Egalité de traitement : La CFDT et FO s’inquiète d’un possible retour en arrière

Cette publication été initialement diffusée sur le site du syndicat de salariés CFDT

 

Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de cassation admet une inégalité de traitement pour le versement d’une prime de 13è mois en considérant que les cadres qui en bénéficient ne sont pas placés dans une situation identique aux non-cadres. Si cette solution a déjà pu être retenue par le passé, c’est la méthode de cette décision, publiée au bulletin, qui inquiète et semble marquer un retour en arrière dans l’appréciation des différences de traitement (Cass.soc., 26.09.18, n°17-15101). 

  • Faits et procédure

39 ouvriers et employés de l’entreprise Cooper sécurité ont saisi la justice prud’homale après la mise en lumière par une expertise de l’existence d’un avantage correspondant à un 13è mois pour les cadres de l’entreprise. Les salariés ont agi sur le fondement de l’inégalité de traitement. 

Il est ici question d’inégalité de traitement et non de discrimination. Ces deux notions sont souvent confondues dans le langage courant, mais en droit il est fondamental de les distinguer. La discrimination étant considérée comme une atteinte plus grave, elle est pénalement sanctionnée. Pour faire un lien entre les deux notions, on peut définir la discrimination comme une inégalité de traitement fondée sur un motif prohibé (parmi les 24 motifs, dont le dernier en date la domiciliation bancaire). 

Le conseil de prud’hommes ainsi que la cour d’appel de Riom ont fait droit aux demandes des salariés au motif que l’employeur n’a pu établir en quoi la différence de traitement était justifiée par des raisons objectives, réelles et pertinentes. 

La Haute Cour casse la décision de la cour d’appel en excluant la prime de 13è mois, sans appliquer la méthode fine de comparaison des avantages qu’elle a pourtant construite ces 20 dernières années. 

De longues dates les différences entre catégories professionnelles ont justifié des différences de traitement. On pense notamment aux périodes d’essai plus longues pour les cadres, aux indemnités de licenciement conventionnelles parfois plus importantes pour les cadres, ou encore l’existence de caisses de retraite différentes. A l’occasion de l’arrêt Ponsolle lié à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes la Cour de cassation a dégagé le célèbre principe général : « A travail égal, salaire égal » (Cass. soc., 29.11.96, n° 92-42.291). Ce principe n’a eu de cesse d’être précisé jusqu’à la formule suivante de la Cour de cassation : « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » (Cass.Soc., 20.02.08, n° 05-45.601). La raison objective et pertinente permettant de justifier une inégalité a été définie comme suit : « Constitue une raison objective et pertinente la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération » (Cass. Soc., 8.06.11, n° 10-14725). Plus récemment la Cour de cassation a consacré la légitimité des accords signés par les OSR renforçant ainsi la légitimité du dialogue social et la sécurité juridique des accords collectifs : « les différences de traitements entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Cass.Soc., 27.01.15, n°13-17.22). Enfin, en 2017 la Cour de cassation a considéré, s’agissant d’une prime de 13è mois qualifiée de gratification sans lien direct avec le travail, qu’elle ne pouvait être réservée à certains salariés, sauf à justifier de raisons objectives telles que l’exercice de « responsabilités plus importantes » ou l’existence de « sujétions particulières en matière de protection et de sécurité » (Cass.Soc., 12.07.17, n° 16-19710). 

  • La solution : son analyse et sa portée

“Circulez il n’y a rien à comparer !” : cette formule sommaire pourrait résumer l’apport de cette décision… Force est de constater que la solution fait fi de la construction jurisprudentielle de ces dernières années. En tirant le trait sur cette analyse, nous pourrions considérer que pour la Cour, la différence est présumée justifiée du simple fait de la différence de statut alors que la jurisprudence s’est précisément construite contre cette idée ! La présomption de justification ne vaut jusqu’à présent qu’en cas d’accord collectif légitimé par le vote des salariés – et non pour une décision unilatérale comme ici. 

