Cet article provient du site du syndicat CFDT.
À l’approche de la campagne électorale pour la présidentielle de 2017, les attaques contre la fonction publique se multiplient. Le point avec Mylène Jacquot, secrétaire générale de l’Uffa-CFDT.
Supprimer des postes dans la fonction publique pour alléger les dépenses de l’État est une proposition qui revient en boucle chez les politiques, notamment les candidats à la primaire de droite. Que penses-tu de ce débat ?
Nous sommes dans un contexte électoral, chacun parle à son propre camp et il y a de la surenchère. Les fonctionnaires et les politiques publiques, qu’ils sont chargés d’orchestrer ne l’oublions pas, ne sont pas juste un poids sur le budget de l’État mais un investissement en termes de cohésion sociale et de sécurité. Quand on dit sécurité, on pense à la sécurité de chacun, et c’est important, mais c’est aussi un facteur important de la vie économique. Un déficit de sécurité impacte aussi l’économie d’un pays. Le besoin de vivre en sécurité n’est pas seulement lié au confort individuel mais répond à des impératifs d’intérêt général. Le raisonnement vaut aussi pour la santé par exemple. Pouvoir se prémunir contre un risque de contagions virales (grippe, méningite…) grâce à un système de santé publique performant, c’est important pour chaque citoyen et pour la société dans son ensemble.On pense que le fonctionnaire est titulaire de son emploi, mais ce n’est pas vrai, il est titulaire de son grade.
Certains préconisent même la suppression du statut des fonctionnaires qui serait trop protecteur…
À l’origine, le statut était surtout protecteur pour les employeurs, essentiellement pour l’État, car c’est un moyen d’assurer la continuité de l’État et des services publics. De fait, il est protecteur aussi pour les citoyens. Le statut protège les agents, mais il comporte des obligations auxquelles ne sont pas soumis les salariés du privé. La mobilité, par exemple. À l’Éducation nationale, quand il y a une fermeture d’établissement ou la suppression d’une discipline, certes, l’enseignant n’est pas licencié, mais il change d’affectation sans contrepartie. On pense que le fonctionnaire est titulaire de son emploi, mais ce n’est pas vrai, il est titulaire de son grade, jamais de son emploi. Un exemple, à La Poste : les bureaux situés dans les quartiers les plus difficiles sont plus souvent tenus par des fonctionnaires, que par des contractuels de droit privé. Enfin, le statut, c’est aussi ce qui permet d’assurer la continuité territoriale des services publics, y compris dans régions les moins attractives.
Pourrait-on limiter le statut aux missions régaliennes ?
Certainement pas ! Quand on parle de services régaliens, on pense à la police, la justice, la collecte des impôts, mais c’est bien trop limité. Les politiques publiques sont fixées par la représentation nationale et, pour leur mise en œuvre, on a besoin de fonctionnaires. Après oui, le débat sur la délégation de service public existe. À la CFDT, nous n’y sommes pas opposés, ni contre le fait d’interroger l’efficacité de la dépense publique. Mais je ne voudrais pas que l’on oublie que les fonctionnaires sont des travailleurs, aucun d’entre eux ne mérite de se faire brocarder, voire mépriser comme le sont les enseignants, par exemple. Ce statut tant décrié permet aussi de faire travailler des agents au service des collectivités avec des salaires moins élevés que dans le privé. Les cadres du public peuvent toucher un salaire jusqu’à trois fois inférieur à celui du privé. Le choix d’un métier ne se fait pas sur le seul critère de la rémunération. C’est une partie seulement de la contrepartie du travail et le statut en est une autre.Tu as décrit le statut des fonctionnaires comme étant utile, consensuel et évolutif. Peux-tu développer ? Depuis 1983, pas moins de 32 lois ont modifié le statut. La loi relative à la déontologie des fonctionnaires, qui vise à préciser certains éléments du statut et dont nous examinons en ce moment les décrets d’application, montre bien que ce statut est appelé à continuer d’évoluer. L’un des points abordés par la loi vise à garantir la prévention des conflits d’intérêt. On va demander à un certain nombre d’agents des déclarations d’intérêts préalables à leur nomination sur des postes précis. Des agents qui auraient à signer des marchés publics ou des permis de construire, par exemple, ne pourraient pas avoir des intérêts dans le secteur du BTP. Cette mesure fait écho à la transparence de la vie publique pour les décideurs politiques.
Quelles sont, parmi les avancées sociales en cours, les plus porteuses de nouveaux droits pour les agents ? Le compte personnel d’activité (CPA) est-il en bonne voie ?
