Cet article provient du site du syndicat FO.
Le centre d’appel Qualipel, à Vitry sur Seine en région parisienne (Val-de-Marne), emploie environ 500 salariés qui travaillent depuis 2012 à la satisfaction des abonnés de l’opérateur Free, lui-même filiale du groupe Iliad. FO, implantée dans l’entreprise depuis 2015 seulement, est majoritaire, avec 34% des voix depuis les élections professionnelles de novembre 2016, au détriment des anciens, en particulier de la CFDT, qui a disparu, et de l’UNSA. Un résultat que la direction a tout fait pour éviter et qu’elle ne digère visiblement toujours pas. Récit.
C’est d’abord une histoire individuelle, celle d’un jeune salarié confronté à titre personnel à l’injustice de sa direction, Loutfi Benali. Mais l’histoire devient vite collective, celle d’une section syndicale FO qui revendique, que l’employeur fait tout pour écraser mais qui résiste et même progresse.
Tout commence à l’été 2015. Loutfi Benali, arrive à l’Union Départementale FO du Val de Marne. Agé de 24 ans, manager exemplaire chez Free, au centre d’appel Qualipel de Vitry-sur-Seine où il travaille alors depuis trois ans, réputé pour sa précocité et son efficacité professionnelles mais aussi sa droiture et son attachement viscéral à la justice, il est en pleine révolte contre les méthodes arbitraires de sa nouvelle direction.
En ce qui le concerne, cette direction, arrivée six mois auparavant, début 2015, visiblement incommodée par sa manière de ne jamais taire les problèmes, lui a refusé une promotion prévue de longue date au motif qu’il a été malade… Deux jours.
Ce mois de juillet 2015, Loutfi Benali qui a commencé à travailler neuf ans plus tôt, à 15 ans, avec des petits boulots tout en poursuivant sa scolarité, « pour subvenir aux besoins de la famille », demande donc à rencontrer le secrétaire général FO du département, Marc Bonnet.
Quand la direction conteste la désignation du représentant de la section FO et… Perd
Trois mois plus tard, l’Union départementale le désigne représentant de la section syndicale FO chez Qualipel. La direction conteste ce mandat et le traîne en justice. Elle plaide une « désignation frauduleuse » faite dans le but de le protéger de ses sanctions. Seulement voilà, le jeune manager et désormais syndicaliste n’a jamais commis un seul écart disciplinaire et a toujours fourni un travail impeccable avec d’excellents résultats. Il a même été désigné « meilleur responsable d’équipe » de son activité par son ancienne hiérarchie. La direction est donc déboutée en mars 2016.
Loutfi Benali se souvient : « Je me suis retrouvé dans un tribunal pour la première fois de ma vie, alors que mon casier judiciaire est vide, je me suis demandé ce que je faisais là, je me disais “je ne suis pas un criminel !“ Je me sentais coupable alors que je n’avais rien à me reprocher et en colère de ressentir cette culpabilité. J’ai grandi dans la cité Balzac, 18 000 habitants sur les 90 000 de Vitry, avec les trafics, les vols, les violences, j’ai toujours résisté à ça, j’ai choisi le travail et l’acharnement et là je me retrouvais dans un tribunal juste parce que j’avais fait mon travail et que mon patron n’en avait rien à faire de ma situation. »
Quand FO gagne les élections, que la direction conteste les élections et… Perd
Neuf mois après cet épisode douloureux mais victorieux, en novembre 2016, la toute jeune section FO se présente pour la première fois aux élections professionnelles et remporte 34% des voix, devenant ainsi le premier syndicat de l’entreprise devant l’UNSA (27,39%), Sud (22,77%) et la CGT (15,84%). La CFDT, elle, disparaît corps et âme.
La directrice du centre de Vitry et la directrice de production (de tous les centres d’appel) ont assisté toute la nuit au dépouillement en présence d’un huissier, du jamais vu dans l’entreprise. Au bout du compte, un siège au Comité d’entreprise est refusé à FO qui signale cette erreur d’attribution. La direction, elle, finit par contester tout le scrutin.
