Le Conseil Constitutionnel vient de torpiller la généralisation du tiers payant en épinglant le “défaut de compétence” du gouvernement sur la question. Une fois de plus, c’est l’inflation dans une législation de mauvaise qualité qui est mise en exergue. La technostructure est prise d’une diarrhée normative dont le sens s’étiole.
La généralisation inconstitutionnelle
Pour l’essentiel, le Conseil Constitutionnel a constaté que le remboursement des professionnels de santé par la sécurité sociale était encadré, en termes de délais, par la loi, alors que le remboursement aux mêmes par les organismes complémentaires n’avait pas fait l’objet du même encadrement. Le Conseil Constitutionnel a donc déclaré inconstitutionnel le principe du tiers payant pour les dépenses remboursées par les complémentaires:
48. Considérant que les dispositions de l’article 83 prévoient des obligations nouvelles pour les professionnels de santé exerçant en ville, selon un calendrier d’application précisément fixé par le législateur ; qu’il résulte de l’article L. 1111-15 du code de la santé publique que les professionnels de santé exerçant en ville regroupent les professionnels autres que ceux exerçant en établissement de santé ; que les dispositions contestées précisent les conditions dans lesquelles est garanti au professionnel de santé le paiement de la part des honoraires prise en charge par les régimes obligatoires de base d’assurance maladie ; qu’elles imposent le respect d’un délai et le versement d’une pénalité en l’absence de respect de ce délai ; qu’elles imposent également la fourniture au professionnel de santé des informations nécessaires au suivi du paiement de chaque acte ou consultation ; que, toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient des mesures équivalentes en ce qui concerne l’application du tiers payant aux dépenses prises en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire en vertu des dispositions du 4° du paragraphe I de l’article 83 ; qu’en se bornant à édicter une obligation relative aux modalités de paiement de la part des dépenses prise en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire sans assortir cette obligation des garanties assurant la protection des droits et obligations respectifs du professionnel de santé et de l’organisme d’assurance maladie complémentaire, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence ; que, dès lors, les mots « et sur celle couverte par leur organisme d’assurance maladie complémentaire » et les mots « ainsi que les organismes d’assurance maladie complémentaire, pour le bénéfice de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale, » figurant au 4° du paragraphe I de l’article 83, sont contraires à la Constitution ;
Le législateur aurait donc dû mieux assurer la protection des professionnels de santé face aux assureurs complémentaires en imposant à ceux-ci, notamment, des délais de paiement et des pénalités en cas de retard.
La généralisation et l’incompétence
Ce que le Conseil Constitutionnel a sanctionné dans cette affaire, c’est le défaut de compétence du gouvernement. Selon l’article 34 de la Constitution, la loi doit en effet déterminer certains principes que, dans le cas de la généralisation du tiers payant, le gouvernement a renvoyé à des décrets. La circonstance est amusante: Marisol Touraine considérait que les règles du jeu entre les complémentaires santé et les médecins devaient relever des décisions internes à l’administration et ne concernaient pas le Parlement. Le Conseil Constitutionnel l’a entendu autrement.
Dans la pratique, on s’étonnera une nouvelle fois de voir Marisol Touraine présenter au Parlement des textes mal ficelés, qui donnent souvent le sentiment de l’improvisation ou de l’incapacité à arbitrer.
Le même phénomène s’était produit sur les décrets d’application de la loi généralisant la complémentaire santé aux salariés, sur les décrets réformant les contrats responsables, mais aussi sur les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale sur la généralisation de la complémentaire santé aux retraités. Chaque fois, les mêmes constats sont les mêmes: les textes sont présentés à la dernière minute et sont instables jusqu’à la parution (pour les décrets) ou pour le vote. Les députés socialistes eux-mêmes s’en plaignent.
Mais quand les politiques comprendront-ils que de mauvaises normes handicapent la société française, et qu’un ministre incapable de présenter de bons textes nuit gravement à l’intérêt général?