Le CPA sera en place dès le 1er janvier 2017 pour l’ensemble des agents de la fonction publique. Il regroupe pour l’instant le compte personnel de formation (CPF) et le compte d’engagement citoyen. Sur le CPF, nous attendons encore des améliorations, notamment la création d’un fonds mutualisé auquel les employeurs publics contribueraient afin d’assurer l’effectivité des droits des agents. Mais c’est surtout sur le sujet de la pénibilité que nous souhaitons des réponses à nos attentes. Certes, nous pouvons entendre que le compte de prévention de la pénibilité (C3P) ne soit pas mis en œuvre immédiatement dans la fonction publique. Des dispositifs spécifiques existent, ce que l’on appelle « la catégorie active » permet aux agents exerçant des métiers pénibles de bénéficier de mesures facilitant le départ en retraite. Mais la catégorie active se limite à la réparation de la pénibilité ; l’aspect prévention est ignoré. Les employeurs publics doivent penser à une traçabilité des expositions auxquelles les agents sont soumis, notamment ceux qui exercent des métiers pénibles mais qui ne sont pas couverts par la catégorie active. C’est le cas des infirmières par exemple. Depuis qu’elles sont passées en catégorie A, les infirmières ont perdu la catégorie active, alors que celles qui travaillent dans le privé verront leurs droits reconnus dans le cadre du C3P. La pénibilité concerne beaucoup de fonctionnaires : les personnels hospitaliers, les policiers, les égoutiers, les ouvriers, les personnels qui travaillent de nuit ou en horaires décalés, etc. Enfin, nous tenons à ce que le compte épargne temps (CET) soit inscrit comme l’un des volets du CPA, ou qu’au moins les agents qui ont un CET puissent l’articuler avec d’autres volets du CPA.
Les attaques sur le temps de travail des fonctionnaires sont fréquentes. Le rapport Laurent [du nom de son auteur Philippe Laurent] sur le temps de travail dans la fonction publique, remis au ministère en mai, affirme que les écarts public/privé ne sont pas énormes.
Ce rapport a permis de contredire un certain nombre de propos de café du commerce sur le temps de travail des fonctionnaires. J’ai encore entendu dire récemment que les enseignants ne travaillaient que six mois par an. C’est aberrant ! Si c’était le cas, il n’y aurait pas tant de difficultés à les recruter. La question du temps de travail est surtout une question d’organisation du travail. Le temps libre a été – et il l’est toujours – une forme de compensation du dépassement du temps de travail ou d’organisations particulières ; le travail de nuit, par exemple est compensé par du temps, pas par de l’argent. Quand on ouvre les piscines et les stades le week-end, la contrepartie c’est du temps. La possibilité de déroger aux 1607 heures annuelles est donnée par les collectivités, celles qui en font le choix, ce n’est pas un choix des agents. Les élus délibèrent et votent. Les dérogations sont le fruit de négociations locales.l’école reproduit les inégalités sociales et la fonction publique reproduit les inégalités scolairesLe rapport L’Horty, remis le 12 juillet dernier, a mis en évidence un phénomène de discrimination dans l’accès à l’emploi public. Ses conclusions te surprennent-elles ? Pas vraiment. Mais ce rapport a eu l’effet d’un pavé dans la mare. Ce qui a surpris, c’est que tous les types de recrutement, y compris le concours, sont vecteurs de discrimination. Comme l’indique le texte, l’école reproduit les inégalités sociales et la fonction publique reproduit les inégalités scolaires. Les épreuves académiques des concours vont juger de la maîtrise d’un certain nombre de codes sociaux et culturels, nous souhaitons que les épreuves soient davantage définies en termes de compétences que de connaissances. Pour les recrutements sans concours, cas de figure fréquent dans les collectivités, nous aimerions que les comités ou les jurys intègrent systématiquement une personnalité extérieure. Sans qu’il y ait discrimination délibérée, la tendance à recruter des personnes qui nous ressemblent existe partout. L’une de nos revendications, c’est le développement du troisième concours, qui prend en compte le parcours antérieur du candidat et qui n’est pour l’instant que très peu utilisé.
Le dialogue social de proximité progresse-t-il dans la fonction publique ?
Actuellement cela repose encore beaucoup sur la volonté d’un directeur, d’un chef de service, lui-même convaincu de la nécessité d’un dialogue social. Des actions sont menées qui permettent de faire face et de gérer au mieux une fusion d’établissements, une restructuration, et ce dans l’intérêt des agents et de celui des usagers. Mais si l’on veut faire exister et vivre le dialogue social, il ne doit pas se limiter à cela. Il faut qu’il y ait une vraie volonté des deux côtés de la table, et une capacité à accepter qu’il y ait des désaccords. La négociation, ce n’est pas forcément l’acceptation de toutes nos revendications, il faut parfois savoir renoncer au « tout, tout de suite ». Cela demande de la maturité. Le dialogue social est une œuvre de longue haleine.