C’est en jouant la carte de la radicalité que Philippe Martinez, secrétaire général d’une CGT toujours tourmentée, a décidé de se maintenir dans sa position et de s’y faire reconnaître comme légitime. Ce bon vieux retour aux classiques pourrait toutefois rapidement se heurter aux structures actuelles de la CGT.
L’ambiance fébrile des grands jours
Une fois n’est pas coutume, le 51ème congrès confédéral de la CGT ne s’ouvre pas sous les meilleurs auspices. L’affaire Lepaon est encore – bien évidemment – dans tous les esprits. S’il est vrai que ce que la France compte de ministres, de parlementaires et d’hommes politiques locaux a dû s’étonner de l’indignation suscitée par les sommes citées à l’occasion de ce grand déballage médiatique, dans les rangs cégétistes, le mauvais usage des fonds syndicaux est beaucoup moins bien passé. En outre, la sinécure promise par le gouvernement à Thierry Lepaon ne plait guère plus. Résultat : assis non loin – mais pas à côté… – de Louis Viannet et Bernard Thibault, Thierry Lepaon a été hué par la foule des congressistes. Grand nettoyage de printemps !
Pour les militants et les responsables de la CGT, l’autre sujet du moment, c’est le projet de loi Travail. Très investis dans la mobilisation contre ce texte, ils seraient de plus en plus partagés sur les modes d’action à adopter. Continuer les journées de grève et d’action ponctuelles, moins coûteuses financièrement qu’une grève reconductible mais dont l’impact demeure incertain ? Appeler à une grève générale reconductible, pari risqué mais à haute rentabilité potentielle ? Indécis, les cégétistes ont en tout cas désigné leurs ennemis communs : la CFDT et le PS. A l’instar de Thierry Lepaon, Philippe Antoine (CFDT) et Jean Grosset (PS, conseiller social de M. Cambadélis) ont été copieusement sifflés. “Le congrès s’est exprimé” a noté M. Martinez en conférence de presse.
Le consensus peu coûteux de la radicalité
A l’occasion de son discours d’ouverture, Philippe Martinez a passé en revue les grandes indignations et luttes contemporaines de la CGT : soutien aux salariés de Goodyear, d’Air France, aux travailleurs sans papiers, au peuple palestinien et à la mobilisation à Mayotte, mais aussi dénonciation de la répression du syndicalisme. Puis M. Martinez a insisté sur le positionnement de la CGT en qualité de syndicat “de classe et de masse”, qui doit défendre les 32 heures de travail hebdomadaire, dénoncer “le coût du capital” et obtenir le retrait total de la loi El Khomri. Face à tant de bonnes volontés confédérales, l’assistance n’avait d’autre choix que d’acquiescer et même, d’applaudir. Les 80 ans de 1936 donneraient-ils aux congressistes des envies de communion générale ?
En gage de sa bonne foi radicale, le secrétaire général de la CGT a explicitement critiqué la politique du “syndicalisme rassemblé” initiée par MM. Viannet et Thibault et qui s’est notamment traduite par un rapprochement entre la CGT et la CFDT. Il a pointé “l’erreur que nous avons faite ces dernières années en favorisant peut-être nos relations avec la CFDT au moment de l’accord puis de la loi sur la représentativité.” Selon lui, ce malheureux tir aurait été “corrigé dans le conflit qui nous occupe depuis le mois de février. ” Les militants présents étaient visiblement satisfaits des propos tenus. Pour Philippe Martinez, qui n’entend pas voir la CGT perdre, durant son mandat, sa place de première organisation syndicale nationale, l’heure est venue d’enfoncer la CFDT.
Une mise en oeuvre hypothétique
En admettant que Philippe Martinez entend tirer des conséquences concrètes de sa radicalisation verbale, il risque vite d’être confronté à certaines pratiques syndicales problématiques ayant cours au sein de l’appareil cégétiste. En particulier, si l’affaire Lepaon a révélé au grand jour les comportements étranges de certains responsables confédéraux, des problèmes difficiles à ignorer font ou ont fait parler d’eux dans d’importantes fédérations, comme le Transport, le Commerce ou les Ports et Docks, ou des UD, comme l’UD 52 ou l’UD du Nord et l’UD… 13 ! Ces phénomènes, qui sont largement la conséquence de l’éloignement d’avec la base des bureaucrates syndicaux, sont tout à fait incompatibles avec une radicalisation des formes d’action de l’organisation.
Surtout, ils contribuent à dégrader l’image que les salariés ont de la CGT et, a fortiori, ils ne favorisent pas l’augmentation du taux de syndicalisation. Autrement dit, si M. Martinez veut que la CGT demeure la première organisation syndicale du pays et puisse agir indépendamment de la CFDT, il va s’avérer nécessaire pour les responsables cégétistes de revoir leur conception du syndicalisme, en retournant plus souvent sur le terrain. Dans les très nombreuses TPE et petites PME, auprès des jeunes, des salariés précaires voire des auto-entrepreneurs, mais également auprès des cadres : c’est surtout là que se situent les marges de progression de la CGT, plus en tout cas que dans les innombrables et lointaines institutions sociales tripartites ou paritaires.
De ce point de vue, et assez paradoxalement, en donnant la priorité aux négociations d’entreprises, le projet de loi El Khomri pourrait servir la CGT de Philippe Martinez. N’a-t-elle pas le plus grand besoin de trouver des raisons et des moyens de regagner les entreprises ? Les discussions qui auront lieu au sujet du projet de loi Travail lors du congrès de Marseille, permettront de savoir si oui ou non, les dirigeants de la CGT ont compris ceci.