Hiérarchie des normes dans les branches : l’inversion se précise au profit des accords d’entreprise !

Cet article est initialement paru sur Décider et Entreprendre.

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 1er mars 2017 un arrêt relatif aux règles de fixation du contingent d’heures supplémentaires dans le cadre de la négociation collective. Cet arrêt a été l’occasion pour la Cour de cassation d’apporter des précisions sur la hiérarchie des normes entre accords de branche et accords d’entreprise ou d’établissement. 

 

Le cadre législatif

L’article L 3121-11 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, prévoit la possibilité de fixer par voie d’accord d’entreprise ou d’établissement le contingent annuel des heures supplémentaires à un niveau différent de celui retenu par l’accord de branche. 

En effet, cet article énonce que « Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. » 

 

Les faits soumis à la Chambre sociale de la Cour de cassation

Dans l’arrête du 1er mars 2017, un accord d’entreprise du 19 avril 2011 signé dans la CCN des industries chimiques (IDCC 44) avait porté à 220 heures par an le contingent des heures supplémentaires, alors qu’un accord de branche du 4 mai 2004 l’avait fixé à 130 heures. 

Cet accord de branche étant antérieur à la loi de 2008, les juges de la Chambre sociale de la Cour de cassation ont dû répondre à la question de savoir si les partenaires sociaux avaient la possibilité de déroger à un accord de branche antérieur à la loi nouvelle. 

 

Le respect du principe de non-rétroactivité prévaut selon la cour d’appel

La cour d’appel de Versailles a apporté une réponse négative à la question posée en basant son raisonnement sur la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. 

Cette loi avait introduit dans un certain nombre de domaines, la possibilité de déroger par accord d’entreprise, même dans un sens défavorable aux salariés, aux dispositions d’un accord de branche. Toutefois cette faculté était prévue à condition de respecter le principe de non-rétroactivité. 

Ainsi, un accord d’entreprise, même conclu postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004 ne pouvait déroger par des clauses moins favorables à une convention collective de niveau supérieur conclue antérieurement à cette date. 

La cour d’appel de Versailles a considéré que le même raisonnement valait pour la loi du 20 août 2008 et que les partenaires sociaux de la CCN des industries chimiques ne pouvaient pas déroger par accord d’entreprise à un accord de branche antérieur à cette loi. 

 

L’accord de branche est subsidiaire à l’accord d’entreprise selon la Cour de cassation

Face au raisonnement de la cour d’appel, la Chambre sociale de la Cour de cassation a concédé que le doute était possible. Toutefois, elle a souligné que le Conseil constitutionnel avait jugé que « les dispositions de la loi selon lesquelles des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche s’appliquent immédiatement et permettent la négociation d’accords d’entreprise nonobstant l’existence éventuelle de clauses contraires dans des accords de branche” (Cons. Const., 7 août 2008, n° 2008-568 DC). 

La Chambre sociale de la Cour de cassation en a déduit que l’article L 3121-11 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 est d’application immédiate et permet de fixer par voie d’accord d’entreprise ou d’établissement le contingent d’heures supplémentaires à un niveau différent de celui prévu par l’accord de branche, quelle que soit la date de conclusion de ce dernier. 

Il ressort de cette décision que l’accord de branche ne peut pas limiter les pouvoirs des partenaires sociaux pour la conclusion d’accords de niveau inférieur, notamment pour la fixation du contingent d’heures supplémentaires. 

Ce principe de la subsidiarité de l’accord de branche par rapport à l’accord d’entreprise ou d’établissement est maintenu dans le nouvel article L 3121-33 du Code du travail, issu de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. 

 

Le texte de l’arrêt

On retrouvera, ci-dessous, le texte de l’arrêt. 

 

Demandeur : société Fiabila, société anonyme Défendeur : Syndicat national des industries chimiques CGT (fnic-cgt) ; et autres 


Résumé : Les dispositions de l’article L. 3121-11 alinéa 1er du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008, permettent de fixer par voie d’accord d’entreprise ou d’ établissement le contingent d’heures supplémentaires à un niveau différent de celui prévu par l’accord de branche, quelle que soit la date de conclusion de ce dernier. 


Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Fiabila (la société), qui est soumise à la convention collective nationale des industries chimiques, a signé avec la Délégation unique du Personnel un accord d’entreprise du 19 avril 2011 portant le contingent annuel d’heures supplémentaires à un montant de 220 heures par salarié, supérieur à celui prévu par l’accord de branche ; que la commission paritaire de branche a validé l’accord le 31 août 2011 et la DIRECCTE l’a enregistré le 8 septembre 2011 ; que la Fédération nationale des industries chimiques CGT (la fédération) a fait assigner la société Fiabila ainsi que la délégation unique du personnel de l’entreprise et ses membres devant un tribunal de grande instance en annulation de l’accord d’entreprise ; 

Sur le moyen unique du pourvoi incident : 

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen annexé qui n’est pas de nature à entraîner la cassation ; 

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal : 

Vu l’article L. 3121-11, alinéa 1, du code du travail dans sa rédaction issue de l’article 18 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ; 

Attendu qu’aux termes de ce texte, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ; que ces dispositions sont d’application immédiate et permettent de fixer par voie d’accord d’entreprise ou d’établissement le contingent d’heures supplémentaires à un niveau différent de celui prévu par l’accord de branche, quelle que soit la date de conclusion de ce dernier ; 

Attendu que pour annuler l’accord d’entreprise du 19 avril 2011, l’arrêt retient, d’abord, que si le Conseil constitutionnel a indiqué que les parties à la négociation collective peuvent dès la publication de la loi du 20 août 2008 conclure des accords d’entreprise prévoyant un contingent différent d’heures supplémentaires (du contingent prévu par les conventions collectives antérieures), c’est à la condition d’avoir dénoncé ces conventions antérieures, ce qui n’est pas le cas en l’espèce concernant l’accord cadre de branche en date du 8 février 1999, ensuite, que cet accord cadre, qui a été conclu avant la loi du 4 mai 2004, laquelle a remis en cause la hiérarchie des normes jusqu’alors en vigueur, ne comprend pas de dispositions permettant expressément aux entreprises d’y déroger et fixe dans son article 8 le contingent d’heures supplémentaires à 130 heures par an et par salarié, enfin, qu’il n’est pas possible de conclure d’accord collectif d’entreprise déterminant un contingent d’heures supplémentaires supérieur à celui prévu par l’accord de branche ; 

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; 

Par ces motifs : 

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare la Fédération nationale des industries chimiques CGT recevable en ses demandes, l’arrêt rendu le 3 novembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; 


Président : M. Frouin Rapporteur : M. Flores, conseiller référendaire Avocat général : M. Liffran Avocats : SCP Lyon-Caen et Thiriez – SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel – SCP Waquet, Farge et Hazan 

 

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