrait donc prévoir dans l’accord un dispositif permettant d’indemniser le salarié licencié en cas d’exécution fautive de l’accord par l’employeur.
On l’a bien compris, ce type d’accord révèle le souci du législateur de laisser une très grande latitude au dialogue social et de faire confiance aux partenaires sociaux pour négocier aux mieux dans l’intérêt collectif des salariés.
Les organisations syndicales devront faire preuve de la plus grande rigueur dans l’exercice de leurs actions revendicatives. La confiance dans le dialogue social implique donc immanquablement une plus grande responsabilisation des négociateurs et devrait déboucher sur une meilleure professionnalisation des militants.
(1) Nous vous présenterons le détail du nouveau régime de ces accords dans un prochain numéro d’Action juridique, qui paraîtra sans tarder après le vote définitif de la loi de ratification.