Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat de salariés CFDT.
Les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes jouent un rôle essentiel dans la protection des consommateurs et la veille sanitaire. Mais une réforme incohérente et la baisse des moyens mettent leurs missions en péril.
Ils traquent les œufs au fipronil, les arnaques au numéro téléphonique surtaxé, les moteurs Diesel trafiqués… Les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) voient la liste de leurs champs d’intervention s’allonger au fur et à mesure des nouvelles réglementations et des trouvailles des industriels pour les contourner. Leur travail relève de trois grandes missions : la régulation concurrentielle des marchés (c’est dans ce cadre que l’enseigne Intermarché a été verbalisée pour vente à perte de lots de pots de Nutella® en janvier dernier) ; la protection économique des consommateurs, qui cible la publicité mensongère et les infractions aux règles d’affichage des prix ; enfin, le contrôle de la sécurité des produits alimentaires et industriels.
Cette dernière mission est la plus connue du public. Une popularité due à quelques affaires retentissantes, dont la dernière en date, Lactalis, a éclaté fin 2017. Des milliers de boîtes de lait infantile contaminé à la salmonelle ont dû être retirées des rayons. Ce n’était pas la première fois que Lactalis se faisait épingler. En 2005 déjà, une salmonelle avait été détectée à l’usine de Craon, en Mayenne. « Nos collègues de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Mayenne, qui comptait à l’époque treize agents, ont géré cette crise sans difficulté, se remémore Marie Pique, responsable DGCCRF et Laboratoires à la CFDT-Finances. Une fois la présence de salmonelle identifiée, les collègues de Mayenne ont pu alerter toutes les autres directions départementales et faire procéder aux prélèvements et au retrait des produits. En 2005, le maillage territorial permettait ce travail en réseau. » Mais, en 2017, quand des salmonelles réapparaissent chez Lactalis, la DGCCRF n’a plus la même force de frappe.
La réforme de 2010 est passée par là. « Les agents n’étaient plus que quatre à la direction départementale de Mayenne, explique Marie Pique. Et depuis 2010, ceux-ci n’ont plus l’autorité pour répercuter l’alerte sur l’ensemble du réseau et gérer la crise. L’affaire a dû être reprise en main par le Service national des enquêtes. »
“Les agents de la DGCCRF doivent désormais obtenir l’aval du préfet pour, le cas échéant, contrôler et sanctionner les entreprises.”
La réforme a mis à mal les services. Une partie des agents travaillent sous l’autorité de la région, quand l’autre partie a été rattachée au préfet de département (lire ci-dessous) : leur lien hiérarchique direct avec le ministère de l’Économie est rompu. « Cela pose la question de l’indépendance des agents », souligne Marie Pique. Les agents de la DGCCRF doivent désormais obtenir l’aval du préfet pour, le cas échéant, contrôler et sanctionner les entreprises. Censé promouvoir l’attractivité du territoire, un préfet peut être tenté de bloquer un procès-verbal de la DGCCRF si l’entreprise visée représente un enjeu important en matière de développement économique et d’emploi.
À cette réorganisation s’ajoute la baisse des effectifs : de 3800 agents avant la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), la DGCCRF est passée à 2800 en 2017, et la loi de finances de 2018 prévoit la suppression de 45 postes supplémentaires. La répartition des agents dans des entités distinctes a eu pour effet d’augmenter la part des fonctions support qui, selon la CFDT-Finances, représentent aujourd’hui 12% de l’emploi, au lieu de 3 % avant la RéATE. Cela au détriment des agents de terrain. En conséquence, « la charge de travail augmente mécaniquement, explique Didier Domain, de la direction départementale du Loir-et-Cher. Les agents ne peuvent plus vraiment se spécialiser ». Ce que confirme Damien Macé, inspecteur à Blois, chargé de contrôler les agences immobilières, les produits cosmétiques et les fertilisants, des sujets à la fois techniques et très éloignés les uns des autres.
« On ne peut pas interroger un chef d’entreprise sur ses produits sans un minimum de connaissances, explique-t-il. Or nous devons être opérationnels très rapidement. » Le manque d’effectifs entraîne une dégradation du service. « Quand les contrôles se raréfient, les professionnels le savent et en profitent, explique Damien. La peur du gendarme, ce que nous appelons la pression de contrôle, ne fonctionne plus. »
C’est vrai pour les petits commerçants, pour les grandes entreprises aussi. Cette pression de contrôle est un élément crucial de la prévention, afin que des crises sanitaires du style Lactalis ne puissent pas se produire. « Nous n’arrivons plus à détecter les fraudes en amont, les collègues dans les départements sont isolés et cantonnés à des missions très locales, comme surveiller les prix affichés par les auto-écoles ou les diplômes des coiffeurs, explique Marie Pique. Ils ne peuvent plus faire de contrôles de filières à l’occasion, par exemple, de la première mise sur le marché d’un produit. »
De grands enjeux de santé publique
Or cette fragilisation de la DGCCRF survient alors que de nouveaux enjeux de santé publique se profilent. Trois grands chantiers vont mobiliser les services dans les années à venir. Les nanoparticules, d’abord : si ces substances réputées dangereuses pour la santé ne sont pas interdites, il est toutefois obligatoire de mentionner leur présence dans les produits, ce que ne font pas les industriels actuellement.
Cela amène la DGCCRF à effectuer un travail de fourmi, en ordonnant des prélèvements sur tout produit suspecté. Autre dossier dont l’importance grandit : les perturbateurs endocriniens dans les cosmétiques, emballages, produits d’hygiène, etc. Enfin, le développement de l’économie numérique avec le contrôle de l’activité de ses principaux acteurs (Google, Facebook, Amazon) représente un défi colossal en matière de protection des consommateurs.
La question des moyens de la DGCCRF risque donc de se poser avec une plus grande acuité. La CFDT-Finances tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs années. « La CFDT a demandé au gouvernement de restaurer à Bercy, et sous l’autorité du ministre de l’Économie, l’efficacité, l’unité et les moyens de la DGCCRF », souligne Marie Pique. Emmanuel Macron, quand il était ministre de l’Économie sous le précédent quinquennat, s’était prononcé en faveur d’une telle évolution, l’actuel ministre Bruno Le Maire également. Les agents veulent y croire.
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Une réorganisation aux effets pervers Menée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et plus précisément de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), la réforme de 2010 a bouleversé les services de la DGCCRF. Les agents, jusque-là organisés en réseau et directement rattachés au ministère de l’Économie, ont été répartis entre les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) et les directions départementales interministérielles. Les effets pervers de la réforme ont été mis en évidence dans un rapport conjoint des inspections générales des finances et de l’administration, qui pointe « des difficultés ressenties et exprimées » se traduisant par une baisse de l’activité entre 2010 et 2014 que la seule réduction des effectifs ne suffit pas à expliquer. |