Cet article a été initialement publié sur le site du syndicat FO.
Les syndicats peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent (art. L 2132-3 du code du travail).
A contrario, les syndicats ne peuvent, en principe, pas défendre les intérêts individuels des salariés. Pour soutenir les salariés dans la défense de leurs intérêts individuels, les syndicats peuvent uniquement intervenir, d’une part, dans le cadre de l’assistance voire la représentation des salariés et, d’autre part, via l’action en substitution dans des domaines limitativement énumérés.
La frontière entre intérêt collectif et intérêt individuel est poreuse. Il arrive que l’intérêt individuel soit également un intérêt collectif.
Très fréquemment la question de la recevabilité de l’action du syndicat fait débat devant le juge. Une affaire récemment gagnée par FO en témoigne (Cass. soc., 9-7-15, n°14-11752).
En l’espèce, FO a saisi le juge des référés pour non-respect, dans un établissement de la société Ikea, de la législation ainsi que des dispositions conventionnelles en matière de temps de travail. La demande formulée devant le juge consistait à ce qu’il soit accordé à chacun des salariés des repos légaux obligatoires mais aussi que soient respectées les durées maximales de travail et octroyée une somme provisionnelle à valoir sur la réparation du préjudice subi.
La cour d’appel a déclaré l’action de FO irrecevable pour deux raisons.
Le premier moyen énonçait que FO n’aurait pas démontré le bien-fondé de son action.
Concrètement, la cour d’appel estimait que l’élément produit par FO (à savoir une étude réalisée par les délégués du personnel répertoriant les anomalies de badgeage et les constatations faites par certains salariés de l’établissement) ne démontrait pas « l’inexécution par l’employeur de ses obligations réglementaires » et l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
Fort heureusement, ce premier moyen est rejeté par la Cour de cassation qui souligne que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action ».
La démonstration du bien-fondé de l’action relève bien évidemment du débat au fond. Il s’agit ici d’une reprise de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 6-5-04, n°02-16314 ; Cass. 3e civ., 16-4-08, n°07-13846).
Le second moyen avancé par la cour d’appel est que « la méconnaissance par la société des règles relatives à l’organisation du temps de travail ne pourrait concerner le cas échéant que certains salariés, et non tous, et que le syndicat ne justifie nullement exercer une action tendant à faire sanctionner une violation générale et systématique par la société de la réglementation et de l’accord collectif en matière de temps et de durée du travail ».
Sans surprise, ce second moyen est également cassé par la Cour de cassation qui rappelle que « l’action introduite par un syndicat sur le fondement de l’article L. 2132-3 du code du travail est recevable du seul fait que ladite action repose sur la violation d’une règle d’ordre public social destinée à protéger les salariés, la circonstance que seuls quelques salariés d’une entreprise ou d’un établissement seraient concernés par cette violation étant sans incidence sur le droit d’agir du syndicat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Pour que l’action en justice du syndicat soit recevable, il ne faut pas, fort heureusement, que la violation de la réglementation soit effectuée à l’encontre de chaque salarié de la société. Ce qui importe est que l’inobservation de la réglementation porte préjudice à l’intérêt collectif de la profession. En effet, de nombreux contentieux individuels soulèvent des questions de principe qui concernent la collectivité de salariés.
La Cour de cassation s’est, par cet arrêt, conformée à sa jurisprudence en la matière.
Par exemple, la Cour de cassation a admis la recevabilité de l’intervention d’un syndicat concernant un contentieux en requalification des CDD en CDI intenté par un seul salarié dans la mesure où « la violation des dispositions relatives au contrat à durée déterminée est de nature à porter préjudice à l’intérêt collectif de la profession » (Cass. soc., 28-9-11, n° 09-71139).
En matière de recevabilité de l’action en justice des syndicats, la Cour de cassation rappelle ainsi aux juges du fond qu’il ne faut pas regarder par le petit bout de la lorgnette pour apprécier l’ampleur de la violation par l’employeur de la réglementation du travail. Derrière un contentieux individuel, il y a très souvent l’intérêt de l’ensemble de la communauté de travail qui est en jeu.