Alors qu’un des pères fondateurs du Code civil disait qu’ « un grand État comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d’industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre ou plus réduite »1, le Chef de l’Etat annonçait hier qu’une loi allait « vite » être présentée au parlement avec pour vocation d’élargir la place de l’accord collectif dans le droit du travail.
Jean-Denis Combrexelle, ancien Directeur de la direction générale du travail (DGT), doit rendre son rapport au Premier ministre demain. L’étude ayant déjà fuité, il apparaît que le texte prévoit de réduire l’intervention législative dans le domaine du droit du travail au profit des négociations entre les partenaires sociaux. La tendance des dix dernières années visant à renforcer le pouvoir normatif des accords collectifs, devrait aboutir à une consécration remarquée, voire contestée courant 2016.
Cataclysme, tsunami, hérésie pour les uns, évolution normale pour les autres, la réduction de la place de la loi dans les relations de travail s’amorce bel et bien contre vents et marrées.
Mais, que les acteurs concernés se rassurent, le projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, fera l’objet (sauf en cas d’urgence dument motivée) d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation. Le Gouvernement devra leur communiquer un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.
Le Président de la République a défendu lors de sa conférence de presse le rapport du Haut fonctionnaire avant même sa présentation, en affirmant que le projet permettra “une meilleure adaptation du droit du travail à la réalité des entreprises”.
Le pouvoir législatif devrait ainsi céder la place à la négociation de branche ou d’entreprise qui porterait sur “quatre piliers”, que seront “le temps de travail, les salaires, l’emploi et les conditions de travail”. La “plus grande place à la négociation collective dans l’élaboration des règles qui encadrent le travail” ne devrait toutefois pas occulter le caractère impératif de l’ordre public social, que seule la loi continuera de déterminer ; comme par exemple le SMIC et la durée maximale du travail. Le Président serait en outre bien inspiré de tenir compte du droit international du travail, tout n’est pas permis !
Reste que le projet vise également à subordonner le contrat de travail à l’accord négocié. La théorie de l’autonomie des volontés si chère aux révolutionnaires, s’en trouvera écornée, en ce sens que la seule manifestation de volonté des cocontractants ne sera plus souveraine, eu égard à l’intervention des partenaires sociaux. Il n’est pas certain qu’Henri Dominique Lacordaire changerait sa célèbre expression en celle-ci « c’est la liberté qui opprime, et l’accord collectif qui affranchit »2…
Avec une curiosité mêlée d’impatience, nous attendons que le Conseil constitutionnel soit saisi d’un tel projet surtout dans son aspect relatif à la liberté contractuelle.
1 -Jean-Etienne-Marie Portalis – Discours préliminaire sur le projet de code civil présenté le 1er pluviôse an IX
2 – 52ème conférence de Notre-Dame, du 16 avril 1848, reprise dans le tome IV p. 494, consacré aux Conférences de Notre-Dame de Paris. T. III. Années 1846, 1848, des Œuvres du R. P. Henri-Dominique Lacordaire, Poussielgue frères, Paris, 1872. – 9 vol