En l’espèce, les juges du fond avaient respecté la méthode de la Haute Cour, qui n’interdit pas les différences de traitement, mais demande qu’elles soient objectivées. La Cour écarte le 13è mois de cette méthode de comparaison « qu’elles que soient les modalités de son versement ». Ce point a son importance, car le débat a porté sur la question de savoir s’il s’agissait d’une gratification sans lien directe avec le travail, comme retenue par les juges du fond, ou d’une modalité de paiement du salaire de base sur 13 mois, comme l’employeur l’a soutenu, justifiant ainsi l’inégalité. 

La Cour de cassation occulte totalement ce débat pour conclure : 

« UNE PRIME DE 13È MOIS, QUI N’A PAS POUR OBJET SPÉCIFIQUE ÉTRANGER AU TRAVAIL ACCOMPLI OU DESTINÉE À COMPENSER UNE SUJÉTION PARTICULIÈRE, PARTICIPE DE LA RÉMUNÉRATION ANNUELLE VERSÉE, AU MÊME TITRE QUE LE SALAIRE DE BASE, EN CONTRE PARTIE DU TRAVAIL À L’ÉGARD DUQUEL LES SALARIÉS CADRES ET NON CADRES NE SONT PAS PLACÉS DANS UNE SITUATION IDENTIQUE. » 

A ce stade, cette jurisprudence conduit-elle à étendre le champ des exceptions, pour l’instant cantonnées aux avantages liés à la protection sociale que la Cour de cassation a rapidement écarté du champ en précisant qu’ « en raison des particularités des régimes de prévoyance incluant la protection sociale complémentaire, qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, qui prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre les salariés d’une même catégorie professionnelle » ? (Cass.Soc., 9.07.2014 n°13-12121) 

Le raisonnement de la Cour de cassation est inquiétant à plusieurs titres, notamment en ce qu’elle considère que le 13è mois, peu importe sa modalité de versement, n’a pas un objet étranger au travail accompli pour justifier l’inégalité cadres, non-cadres. Or ce raisonnement peut s’appliquer à toute forme de gratification puisque au final tout peut être lié indirectement à la présence au travail mais sans forcément en être la contrepartie directe ! 

Ce recul dans la finesse de l’analyse appelle donc à la vigilance pour les futures actions contentieuses, d’autant que dans l’affaire ici commentée la décision de la Cour est sans renvoi, c’est à dire définitive au plan interne… 

 

Cette publication été initialement diffusée sur le site du syndicat de salariés FO

 

Selon le principe « à travail égal, salaire égal », une personne exerçant les mêmes fonctions (notamment même coefficient, même qualification) qu’un autre salarié doit bénéficier du même salaire. L’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre les salariés dès lors qu’ils sont placés dans une situation identique. 

Ce principe vaut pour le salaire de base mais également pour les primes et les avantages. 

Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse(Cass. soc., 6-7-10, n°09-40021). 

Toutefois, l’employeur ne méconnait pas le principe « à travail égal, salaire égal » lorsqu’il justifie par des raisons objectives, pertinentes et matériellement vérifiables la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. 

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge les éléments susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. C’est à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare (Cass. soc., 4-4-18, n°16-27703). 

Il incombe ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence. 

Si cette preuve n’est pas rapportée, l’employeur doit verser un rappel de salaire. 

Parmi les exemples de différences justifiées, on trouve entre autres des différences de niveau de responsabilité, la précarité de l’emploi ou la pénurie de main d’œuvre, le travail de nuit, la localisation et le coût de la vie, l’expérience professionnelle, les différences de performance, de comportement ou de notoriété. 

La Cour de cassation a tendance, ces derniers temps, à restreindre, de plus en plus, le principe d’égalité de traitement réduisant ce principe à peau de chagrin… 

En ce qui concerne les régimes de prévoyance et la distinction cadres/non cadres, la Cour de cassation a jugé : Qu’en raison des particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, qui prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre les salariés relevant d’une même catégorie professionnelle (Cass. soc., 13-3-13, n°11-23761). 

