Dégressivité des allocations chômage : serait-ce vraiment efficace ?

Suggérée par l’exécutif, plébiscitée par le MEDEF et la Cour des Comptes, la dégressivité des allocations chômage devrait s’imposer comme un thème majeur lors de la prochaine négociation de la Convention d’Assurance Chômage entre les partenaires sociaux. Si l’idée parait incontestablement rationnelle, qu’en est-il de son efficacité réelle ? 

 

L’objectif : Encourager la reprise d’activité et réduire les dépenses de l’UNEDIC

Le dernier rapport de la Cour des Comptes [1] pointe un « déséquilibre financier préoccupant » de l’assurance chômage, qui n’a pas manqué de faire réagir la classe politique. Si le langage se veut prudent (les règles étant fixées par la négociation des partenaires sociaux et « seulement » agréées par le Ministre du Travail), l’idée d’une dégressivité du montant l’indemnisation du chômage semble avoir fait du chemin au sein du Gouvernement comme de l’opposition. 

La dette de l’UNEDIC devrait en effet atteindre 35 milliards d’euros en 2018 (contre 5.3 dix ans auparavant !). Et si la conjoncture économique peut être une des explications de ce déséquilibre (750.000 demandeurs d’emploi supplémentaires fin 2014 par rapport à 2008), la Cour des Comptes pointe d’emblée les règles d’indemnisation : la France serait ainsi l’un des pays les plus généreux de l’OCDE en la matière. 

Notre système se caractérise par une ouverture des droits rapide (4 mois d’activité suffisent), une durée maximale d’indemnisation relativement longue (jusqu’à 36 mois pour les plus de 50 ans), et un niveau d’allocation élevé et stable (aucune variation dans le temps), dont le caractère « acquis » participerait à installer le demandeur d’emploi dans un certain confort. 

L’objectif d’une allocation de retour à l’emploi (ARE) dégressive est de rendre la reprise du travail plus attractive, avec l’idée sous-jacente que le système actuel, trop généreux, pousse au « laisser-aller ». Cet instrument se veut donc incitatif à une recherche active d’emploi. L’effet serait bénéfique à terme pour les finances de l’UNEDIC puisque cela participerait à réduire les périodes d’inactivité et donc d’indemnisation … 

Les recommandations du Conseil Européen prônent également l’instauration d’une dégressivité des allocations, outil destiné à « encourager davantage le retour au travail ». La mesure a donc la cote, y compris auprès des français : seulement 28% seraient opposés à la mise en place d’une dégressivité de l’ARE [2]. D’ailleurs, nombreux pays de l’Union Européenne sont déjà dotés d’un tel dispositif (Espagne, Portugal, Belgique, Pays-Bas …). Par exemple, l’Italie offre un taux de remplacement (indemnisation/salaire) de 75% au départ, puis de 60% après six mois, et 45% après douze mois. 

 

Une mesure déjà expérimentée, mais à l’efficacité contestée

L’allocation chômage dégressive n’est pas une idée novatrice. Elle fut longtemps appliquée en France et n’a été abandonnée qu’en 2001. De 1986 à 1992, l’allocation de base finissait par laisser la place à une allocation de fin de droits, dont le montant était bien inférieur. Puis de 1992 à 1996, la baisse de l’indemnisation se faisait progressivement (tous les 4 mois), par le biais de « l’allocation unique dégressive ». 

La Cour des Comptes met en avant « les études économiques » qui tendent à montrer « que la mise en œuvre d’une allocation dégressive engendre des économies ». Le rapport de l’INSEE se veut plus mitigé [3]. Sa lecture ne doit toutefois pas être trop hâtive : si l’INSEE écrit bien que « la dégressivité aurait ralenti le retour à l’emploi », c’est en le comparant au système précédent qui se montrait plus efficace (coexistence d’une allocation « de base » qui laissait place, à terme, à l’allocation « de fin de droits »). 

On notait en effet un taux de reprise d’activité plus élevé au moment du passage de relai entre les deux allocations … Mais cela ne préjuge en rien de l’efficacité de la dégressivité par rapport au système actuel. La Cour des Comptes reconnait néanmoins que la dégressivité des allocations « n’améliore pas globalement l’efficacité du système d’assurance chômage », qui dépend davantage des contraintes du marché de l’emploi. 

Cette mesure parait néanmoins plus acceptable socialement que la réduction pure et simple des durées d’indemnisation, autre piste envisagée (et mise en œuvre en Allemagne, par exemple). C’est notamment ce que fait valoir Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE [4] : « La dégressivité en fonction du montant serait globalement plus efficace surtout sur les hauts revenus […] Agir sur le montant est plus efficace qu’une action sur la durée », qui ne génère pas forcément d’économies pour les finances publiques (la Cour des Comptes agite le risque de faire peser des charges supplémentaires sur les prestations de solidarité, comme le RSA). 

Lors de la dernière négociation de la Convention d’Assurance Chômage en 2014, le patronat s’était heurté au refus catégorique des syndicats sur ce point. Rien ne dit que la mesure sera reçue différemment cette année. La CGT dénonce déjà une « mauvaise mesure », « sans aucun effet sur la baisse du chômage » (E. Aubin), et préfère pointer du doigt le coût des contrats précaires et des ruptures conventionnelles pour le régime. 

Mais face au défi de la survie du régime d’assurance chômage, les partenaires sociaux devront passer en revue toutes les pistes d’économies, parmi lesquelles la suppression du plafonnement de l’assiette des contributions, le relèvement de la durée minimale d’affiliation requise à six mois ou encore la fin du principe « un jour cotisé, un jour indemnisé ». Autant de pistes qui permettent d’espérer des économies plus élevées, mais qui n’ont quant à elles pas vocation à responsabiliser le demandeur d’emploi et encourager une reprise d’activité rapide… 

 

[1] L’UNEDIC et sa gestion de l’Assurance Chômage (Exercices 2008-2014). 

[2] Baromètre Opinion Way, mars 2015. 

[3] « L’effet de l’allocation unique dégressive sur la reprise d’emploi ». B. Dormont, D. Fougère et A. Prieto. Economie et Statistique N° 343, 2001. 

[4] Interview parue sur lefigaro.fr, le 05/01/2016 : « Faut-il rendre les allocations chômage dégressives ? ». 

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