Fusion de branches: 4 âneries de Myriam El-Khomri

Article paru sur Décider & Entreprendre.

La fusion des branches professionnelles n’est pas un sujet simple ni très gratifiant. Le grand public n’y comprend rien et ne s’y intéresse pas, et ses implications économiques et sociaux sont obscures pour beaucoup. Confier ce dossier à Myriam El-Khomri, apparatchik du PS et accessoirement militante associative, qui ignore tout du droit du travail et de la vie en entreprise constitue une évidente prise de risque. Un passage sur France Inter l’a montré: ses propos sur le sujet ont constitué un enfilement d’âneries stupéfiantes. 

Les branches et la concurrence

Pour Myriam El-Khomri: 

Les accords de branches permettent d’avoir une concurrence plus loyale. 

 

Manifestement, la ministre du Travail s’est fait expliquer l’accord de branche par des partisans d’une concurrence avec de fortes barrières à l’entrée, puisque la ministre soutient l’inverse de la réalité. Les négociateurs de branche savent tous qu’un accord de branche vise à favoriser certains acteurs de la branche plutôt que d’autres par la mise en place d’une réglementation partiale. 

Ici, ce sont les acteurs établis sur le marché qui mettent en place des accords salariaux particulièrement dissuasifs pour les nouveaux entrants, en forçant à recruter à des niveaux insoutenables. L’accord dans la production cinématographique en a, ces derniers mois, constitué un merveilleux exemple: les majors, toutes bénéficiaires de subventions au titre de l’exception culturelle, ont cherché à imposer une convention collective destructrice pour le plus grand nombre… tous de taille minuscule. 

C’est d’abord à cela que sert un accord de branche: réduire la concurrence en favorisant les acteurs établis du secteur au détriment des petits ou des nouveaux concurrents. 

Pour le comprendre, il suffit de se poser une question simple: si la justice devait reconnaître le statut de salarié aux chauffeurs d’Uber, la ministre pense-t-elle que les chauffeurs traditionnels négocieraient une convention favorable au développement de ce nouveau concurrent? 

L’objectif d’un accord de branche est bien de limiter la concurrence par la promulgation de normes partiales, mais certainement pas loyales. A n’en pas douter, la fusion des branches projetée par la ministre ne fera qu’accroître ce phénomène; incontestablement, l’harmonisation ne se fera pas par le bas, et la fusion devrait donner l’occasion d’une protection accrue pour les acteurs les mieux installés. 

La branche et la convention collective

Il faudrait quand même expliquer à la ministre du Travail la différence entre une convention collective et une branche professionnelle. Dans son esprit, manifestement, les deux notions sont identiques. C’est évidemment un flagrant contre-sens. 

Rappelons en effet qu’il n’existe pas de définition juridique de la branche professionnelle, qui est un concept économique, alors que la convention collective est une réalité sociale. Un (mauvais) usage veut que la branche corresponde au champ d’application d’une convention collective. Les deux notions sont pourtant distinctes. 

Ainsi, plusieurs conventions collectives peuvent coexister dans une seule branche. C’est le cas dans la métallurgie où il existe des dizaines de conventions collectives, la plupart régionales, avec deux conventions nationales: celle des cadres et celle des non-cadres. Dans l’assurance, il existe quatre conventions collectives: deux pour les “administratifs” et deux pour les “commerciaux”. 

Dans d’autres cas, la même convention collective s’applique à plusieurs branches. Dans l’agriculture, par exemple, le même texte est appliqué dans plus d’une quinzaine de branches différentes. 

Dans d’autres cas, la même convention collective peut donner lieu à des accords de branche qui ne s’appliquent qu’à des secteurs particuliers de la branche (il faudrait ici expliquer la différence entre accord de branche et convention collective à la ministre). Le cas du transport (convention collective n°16) est ici emblématique. Il donne lieu à une profusion d’accords de branche sectoriels: certains pour le transport urbain de voyageurs, différents, sur les mêmes sujets, des accords pour le transport routier ou le transport sanitaire. 

Enfin, une seule entreprise peut recruter des salariés relevant de conventions collectives différentes. Par exemple, peuvent coexister dans le même établissement des personnels sous statut commercial et des personnels administratifs, ou bien des consultants et des journalistes. Dans ce cas, l’entreprise appartient à une seule branche, mais elle relève de conventions collectives différentes. 

La mesure la plus sage pour le gouvernement consisterait, au lieu de fusionner les branches, de leur donner une définition juridique claire. 

700 accords de branche en France

La ministre a répété à l’envi: 

En France nous avons 700 accords de branches. 

