Discrimination syndicale : la Cour de cassation donne les clefs de l’évaluation du salarié syndiqué

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

Le 12è baromètre des discriminations dans l’emploi du Défenseur des droits a mis en lumière une situation alarmante : une personne syndiquée sur deux (52 %) considère que les discriminations syndicales se produisent souvent ou très souvent ! L’arrêt ici commenté concerne l’un des moyens de prévention de ces discriminations : la négociation d’un accord sur les parcours syndicaux. 

La Cour nous donne pour la première fois une méthode sur un aspect parfois tabou des relations sociales, à savoir l’évaluation, notamment par l’employeur, du militant élu ou désigné. Elle répond en creux à la question de savoir comment faire pour que cette évaluation ne se transforme pas en « muselage » ou représailles des militants (Cass. Soc. 9.09.19 n°18-13529 P+B+R+I). 

  • Faits et procédure

Un accord “sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein du groupe BPCE” a été conclu le 28 janvier 2016 entre la société et les organisations syndicales CFDT, Unsa et CFE-CGC, représentant 60 % des salariés. Parmi les mesures prévues pour l’accompagnement lors de l’exercice d’un mandat figure un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle. La CGT a assigné la société et les organisations syndicales signataires devant le tribunal de grande instance afin que soit déclaré illégal l’article mettant en place cet entretien (1). 

  • Les arguments de la CGT

Au soutien de ses prétentions, la CGT rappelle que l’employeur ne peut prendre en considération l’activité syndicale pour arrêter ses décisions, notamment en matière d’avancement et de rémunération – sauf application d’un accord collectif visant à assurer la neutralité de cet engagement ou à valoriser le parcours des militants.  

En l’espèce, la CGT reproche à la cour d’appel d’avoir considéré que « l’appréciation des compétences mobilisées dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs ». Elle rappelle qu’il ne peut être dérogé à l’interdiction des discriminations syndicales, ni par accord collectif ni par accord du salarié s’agissant d’une règle d’ordre public absolu. 

Sur le fondement de textes internationaux, la CGT conteste également le dispositif en lui-même, qui fait intervenir le DRH pour apprécier les compétences du militant et éventuellement lui proposer une formation ou un accompagnement personnalisé, quand bien même l’appréciation s’effectue avec un “regard croisé” de l’organisation syndicale mandante. Au global, et c’est selon nous toute la philosophie de la CGT qui est exposée ici sur la question de la valorisation des parcours syndicaux, l’accord serait une ingérence dans le fonctionnement des syndicats alors que « le principe de liberté syndicale implique l’indépendance des syndicats dans l’exercice de leurs activités et leur protection contre tout acte d’ingérence de l’employeur dans leur fonctionnement et leur administration ». 

  • La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation commence par rappeler qu’«un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle »(2). 

La Cour continue d’exposer les différentes obligations qui pèsent sur l’employeur, introduites récemment par la loi Rebsamen : 

– l’entretien de début de mandat « portant sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi » ;  

– l’entretien de fin de mandat, qui vise notamment « au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise ».  

Ce rappel du cadre législatif permet à la Cour de cassation de tirer la conclusion suivante : 

« un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l’intéressé, permettant une appréciation par l’employeur, en association avec l’organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l’analyse est destinée à être intégrée dans l’évolution de carrière du salarié ». 

Ainsi, et cela n’est pas vraiment une surprise… La Cour de cassation commence par confirmer que l’accord visé par l’article L.2141-5 du Code du travail n’est en droit qu’une simple faculté, et non une obligation de négocier. 

Ensuite, elle tire les conséquences de l’évolution du cadre législatif, prévoyant lui-même un lien entre l’activité professionnelle et le mandat pour affirmer clairement qu’un tel mécanisme est licite, à condition qu’il soit assorti de garanties, parmi lequelles la nécessité qu’il soit facultatif pour l’intéressé. 

Plus en détail, plusieurs éléments ont été pris en compte par la cour d’appel de Paris et par la Cour de cassation. 

Pour la négociation en elle-même, un groupe de travail a été mis en place et a prévu une phase d’expérimentation de ce mécanisme. Les juges relèvent que plusieurs « suggestions » – que nous traduirons par revendications – ont fait évoluer le projet de l’employeur.  

Le référentiel des compétences requises pour les différents mandats a été négocié avec les OS. Il revient au juge d’en vérifier le caractère objectif et pertinent et de contrôler qu’il ne porte donc pas atteinte au principe de la liberté syndicale. 

En l’espèce, la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a pu retenir à bon droit que l’appréciation des compétences mises en œuvre dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs, qui font l’objet d’une méthodologie excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale. 

Ce contrôle « théorique » n’empêche pas une action en justice ultérieure, si une discrimination est exercée dans la mise en œuvre de l’accord. 

– L’appréciation des compétences est menée selon un processus en plusieurs étapes, sous le regard croisé de l’organisation syndicale, du salarié et d’un représentant de l’employeur devant avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat. 

  • Une première étape pour des accords plus ambitieux…

Pour conclure, s’il pouvait y avoir un certain paradoxe entre l’interdiction des discriminations syndicales et l’encouragement à négocier un accord sur le parcours des représentants du personnel, voire l’obligation dans le cadre de la GEPP(3), il faut saluer le travail de la Cour de cassation en la matière et son contrôle sur ces accords potentiellement dangereux. 

Dès 2011(4), la Cour a pu préciser qu’il n’était pas possible de prendre en compte l’activité syndicale « sauf application d’un accord visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser ». Il est ici important de rappeler que dans bon nombre d’entreprises, ne rien faire sur la reconnaissance de l’expérience et/ou la valorisation des parcours syndicaux, au prétexte de vouloir maintenir une égalité de traitement avec le salarié sans mandat, revient à freiner l’évolution des représentants du personnel qui ne peuvent pas se consacrer à 100 % au travail pour lequel ils ont été embauchés… en raison du travail pour lequel ils ont été élus ou désignés ! 

Par cet arrêt, la Cour rappelle à juste titre que le système créé par un tel accord ne peut en lui-même être discriminatoire. Elle nous donne ainsi une première méthode de construction pour ce type d’accord… n’en déplaise aux tenants de la dimension sacrificielle du mandat !  

 

(1) Art. 3.1.1 de l’accord. 

(2) Art. L.2141-5 C.trav. 

(3) Art. L.2242-20 C.trav. 

(4) Cass.soc.23.03.11, n°09-72733. 

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