Gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire : des évolutions à attendre ?

La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a organisé plusieurs séances relatives à la gestion du régime de l’assurance maladie obligatoire les 20 octobre, 4 novembre et 18 novembre 2015. Les auditions se sont tenues avant l’adoption du PLFSS 2016, l’article 39 notamment discuté par la MECSS permet de confier directement aux caisses d’assurance maladie la gestion du régime obligatoire jusqu’alors déléguée aux mutuelles. 

 

CNMATS, MSA et RSI doutent de la bonne gestion du régime étudiant

M. Nicolas Revel, directeur général de la CNAMTS commence son audition en avançant que la CNAMTS n’a pas à faire de proposition pour reconfigurer le paysage législatif. Il se contente alors de donner des observations sur la situation de l’assurance maladie. Il rappelle d’abord que les régimes spécifiques (étudiants et fonctionnaires) concernent 8 millions d’assurés pour un total de 8,5 milliards d’euros de prestations en nature et un coût de gestion d’un peu plus de 350 millions d’euros. Il précise également que les modalités de gestion diffèrent grandement selon les mutuelles étudiantes. Concernant le régime des fonctionnaires, M. Revel dit que le mode de gestion varie selon les différentes sections et que la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) gère toujours elle-même ses affiliés. 

Il propose alors de tenter de répondre à deux question pour améliorer le système : d’abord, les modalités de gestion du régime obligatoire assurent-elles aujourd’hui une bonne qualité de service aux assurés ? Ensuite, les ratios de coûts de gestion des régimes sont-ils aussi serrés que possible ? 

M. Revel répond à la première question en affirmant que la LMDE est confrontée à de grandes difficultés et a dû s’adosser au régime général : la reprise de la gestion des 900 000 affiliés à la LMDE a été évaluée à 395 équivalents temps plein (ETP) soit 20 millions d’euros de masse salariale chargée. Pour cela, la CNAMTS a repris les 430 agents de la LMDE. Cette reprise devrait permettre d’économiser entre 10 et 14 millions d’euros d’après M. Revel : les 900 000 dossiers d’étudiants ont ainsi été intégrés au système informatique de la CNAMTS depuis le 1er octobre 2015. De plus, certains locaux loués par la LMDE sont désormais vacants, les baux concernés peuvent donc être résiliés et créer de nouvelles économies. 

S’agissant des mutuelles de fonctionnaires, il déclare que la CNAMTS incite les mutuelles à réduire leurs dépenses de fonctionnement. 

 

Le directeur délégué aux politiques sociales de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), M. Franck Duclos, précise qu’en 2014, la MSA s’est vue confier le monopole de la gestion des branches maladie et accident du travail/maladie professionnelle des non-salariés agricoles. Ce transfert a permis l’intégration de 400 000 assurés. Cette reprise et la suppression des postes y étant associée a permis de réaliser une économie d’un peu plus de 20 millions d’euros. 

M. Duclos remet ensuite en question la qualité de gestion et des prestations des mutuelles étudiantes. Il souhaite que la MSA puisse conserver ses assurés étudiants. 

 

M. Gérard Quevillon, président du RSI, s’étonne aussi que les étudiants quittent le régime RSI pour une mutuelle étudiante, il souhaiteriait que ces dossiers continuent à être gérés par le même organisme. M. Stéphane Seiller, directeur général du RSI vient affirmer que l’assurance maladie du RSI fonctionne pas délégation de gestion auprès de 20 organismes conventionnés : les coûts de gestion évalués par l’IGAS seraient de 85 euros par personne protégée. Compte tenu de ce coût qui n’est pas plus élevé que dans les autres systèmes, M. Seiller déplore que le mode de fonctionnement du RSI, par délégation de gestion, soit souvent remis en cause. 

 

Finalement, M. Revel rappelle que les données relatives aux coûts de gestion par assurés sont à prendre avec prudence car les différents régimes recourent à des indicateurs différents : “Tel que nous le définissons, le coût par bénéficiaire actif lié au versement des prestations au régime général – qui comprend l’ensemble des tâches de gestion assurées par les CPAM – s’élève à 60 euros”. Il déclare qu’il n’est possible de comparer que des choses comparables sur des périmètres identiques. 

 

La MFP et la MGEN défendent leur gestion

M. Serge Brichet, président de la Mutualité fonction publique (MFP), commence son intervention en espérant que le texte du PLFSS pour 2016 sera adapté sur plusieurs points. Il déclare que la MFP considère que le texte n’apporte pas la sécurité juridique attendue “quant à la poursuite des missions de gestion que les mutuelles de fonctionnaires exercent depuis des décennies”. 

