Cet article provient du site du syndicat de salariés CFDT.
Depuis les ordonnances Macron de 2017, le champ d’intervention géographique du défenseur syndical est strictement limité. Le défenseur syndical ne peut désormais défendre les salariés que devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel de sa région, y compris si le dossier se poursuit en appel dans une région différente de celle en première instance.
La CFDT a plusieurs fois alerté la Direction générale du travail (DGT) sur les lourdes conséquences de cette règle. La transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la Cour de cassation va, espérons-le, étendre le champ d’intervention du défenseur syndical. Cass.soc.18.12.2019, n°19-40.032.
- Rappel des règles applicables avant 2017
La loi Macron de 2015, qui a créé un véritable statut du défenseur, n’envisageait pas de limiter son champ d’intervention. C’est son décret d’application (1) qui a limité le champ d’intervention du défenseur à la seule région dans laquelle il est inscrit. Néanmoins, une dérogation au principe avait été obtenue grâce à la CFDT, qui avait dénoncé cette mesure devant le Conseil supérieur de la prud’homie (CSP). Il était alors admis qu’en cas d’appel, le défenseur qui avait assisté ou représenté un salarié en première instance, puisse poursuivre la défense de ce même salarié devant la cour d’appel d’une autre région.
Considérant cette limite, contraire à l’objectif de la loi de 2015, le Conseil d’Etat (2) a, en novembre 2017, supprimé la disposition réglementaire qui limitait le champ d’intervention du défenseur.
C’est en réponse à cette décision du Conseil d’Etat que les ordonnances Macron de 2017 (3), qui ont aujourd’hui valeur législative, sont à nouveau venues restreindre le champ d’intervention à la seule région administrative et ce, sans reprendre la dérogation que nous avions obtenue précédemment.
- Aujourd’hui, le champ d’intervention géographique est strictement limité
Le défenseur syndical ne peut intervenir dans une autre région administrative que celle dans laquelle il est inscrit sur les listes(4). Cette limite s’applique aussi bien en première instance, devant les conseils de prud’hommes, que devant les cours d’appel. Concrètement, cela signifie par exemple qu’un défenseur désigné dans la région Pays de la Loire ne peut intervenir qu’auprès des conseils de prudhommes et des cours d’appel de cette même région.
- De lourdes conséquences remontées au CSP par la CFDT
Pour la CFDT, cette stricte limitation du champ d’intervention du défenseur syndical entraîne deux conséquences :
-l’une pour les cours d’appel situées sur une région administrative différente de celle de la désignation,
-l’autre pour les défenseurs « fédéraux » ou de branche.
En effet, le problème se pose particulièrement pour le suivi des dossiers devant la cour d’appel lorsque cette dernière se situe dans une autre région que celle du conseil de prud’hommes ayant jugé l’affaire en premier ressort. Dans cette hypothèse, les justiciables de certains départements se voient contraints de changer d’assistance en cas d’appel, voire de prendre un avocat et donc de ne plus bénéficier de l’assistance gratuite d’un défenseur, conduisant à une différence de traitement entre les justiciables.
Cette règle ne va donc pas dans le sens d’une proximité avec le justiciable, puisque ce dernier devra prendre un défenseur hors de sa région pour qu’il remplisse les nouvelles conditions de défense. Il sera alors difficile de se rencontrer et d’échanger sur le dossier.
Par ailleurs, cela positionne le défenseur dans une situation différente de celle de l’avocat en cas d’appel. Ce dernier n’est en effet pas limité géographiquement dans son champ d’intervention.
Aussi, la CFDT n’a cessé d’alerter la DGT lors des CSP qui ont suivi. Cette dernière s’était engagée à réagir, mais aucune disposition n’a été prise à ce jour…
- La Cour de cassation transmet une QPC au Conseil constitutionnel
Bref rappel sur la QPC. Cette procédure a été introduite dans la Constitution suite à la réforme de 2008 (en vigueur depuis le 1er mars 2010). C’est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou à une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, de se prononcer et, le cas échéant d’abroger la disposition législative.
Dans l’affaire qui a conduit à cette QPC, la défense a soulevé l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Rennes, au motif que le défenseur syndical qui représente le salarié n’avait pas capacité pour le faire. Il n’était inscrit que sur la liste des défenseurs syndicaux établie par arrêté du préfet de la région Pays de la Loire. Une QPC a alors été posée par la défense.
La Cour de cassation a accepté de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel sur la conformité au principe d’égalité (5) des dispositions de l’article L.1453-4 qui limitent l’intervention du défenseur syndical au « périmètre d’une région administrative ».
« La différence (…) quant aux règles d’assistance et de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel statuant en matière prud’homale entre les justiciables selon que ceux-ci recourent à un avocat ou à un défenseur syndical, seul le périmètre d’intervention géographique du second étant restreint à une région administrative, est susceptible de ne pas être justifiée et de causer un déséquilibre entre les droits des justiciables selon que ces derniers sont assistés ou représentés par un avocat ou par un défenseur syndical » pour les hauts magistrats, pour qui la question est d’importance.
- Si la disposition est jugée inconstitutionnelle…
En cas de succès, le champ d’intervention du défenseur serait alors étendu à l’ensemble du territoire national. La QPC bénéficierait alors aux régions concernées par des conseils de prud’hommes relevant de cours d’appel situées dans une région administrative différente de celle du conseil de prud’hommes, comme c’est le cas dans l’affaire présentée.
Cela permettrait également aux défenseurs de branche, qui ne peuvent aujourd’hui intervenir que dans le périmètre d’une seule région administrative, de pouvoir à nouveau intervenir sur l’ensemble du territoire. Cela peut s’avérer nécessaire sur certaines problématiques de branche faisant l’objet d’un contentieux éclaté sur le territoire national.
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer dans un délai de 3 mois sur cette QPC.
(1) Décret n°2016-975 du 18.07.16 relatif aux modalités d’établissement de listes, à l’exercice et à la formation des défenseurs syndicaux intervenant en matière, D.1453-2-4 du Code du travail.
(2) CE.17.11.17, n°403535.
(3) Ordonnance n°2017-1718 du 20.12.17 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n°2017-1340 du 15.09.17 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
(4) Article L.1453-4 du Code du travail, alinéa 3.
(5) Plus précisément, les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, art. 1 de la Constitution de 1958 et alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946.