Dépenses de soins sous tension : 4 chantiers pour reprendre la main

La régulation des soins constitue l’un des leviers majeurs pour enrayer la dérive des dépenses de la Sécurité sociale. Face à la croissance soutenue des coûts de santé, les trois Hauts Conseils (HCAAM, HCFiPS, HCFEA) ont formulé, dans leur rapport de juin 2025, quatre axes d’action pour mieux encadrer les volumes de soins. Leur ambition : rendre le système plus efficient, tout en préservant l’accès et la qualité des prises en charge.

Pour maîtriser les volumes de soins, le rapport préconise d’agir sur quatre fronts : renforcer la pertinence des prises en charge, structurer une politique de prévention plus efficace, réorganiser l’offre autour de parcours gradués, et intégrer pleinement les innovations organisationnelles et techniques. La lutte contre la fraude vient compléter cet arsenal.

Faire des soins pertinents la norme, pas l’exception

Le premier levier mis en avant par les Hauts Conseils vise à recentrer les soins sur ce qui soigne réellement. Présentée comme un levier vertueux par excellence, la pertinence permet de conjuguer amélioration de la qualité et maîtrise des dépenses. Si cette approche est mobilisée depuis plusieurs années, ses effets restent inégaux et souvent difficiles à pérenniser.

Le rapport souligne que les outils existent déjà : revues de pertinence, recommandations de bonnes pratiques, contrats d’amélioration de la qualité (CAQES), ou encore dispositifs intégrés dans la convention médicale de 2024. Mais leur mobilisation reste dispersée et peu coordonnée. Faute de pilotage national structuré, les démarches engagées peinent à produire des effets durables.

Une dynamique à amplifier par le numérique et le pilotage

Pour passer à l’échelle, les Hauts Conseils appellent à étendre les actions au-delà du secteur hospitalier, à mieux articuler incitations financières et recommandations, et à renforcer les actions de déprescription. L’enjeu est aussi de mieux évaluer les effets dans le temps pour stabiliser les progrès.

Le rapport met en avant le rôle décisif des outils numériques rénovés : intégrés aux logiciels des professionnels, ils doivent permettre un repérage plus fin des soins non pertinents et un accès facilité à des indicateurs intelligibles. Le virage numérique est ainsi présenté comme un accélérateur indispensable d’une stratégie nationale de pertinence encore à construire.

Prévention : moins de soins évitables, plus d’impact mesurable

La prévention est un levier dont l’efficacité est largement démontrée pour limiter l’apparition des maladies chroniques. Pourtant, elle reste marginale dans les logiques d’investissement. Le rapport appelle à mieux structurer ce champ, à concentrer les efforts sur les interventions probantes, et à agir sur les publics les plus exposés. Il insiste aussi sur un point central : prévenir, c’est agir au-delà du système de soins, en mobilisant toutes les politiques publiques.

Incitations : des outils récents mais encore fragiles

La convention médicale 2024-2029 introduit une majoration de prévention intégrée au forfait médecin traitant, déclenchée par la validation d’indicateurs de suivi. Ce dispositif vise à mieux rémunérer l’engagement des professionnels dans le parcours préventif de leurs patients. Mais les Hauts Conseils s’interrogent sur son efficacité réelle, au vu des limites observées sur des dispositifs similaires comme la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Côté usagers, une rémunération citoyenne est évoquée, mais jugée à la fois risquée et inéquitable. Le rapport préfère renforcer les leviers collectifs, notamment via des taxes comportementales ciblées, à visée strictement sanitaire.

Répartir les soins au bon niveau pour fluidifier les parcours

L’organisation des soins, longtemps reléguée au second plan des politiques de maîtrise des dépenses, revient au cœur des priorités. Pour les Hauts Conseils, réduire les volumes inutiles passe aussi par une meilleure gradation des prises en charge : chaque besoin doit être traité au bon niveau, par le bon professionnel, dans la bonne structure. Cette orientation vise à fluidifier les parcours, à désengorger l’hôpital et à optimiser l’allocation des moyens.