M. Thierry Beaudet, président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) approuve le point de vue de la MFP et va plus loin en demandant qu’il n’y ait pas de migration obligée des ex-ayants droit vers la CNAMTS. Cela concernerait environ 150 000 ayants droit qui quitteraient la MGEN pour rejoindre la CNAMTS obligatoirement. Pour défendre son propos et garder les ex-ayants droit dans le giron de sa mutuelle, M. Beaudet affirme que le taux de satisfaction des assurés de la MGEN serait supérieur à 92% selon un sondage. Il conteste également les coûts de gestion affichés pour les autres régimes car les périmètres de calcul des coûts varient d’un organisme à l’autre. Il annonce que les coûts de gestion de la MGEN à critères constants ont baissé de 65,20 euros par bénéficiaire actif en 2009 à 51,80 euros en 2014. 

M. Beaudet déplore aussi le fait que la CNAMTS refuse de permettre à la MGEN d’accéder à un portail qu’elle a développé alors que l’utilisation de ce dispositif permettrait de réduire les coûts de gestion. Il réfute l’idée selon laquelle l’universalité de la protection sociale induit l’unicité de caisse, mais il déclare que “selon nous, on sème un certain nombre d’embûches sur notre chemin pour accréditer cette idée”. A bon entendeur… 

M. Brichet intervient alors pour préciser que les mutuelles de fonctionnaires gérant le régime obligatoire sont plutôt bien notées. De plus, il rappelle que les gérants des organismes mutualistes sont “viscéralement attachés à la bonne gestion des deniers publics“. Il affirme aussi que les mutuelles de la fonction publique sont favorables à la généralisation du tiers payant et sont prêtes à le gérer. M. Beaudet est également favorable à cette évolution, mais évoque une limite : les mutuelles ne doivent pas devenir des payeurs aveugles vers qui la CNAMTS se retournerait pour ponctionner la part qu’elles auraient à verser. 

La généralisation de la complémentaire santé est ensuite évoquée. M. Brichet déclare que les mutuelles des fonctionnaires craignent le “siphonnage” d’une partie de leurs assurés qui rejoindraient le contrat collectif de leur conjoint. Il critique également l’article 21 du PLFSS 2016 qui empêcherait toute mutualisation entre actifs et retraités : il considère que c’est une “segmentation supplémentaire, qui constitue […] la négation des mécanismes de mutualisation”. 

M. Beaudet a la même réaction et s’étonne que pour “permettre aux population d’accéder aux soins, on les segmente, en définissant des catégories qui viennent s’ajouter les unes aux autres”. Il profite également de l’audition pour critiquer la directive “solvabilité II” et la perception que les politiques ont des mutuelles : “On ne peut pas, quand cela arrange, nous classer dans la catégorie des assureurs qui doivent répondre à toute une série d’exigences, notamment en matière de solvabilité, et, immédiatement après, nous reprocher le niveau de nos fonds propres et nous accuser de pratiquer des tarifs trop élevés !”. 

Enfin, M. Brichet termine l’audition par ces phrases : “En mettant en regard l’article 39 et l’article 21 du PLFSS pour 2016, nous constatons un véritable paradoxe : d’un côté, en matière d’assurance maladie obligatoire, on cherche à aller vers une unicité de régime ; de l’autre, en matière de couverture complémentaire santé, on souhaite « stimuler la concurrence »“. “En ce qui concerne l’article 21, les dangers potentiels vont au-delà de la démutualisation des risques et des populations. En effet, il faut prendre en compte le fait que les retraités que nous protégeons bénéficient non seulement d’une couverture santé, mais aussi d’une couverture contre les risques longs – dépendance, handicap, décès, etc. –, laquelle risque de disparaître si le dispositif prévu par l’article 21 est mis en place. Je tenais à signaler ce point très important”. 

 

Des mutuelles étudiantes dans des situations opposées

M. Benjamin Chkroun, délégué général d’emeVia est le premier entendu lors de la 3e séance d’audition de la MECSS. Il commence par déclarer que le régime de sécurité sociale étudiant n’est pas adapté à la vie étudiante : les droits sociaux ne commencent qu’au 1er octobre par exemple. Il souhaite que la réglementation soit adaptée à cette population particulière. 

M. Romain Boix, président de La Mutuelle des étudiants (LMDE) intervient ensuite en commençant par rappeler que cette mutuelle sort d’une période de restructuration importante dont le chantier n’est pas terminé. En effet, depuis le 1er octobre 2015, le régime obligatoire est une mission partagée par convention avec la CNAMTS. Ce partage vient du fait que d’importantes difficultés de gestion du régime obligatoire par la LMDE étaient constatées. Mais après un an et quatre mois d’administration provisoire, la LMDE a retrouvé un semblant d’autonomie. Cependant, elle est toujours en attente de la décision de validation du plan de sauvegarde par le TGI de Créteil en janvier 2016. 

