Délégué syndical : la date de renoncement des candidats a son importance

Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.

En principe, seuls les candidats présentés par le syndicat et ayant obtenu 10% au premier tour des élections professionnelles peuvent être désignés. Ce principe, comme tout principe, souffre d’exceptions, dont la possibilité de désigner parmi les salariés de l’entreprise lorsque les candidats ont renoncé à l’être. Le moment de la renonciation des candidats ayant obtenu 10% a-t-il une importance ? La Haute juridiction vient de l’affirmer ! Cass.soc.9 juin 2021, n°19-24678.

Faits, procédure

Une fédération a désigné une salariée en tant que déléguée syndicale avant même que les candidats présentés sur ses listes aux élections du CSE de l’UES ne se soient désistés.

Sur ce, l’employeur a saisi le tribunal d’instance pour contester la désignation. A titre principal, il fait valoir que la renonciation des candidats élus sur la liste du syndicat et ayant obtenu 10% sur leur tête ne saurait être postérieure à la désignation d’une salariée.

L’article L.2143-3 du Code du travail a été modifié par la loi du 29 mars 2018 de ratification des ordonnances (1) afin d’élargir le champ des exceptions au principe de l’obtention des 10% des suffrages au premier des élections professionnelles pour pouvoir être désigné en tant que délégué syndical et de permettre ainsi aux syndicats de désigner un (ou une) salarié (e) lorsque ces candidats renoncent à être désignés.

Le tribunal d’instance a rejeté cette demande estimant qu’il importait peu que la renonciation des candidats remplissant la condition d’audience soit intervenue postérieurement à la désignation de la salariée.

L’employeur a donc formé un pourvoi et fait valoir que la renonciation des candidats ayant obtenu 10% aurait dû intervenir avant la désignation de la salariée.La renonciation des candidats, ayant obtenu 10% des suffrages au premier tour des élections, à être désignés doit-elle être préalable à la désignation d’un (e) salarié (e) ?

Telle était la question posée à la Cour de cassation.

La renonciation des candidats ayant obtenu 10% doit être préalable

Pour rappel, si l’alinéa 1er de l’article L2143-3 du Code du travail pose le principe de la condition d’audience électorale des candidats pour pouvoir être désignés, l’alinéa 2 de ce texte prévoit donc désormais plusieurs exceptions.

Ainsi, « une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice du mandat » dans les cas suivants :

  • Si aucun des candidats présentés par l’organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions d’audience ;
  • S’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions d’audience ;
  • Si l’ensemble des élus qui remplissent les conditions renoncent par écrit à leur droit d’être désignés.

La Cour de cassation interprète ici pour la première fois le sens de cette dernière exception. Littéralement le texte, tel qu’issu de la loi du 29 mars 2018, ne précise pas quand doit intervenir la renonciation des candidats ayant obtenu 10%. Peut-elle intervenir à tout moment ? Ou bien doit-elle être préalable à la désignation ?

Après avoir rappelé le principe de l’article L.2143-3 du Code du travail qui « fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10% des suffrages » et, ne pouvant se référer à la lettre du texte pour interpréter l’exception, la Haute juridiction s’appuie sur la recherche de la « volonté du législateur » à travers les travaux préparatoires à la loi.

L’interprétation des textes peut s’appuyer sur 3 méthodes : Littérale (si le texte est suffisamment explicite) ; Par référence aux travaux préparatoires ;Téléologique (recherche de l’objectif du texte).

Or, pour la Cour de cassation, ces travaux font ressortir que cette possibilité pour le syndicat de désigner un salarié ne vaut que « lorsque tous les élus ou tous les candidats qu’elle a présentés aux dernières élections ont renoncé préalablement à être désignés délégué syndical ».

En bref, pour la Haute juridiction, les renonciations de tous les candidats remplissant la condition d’audience doivent intervenir avant la désignation d’un autre salarié.

Ce qui est logique au demeurant avec le fait que la désignation d’un (e) salarié n’est qu’une possibilité subsidiaire (« ou, défaut ») à celle qui consiste à désigner le candidat d’un autre syndicat, faculté qui constitue elle-même une dérogation au principe de la désignation d’un candidat de sa propre liste et remplissant la condition d’audience…

Un droit à être désigné ou une interprétation stricte de l’exception ?

Si la référence aux travaux préparatoires est mise en exergue pour appuyer cette décision, on ne peut s’empêcher d’être troublé par la reprise par la Cour de cassation de l’argumentation de l’employeur fondée sur un (prétendu) « droit d’être désigné délégué syndical » des candidats ayant obtenu les 10%.

Il nous semble en effet que, sous réserve de remplir la condition d’audience, le choix dans la désignation d’un délégué syndical demeure une prérogative des syndicats, fondée sur le principe de la liberté d’organisation syndicale.

Aussi, si la solution paraît juste, c’est avant tout parce que cette faculté de désignation est une exception au principe de la condition d’audience électorale qui doit, à ce titre, être interprétée strictement.

De là à évoquer un prétendu « droit à être désigné » des candidats ayant obtenu les 10%, il n’y a qu’un pas…à ne pas franchir !

(1) n°2018-217

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