 

Ce genre d’approximations est hallucinant à ce niveau de responsabilité. La ministre confond ici l’accord de branche, qui est un texte à valeur normative négocié entre les partenaires sociaux d’une branche, et la branche elle-même, qui est créée par décision patronale et sans intervention des partenaires salariaux. Une branche n’est pas créée par un accord paritaire, mais par une décision politique entre patrons d’un même secteur pour donner vie à une branche. 

En outre, la ministre confond probablement l’accord de branche et la convention collective. L’accord de branche est en effet un texte négocié au niveau de la branche mais qui ne concerne pas les dispositions arrêtées par la convention collective et auxquelles se conforme le contrat de travail dans le champ d’application de la convention. Il existe donc beaucoup plus que 700 accords de branche! Chaque année, il se négocie plus de 1.000 accords de branche en France… 

Quant aux conventions collectives, il en existe également plus d’un millier. Certaines, il est vrai, sont confidentielles et portent sur un nombre très limité de salariés. C’est par exemple le cas dans les ports autonomes, qui ressemblent tous furieusement à des entreprises publiques relevant de l’Etat. Une fois de plus, on se demande pourquoi ce n’est pas l’administration qui précède le mouvement en s’appliquant à elle-même les mesures qu’elle réserve au secteur privé. 

Il existe également des conventions collectives peu actives, parce que le dialogue social s’y fait mal. Imaginer que la fusion des branches va régler le problème est une belle illusion. 

Enfin, il existe une masse de conventions collectives locales, qui précisent tel ou tel droit. Elles donnent le sentiment d’être peu actives, mais elles permettent d’adapter telle ou telle disposition à des salariés concernés par une contrainte spécifique. 

En aucun cas, il n’existe 700 accords de branche. Cette phrase n’a pas de sens. 

Depuis quand parle-t-on de fusion de branches?

La ministre El-Khomri a soutenu une flagrante contre-vérité: 

Sept cents accords de branche, ce n’est pas satisfaisant, et cela fait vingt ans qu’on en parle. 

 

Voilà le genre de phrase entendue dans un dîner en ville, prononcée par des technocrates ou des consultants qui comptent facturer au ministère du travail de belles missions d’accompagnement, mais qui ne correspond en rien à la réalité. 

La meilleure preuve est que chaque année se créent de nouvelles branches, et chaque année il en disparaît de nouvelles. 

A titre d’exemple, le ministère de la culture et le ministère du travail se sont écharpés l’an dernier sur la création d’une convention collective dans la production cinématographique, comme évoqué plus haut. En 2015, deux nouvelles branches professionnelles sont apparues, et là encore l’ignorance de Myriam El-Khomri est stupéfiante. 

En début d’année, c’est la branche des gens d’Eglise qui est née, avec la signature d’une convention collective pour les salariés des employeurs regroupés dans l’Union des Associations Diocésaines de France. Alors que Myriam El-Khomri insinue que les petites branches sont mortes et à couper, voilà un bel exemple de la vitalité d’une branche de taille réduite, mais qui éprouve le besoin de voir le jour. 

Quelques semaines suivantes, l’Etat participait activement à la création d’une autre branche: le rail, qui regroupe les entreprises titulaires d’un titre de sécurité dont l’activité principale est le transport ferroviaire (de voyageurs ou de marchandises) et la gestion, l’exploitation, ou la maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires. Le premier adhérent de cette nouvelle branche est une entreprise bien connue de l’Etat: la SNCF. La création de cette branche a d’ailleurs donné lieu à un conflit entre la CGT Cheminots et la SNCF, finalement tranché par l’intervention de l’Etat. 

Une fois de plus, l’Etat soumet le secteur privé à des injonctions paradoxales: d’un côté, il demande aux chambres patronales de réduire le nombre des branches, d’un autre côté, il en crée pour son propre compte. 

La fusion de branches, une arme contre l’innovation

Pour Myriam El-Khomri, la fusion des branches ressemble à un débat théorique, une sorte de sujet livresque qui se tranche entre universitaires ou fonctionnaires. Face à autant de bêtises, une seule question est à poser: si Apple était né en France, à quelle branche aurait-il été rattaché? Et les concurrents installés d’Apple n’auraient-ils pas cherché à lui imposer des conditions défavorables pour empêcher son développement? 

La fusion des branches, c’est un débat sur l’innovation et la révolution numérique. Là où il faudrait individualiser pour favoriser l’émergence de nouveaux acteurs, le gouvernement veut regrouper pour défendre les rentes. C’est absurde, et la ministre en charge du dossier n’y comprend rien. 

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