Pour expliquer ces difficultés financières, M. Boix précise que la LMDE a été créée sans disposer des fonds propres nécessaires à sa création, grâce à un dispositif de solidarité avec la MGEN qui remplissait les obligations de solvabilité de la LMDE. Mais la LMDE n’a pas su dégager assez d’excédents pour rembourser sa dette initiale alors même qu’elle avait émis des titres participatifs détenus par la Matmut et la MGEN. La transformation qui devait améliorer la situation économique de la LMDE, en 2011 et 2012, a même eu l’effet inverse. Suite à cet échec et à une tentative ratée de rapprochement avec la MGEN, la CNAMTS a été sollicitée pour prendre en charge le régime obligatoire des étudiants. 

Romain Boix annonce qu’un partenariat va être établi permettant à la LMDE de se concentrer sur son cœur de métier, l’objectif étant de descendre à 100 ETP, soit 5 fois moins qu’avant. 

S’agissant des finances de la LMDE, M. Boix admet que la solvabilité de l’organisme est assurée par sa mutuelle substituante et que les marges de solvabilités sont inexistantes. 

 

De son côté, M. Chkroun regrette que les modalités de la gestion mutualiste soient renvoyées à un décret et non précisées par la loi. Il évoque alors les données clefs de l’activité d’emeVia et avance une gestion en bon père de famille du réseau de mutuelles, contrairement à ce qu’a pu proposer la LMDE : “le régime obligatoire d’assurance maladie constitue 88 % de notre activité […] 88 % de nos remboursements sont faits en quarante-huit heures, et les 12 % restant en moins de six jours, grâce à nos investissements dans nos systèmes d’information mais aussi grâce à un taux très élevé d’équipement en cartes Vitale”. Il ne voit pas non plus de problème technique ou opérationnel à la mise concernant la mise en place du tiers payant généralisé. Sur la question des coûts, M. Pierre-Edouard Magnan, trésorier d’emeVia affirme que “sur le plan technique comme sur le plan financier, le régime étudiant de sécurité sociale, quand il fonctionne de façon saine, est particulièrement intéressant pour les finances publiques”. 

 

Des systèmes d’information opérationnels et parés aux réformes

M. Philippe Rouet, responsable de la mission accompagnement des régimes partenaires d’assurance maladie obligatoire au sein de la direction déléguée aux opérations (DDO) de la CNAMTS commence par intervenir. Le système “Infogérance” proposé par la CNAMTS qu’il décrit est utilisé par plusieurs mutuelles, parmi lesquelles la MFP, et la Mutuelle générale de la police. Il affirme que ce dispositif fonctionne, est robuste et éprouvé. De plus, son coût serait marginal. 

M. Philippe Simon, président de Cegedim Assurances, évoque quant à lui le fait que sa société fournisse des solutions informatiques à ses clients chargés de l’assurance maladie complémentaire. Cegedim Assurances propose aussi des services de tiers payant et équipe même des caisses nationales d’assurance maladie à l’étranger. En 2008, une plateforme multi-régimes a ainsi été crée pour la France, ce système est utilisé par la majorité des organismes conventionnés gestionnaires des prestations destinées aux artisans et aux professions libérales. 

M. Christian Chaboud, directeur général de MGEN Technologies, intervient ensuite. Le système d’information qu’il présente a été créé pour faire face aux données traitées par la MGEN. Ce système regroupe 6 applications intégrées et liées les unes aux autres pour la seule partie dédiée aux métiers de la santé et de la prévoyance. Le coût total annuel du système d’information était de 108 millions d’euros en 2014, dont 70 millions d’euros de coût de fonctionnement. Par bénéficiaire, le coût du système revient à 11 euros. 

Les membres de la MECSS profitent de ces informations pour préciser qu’ils souhaiteraient avoir un outil de comptabilité analytique qui puisse justifier des coûts échelonnés entre 2 et 11 euros et variant selon les modalités de calcul des prestations. L’objectif serait évidemment de pouvoir réduire au maximum les coûts d’utilisation des systèmes d’information. 

Sur la question du tiers payant généralisé, M. Simon déclare que cette généralisation ne pose pas de soucis technique à sa société qui dispose des outils nécessaires et maîtrisés, d’autant plus que l’évolution des outils destinés aux médecins a déjà fait l’objet d’une étude. Sa mise en place pourrait être effective dans les mois à venir et les délais de règlement seraient de 2 à 4 jours pour le régime complémentaire. M. Chaboud poursuit dans le même sens, les technologies existent et ce sont plutôt des questions d’ordre politique qui pourraient poser problème : “la convergence des flux de paiement du régime obligatoire et du régime complémentaire sur le poste de travail du prestataire de santé pose de véritables problèmes politiques, mais non techniques”. A entendre ces intervenants, la grogne des médecins opposés au tiers payant pourrait donc être apaisée avec un semblant de volonté politique. 

 

 

Cet articel a été publié sur Décider et Entreprendre

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