Pour ce qui est des accords collectifs et la distinction cadres/non cadres, la Cour de cassation a considéré que : Les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 27-1-15, n°13-23818). 

Dans les faits, la présomption est très difficile à renverser. L’article L 2263-13 du code du travail, issu des ordonnances « Macron », indique d’ailleurs qu’il appartient à celui qui conteste la légalité d’une convention ou d’un accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent. 

A côté de la distinction cadres/non cadres, une multitude de situations justifie désormais qu’une atteinte au principe d’égalité de traitement soit apportée. Il ne s’agit pas ici de faire un catalogue de toutes ces justifications mais il est bon de citer quelques arrêts frappant démontrant que la tendance est à la limitation de l’application du principe d’égalité de traitement. 

Dans le cadre de PSE successifs, la chambre sociale a par exemple estimé que les salariés licenciés, lors des deux procédures distinctes, étaient placés dans des situations différentes (Cass. soc., 29-6-17, n°15-21008 et n°16-12007). 

En ce qui concerne l’exercice du droit d’opposition, la Cour de cassation a considéré que les effets de l’exercice du droit d’opposition, qui entraîne l’anéantissement de l’accord justifie ainsi la différence de traitement par rapport à d’autres salariés bénéficiant d’avantages nés d’un accord distinct non frappé d’opposition (Cass. soc., 30-5-18, n° 16-16484). 

Dans un arrêt remarqué en date du 28 juin 2018, la Cour de cassation a considéré que : Les salariés engagés postérieurement à l’entrée en vigueur d’un accord de substitution ne peuvent revendiquer, au titre du principe d’égalité de traitement, le bénéfice des dispositions prévues par l’accord collectif antérieur (Cass. soc., 28-6-18, n°17-16499). 

Auparavant, la Cour de cassation jugeait que la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux (Cass. soc., 21-2-2007 n°05-43136). Dans ce cas, il appartenait à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de traitement entre les salariés. 

Avec l’arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation va plus loin : désormais, nul besoin pour l’employeur de justifier l’inégalité de traitement, le juge interdit directement aux salariés de revendiquer, au nom de ce principe, les avantages prévus par l’accord applicable avant leur embauche. 

Un autre arrêt a considéré que les salariés d’une entreprise ne peuvent prétendre, au nom de l’égalité de traitement, au bénéfice d’avantages que d’autres tiennent d’un usage en vigueur dans l’entité dont ils relevaient lorsque celle-ci fait l’objet d’un transfert soumis aux dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail (Cass. soc., 30-5-18, n° 17-12782). 

En cas de transfert conventionnel (ex : changement de prestataire), la Cour de cassation a jugé qu’une différence de traitement était justifiée lorsque les salariés changeant d’employeur en application d’un tel accord continuent à bénéficier des droits dont ils jouissaient antérieurement, alors que le personnel de ce nouvel employeur ne peut y prétendre, parce que cette disparité n’est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 30-11-17, n° 16-20532). 

Des avantages différents peuvent être accordés à des salariés relevant d’établissements distincts, soit par des accords d’établissements séparés (Cass. soc., 3-11-16, n°15-18444), soit par un même accord d’entreprise (Cass. soc., 4-10-17, n°16-17517). Un protocole de fin de conflit peut justifier une différence de traitement : Des différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’un protocole de fin de conflit ayant valeur d’accord collectif, sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 30-5-18, n°17-12782). 

Le principe d’égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés embauchés postérieurement à l’entrée en vigueur d’un nouveau barème conventionnel soient appelés dans l’avenir à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu’ils ne bénéficient à aucun moment d’une classification ou d’une rémunération plus élevée que celle des salariés embauchés antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire (Cass. soc., 17-10-18, n°16-26729). 

On assiste in fine à une lente agonie du principe d’égalité de traitement. Le principe est devenu clairement l’exception… 

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