Après deux audiences devant le Tribunal d’Instance d’Ivry-sur-Seine, la justice tranche le 28 avril dernier en faveur de FO, lui réattribue son siège et rejette le recours en annulation des scrutins délégués du Personnel et élus au comité d’entreprise présenté par l’employeur.
« Syndicat 2 –Employeur 0 », résume Marc Bonnet.
Réseau social obligatoire, temps de travail : les revendications de FO auxquelles la direction voulait échapper
On peut ajouter une troisième victoire de FO, sur le terrain des revendications. La direction voulait imposer à tout le personnel d’utiliser un réseau social d’entreprise installé par elle, WorkPlace. Non seulement il offrait peu de garanties en termes de confidentialité, mais aussi en termes de traçabilité des consignes données aux conseillers par le management. Ce réseau visait en effet à remplacer les boîtes de mails avec lesquelles, à l’inverse, les salariés peuvent toujours garder les mails envoyés par leur hiérarchie pour s’en servir si besoin ultérieurement afin de se défendre face à un reproche, voire une sanction.
La section FO et le CHSCT, où FO a trois sièges sur six, ont obtenu que ce nouveau système ne soit pas obligatoire et la direction a abandonné son projet en février 2017. « Qualipel à Vitry-sur-Seine est aujourd’hui l’un des seuls centres d’appel de Free ou Workplace n’est pas obligatoire », se félicite Loutfi Benali.
Si FO avait existé à ce moment-là, nous n’aurions jamais signé l’annualisation du temps de travail
Dans ce centre qui détient aujourd’hui le plus fort taux d’absentéisme de tous les centres d’appel Free, le cheval de bataille de la section FO concerne le temps de travail.
Depuis l’accord sur son annualisation négocié et signé en 2014, avant l’arrivée de FO « et que nous n’aurions jamais validé ! » commente Loutfi Benali, des compteurs ont été installés, censés totaliser les heures effectuées par les salariés tout au long de l’année et restituer le résultat exact chaque 31 mai.
Mais, « les résultats des compteurs sont faux par rapport aux pointages de salariés, à leur désavantage », explique Loutfi Benali, et cela concerne « des dizaines et des dizaines de salariés », souligne-t-il.
Bien évidemment, le problème ne date pas de cette année. « Mais, avant FO n’était pas là, c’est toute la différence ! » commente avec le sourire le responsable syndical.
A cette étape, la section syndicale FO entreprend des démarches au cas par cas pour chaque salarié qui la saisit, prête à aller jusqu’aux prud’hommes dans les cas où la direction refuserait de reconnaître son erreur.
Autre lièvre levé par la section FO : les fins de journées « écrasées », quand les cinq minutes supplémentaires où l’on reste après l’heure pour finir de régler une question avec un collègue passent à la trappe.
« Voilà pourquoi, on est leur hantise, pourquoi la direction nous considère comme une tare à éliminer : parce qu’on dit les choses telles qu’elles sont et qu’on ne se laisse pas faire », conclut le représentant de la section FO.
« J’irai au bout de mes convictions… Cette expérience m’a fait grandir »
Deux ans après avoir été désigné à ce mandat par l’Union départementale FO, Loutfi Benali est plus combatif que jamais. Pourtant, la « guerre continue », confie-t-il quand on lui pose la question.
Mise à l’écart, absence d’entretien individuel d’évaluation, absence d’entretien de retour après un arrêt maladie… « Ils continuent à tout faire pour me dégoûter, explique-t-il. Mais, ils ne savent pas ce que c’est d’être confronté à de vraies difficultés. Moi, si. Quand ils sauront ce que c’est de grandir dans un quartier défavorisé… J’ai perdu des amis, certains ont été licenciés parce qu’ils étaient proches de moi et de FO. Avec d’autres, il a fallu faire semblant de ne pas se parler pendant un an. Mais je ne regrette rien. J’irai au bout de mes convictions et si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Cette expérience m‘a fait grandir, j’ai rencontré des personnes extraordinaires, qui m’ont aidé, conseillé et beaucoup appris, à l’Union Départementale, comme Marc, et à la Fédération. »
Et s’il le faut, indique-t-il, il invoquera la discrimination et le harcèlement devant les prud’hommes pour sa propre défense. Sans rire, il conclut : « Et cette fois, je serai content d’aller au tribunal ! »