Football professionnel : une relégation ne justifie pas une baisse de rémunération

Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat la CFDT

Quelle est la conséquence d’une relégation en ligue 2 sur le contrat de travail d’un joueur professionnel de football ? Le droit commun du travail s’applique : une convention collective ne peut autoriser l’employeur à modifier le contrat de travail d’un salarié sans son accord exprès, sauf exception prévue au code du travail. C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans le cas particulier des clubs de football professionnels pour lesquels la convention collective applicable traite les conséquences vis-à-vis des joueurs professionnels en cas de relégation en Ligue 2. Cass.soc, 10.02.2016, n°14-26147 

Les faits 

Un grand club de football de L1, après une saison bien compliquée, est relégué en L2 pour la saison 2009-2010. Comme l’y autorise la Charte du football professionnel (ayant valeur de convention collective) le club a pris la décision de diminuer collectivement la rémunération des joueurs. 

Il a ainsi proposé à un des joueurs professionnels de réduire sa rémunération mensuelle de 40%. Ce dernier n’ayant pas donné de réponse dans le délai de 8 jours, le club a considéré que la proposition était acceptée et a par conséquent appliqué la baisse de rémunération. 

Quelques mois plus tard, le salarié a saisi les juges du fond afin d’obtenir un rappel de salaire suite la diminution de sa rémunération. Il considère en effet qu’en l’absence d’accord exprès, l’employeur ne pouvait diminuer son salaire.  

Que dit la Charte du football professionnel ? 

Cette Charte prévoit deux possibilités pour les clubs d’agir sur les rémunérations des joueurs en cas de relégation: 

– Lorsque le club envisage une baisse de la rémunération qui ne dépasse pas 20%, il peut prendre cette décision sans aucun formalisme particulier, c’est-à-dire sans solliciter l’accord préalable du joueur, 

– Lorsque la baisse de la rémunération envisagée est supérieure à 20%, le club doit respecter un certain formalisme. Il doit en faire la proposition au joueur individuellement, par écrit, avant le 30 juin. Ce dernier dispose alors d’un délai de 8 jours pour faire connaître sa réponse. L’absence de réponse équivaut à l’acceptation de la proposition. 

Pour la cour d’appel, la baisse de la rémunération contractuelle, dans le respect des règles fixées par la convention collective, est possible 

La cour d’appel, faisant une application stricte de la charte du football professionnel, a débouté le salarié de ses demandes. 

Elle constate en effet que le club a respecté les règles prévues par la convention collective pour diminuer la rémunération : le club a bien envoyé au salarié une proposition écrite de diminution de sa rémunération, puis a considéré qu’en l’absence de réponse, la proposition était acceptée. 

La cour d’appel considère que l’accord exprès du salarié à la modification de son contrat de travail n’est pas nécessaire dans la mesure où la convention collective autorise l’employeur à s’en passer. 

Un pourvoi est formé devant la Cour de cassation qui a dû se poser la question suivante : 

Un employeur peut-il se passer de l’accord exprès d’un salarié pour modifier sa rémunération lorsque la convention collective l’autorise à le faire ?  

Dans la droite lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation censure la Cour d’appel en rappelant, au visa de l’article 1134 du Code civil, les règles relatives à la modification du contrat de travail : « sauf disposition légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié ».  

L’accord exprès du salarié à la modification du contrat requis, sauf exception légale 

La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur le sujet et l’arrêt commenté en est une parfaite illustration: 

En principe, l’accord du salarié doit être exprès en cas de proposition de modification du contrat de travail. Par exemple, en cas de proposition de modification suite à une procédure disciplinaire, l’employeur doit obtenir l’accord exprès du salarié avant une rétrogradation ou une mutation ; il en est de même, suite au constat d’une inaptitude au poste, lorsque l’employeur propose au salarié un reclassement entraînant une modification de son contrat.  

Cependant, lorsque la proposition de modification a pour origine l’un des motifs économiques visés à l’article L. 1233-3, l’employeur doit en faire la proposition au salarié qui dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître sa réponse. En l’absence de réponse dans le délai d’un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée (1). 

En l’espèce, le club sportif ne pouvait donc pas se fonder uniquement sur la convention collective, qui n’est pas, de fait, une exception légale, permettant de se passer de l’accord exprès du salarié à la modification du contrat de travail. 

Le motif de relégation en L2 : non admis au titre des exceptions 

La relégation d’un club de L1 vers la L2 entraîne, on peut aisément le concevoir, des conséquences financières importantes : diminution des recettes en billetterie, baisse du sponsoring, chute des droits TV, ou encore baisse des subventions. 

Cependant, cela ne doit pas autoriser le club, sur ce seul motif, à diminuer les rémunérations des joueurs professionnels, sans leur accord exprès, et ce, même si la convention collective l’autorise. 

La Cour de cassation réaffirme ici le principe de la suprématie du contrat de travail sur la convention collective. 

Cela est une garantie pour le salarié, d’autant que dans l’affaire en question, le salarié était en CDD. En ne s’opposant pas formellement à la diminution de son salaire, le salarié s’est assuré une reconduction de son contrat pour la saison suivante, tout en ne renonçant de manière définitive à un droit d’agir en justice pour obtenir des rappels de salaires.  

La seule possibilité pour le club d’agir sans l’accord exprès du salarié aurait été de se positionner, dès le départ, sur le terrain économique, comme précisé précédemment. Encore aurait-il fallu pour lui être en capacité de démontrer l’existence de difficultés économiques du fait de cette relégation. 

(1) Article L. 1222-6 du Code du travail 

 

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