Deux champs sont jugés critiques : les soins dispensés en Ehpad et la santé mentale. Dans les deux cas, la mauvaise organisation alimente une spirale de recours excessifs ou inadaptés. Trop souvent, l’absence de coordination ou de ressources de proximité conduit à des hospitalisations évitables. C’est là que les économies les plus rapides pourraient être réalisées.

Une transformation soutenue, mais progressive

À court terme, les Hauts Conseils estiment que la mobilisation plus efficace des ressources existantes peut déjà produire des effets tangibles. Cela suppose une coordination renforcée entre les acteurs de terrain, sans attendre de réformes lourdes. Mais à moyen terme, il faudra aller plus loin : les dispositifs de structuration des soins primaires (Communautés professionnelles territoriales de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles…) devront être simplifiés et consolidés.

Ce chantier ne pourra aboutir sans faire évoluer les logiques de financement. Les auteurs du rapport plaident pour un pilotage plus souple et plus incitatif, qui favorise les coopérations locales, sans enfermer les acteurs dans des modèles uniformes ou trop technocratiques. L’enjeu est de sortir d’une approche cloisonnée, pour que l’organisation des soins devienne enfin un levier d’efficience systémique.

L’innovation en action pour piloter autrement la santé

Pour mieux maîtriser les volumes de soins, les Hauts Conseils misent aussi sur l’innovation, qu’elle soit technique ou organisationnelle. Dans les territoires, plusieurs expérimentations sont déjà en cours : partage d’actes entre professionnels, création d’équipes coordonnées, nouvelles formes de prises en charge… Ces démarches s’inscrivent notamment dans le cadre de l’article 51 de la LFSS pour 2018, qui permet de déroger aux règles habituelles de financement pour tester des organisations innovantes.

Mais ces innovations restent souvent isolées et freinées par une complexité administrative persistante. Le rapport appelle à élargir leur déploiement, en simplifiant les procédures et en diffusant les expériences probantes.

Arrêts maladie : des outils de contrôle encore trop timides

Les Hauts Conseils s’inquiètent de la forte hausse des arrêts de travail, qui pèse de plus en plus lourd dans les dépenses. Pour tenter d’infléchir cette tendance, plusieurs outils techniques sont en cours de déploiement : un téléservice permet de mieux tracer les prescriptions, des algorithmes signalent les pratiques atypiques, et des retours d’informations sont transmis aux médecins prescripteurs.

Mais selon le rapport, ces dispositifs restent peu efficaces. Mal intégrés au quotidien des professionnels, ils suscitent parfois méfiance et incompréhension. Les auteurs plaident pour une stratégie plus large, qui ne se limite pas au contrôle. Elle passerait par une action sur les conditions de travail, un meilleur accompagnement des employeurs, et une place accrue à la prévention, pour éviter que les arrêts maladie ne deviennent le seul exutoire face à des situations professionnelles dégradées.

Lutte contre la fraude : des résultats en progrès, mais encore flous

Dernier levier étudié : la lutte contre la fraude. Sur ce terrain, l’Assurance maladie a nettement renforcé ses moyens au cours des dernières années, avec des équipes élargies, des outils numériques plus puissants et une stratégie d’actions ciblées. Ces efforts ont permis d’améliorer les résultats : les montants de préjudices détectés ont augmenté, tout comme ceux des indus récupérés.

Mais le rapport nuance ce bilan. Les données disponibles restent parcellaires, concentrées sur certaines catégories d’acteurs (transporteurs, professionnels de santé, arrêts de travail) et ne permettent pas encore de dresser une évaluation consolidée des fraudes aux soins dans leur ensemble. Surtout, les effets réels sur les comportements frauduleux sont encore difficiles à mesurer. Les Hauts Conseils appellent donc à renforcer l’évaluation de l’impact des contrôles, pour mieux cibler les priorités et consolider ce levier dans une logique d’efficience durable.

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