Déconfinement et licenciements : les craintes des syndicats de salariés

Cette publication provient du site du syndicat de salariés FO.

Alors que des dizaines de millions de travailleurs se sont retrouvés au chômage partiel du jour au lendemain, que des dizaines de millions d’autres, parmi les plus précaires, sont déjà sur le carreau, plusieurs grandes entreprises ont annoncé ces derniers jours des plans massifs de suppressions d’emplois, y compris par licenciements secs, aux quatre coins du monde. D’autres, sans faire d’annonces précises, ne cachent pas leurs intentions, comme la SNCF en France … 

La direction de Airbnb, la fameuse plateforme payante de location et de réservations de logements fondée en 2008, a annoncé le licenciement d’environ25% de ses 7 500 salariés de par le monde. 

Confinement, restriction de la circulation, fermeture des frontières… Les activités liées au tourisme ont été percutées de plein fouet par les mesures prises pour enrayer la pandémie. 

 

Les compagnies aériennes en première ligne 

Air France-KLM n’en fait plus un mystère : la compagnie française prépare des suppressions d’emplois en nombre significatif, apprenait-on dans la presse ce 11 mai. Les plans de départs volontaires devraient être présentés aux représentants du personnel fin juin, début juillet, pour être négociés pendant l’été. Les sources internes citées par le quotidien Les Échos indiquent que la baisse des effectifs pourrait atteindre 30% rien que dans les fonctions support et reproduction, sans plus de précisions chiffrées pour l’instant. 

Rappelons que l’État français a garanti un prêt de 4 milliards d’euros (sur une aide de 7 milliards d’euros) à la compagnie, sans l’ombre d’un engagementde la direction de ne procéder à aucun licenciement en contrepartie. 

Outre-Rhin, la compagnie aérienne allemande Lufthansa devra supprimer 10 000 emplois a estimé son directeur général, Carsten Spohr, sans préciser par quels moyens (licenciement ou départs « volontaires ») et tout en négociant une aide d’État de 9 milliards d’euros. Nous avons besoin d’aide publique mais pas d’une direction nationalisée, a-t-il ajouté. 

Outre-Manche, British Airways prévoit de supprimer 12 000 emplois, soit un quart de ses effectifs, a annoncé sa maison mère, le groupe IAG. La compagnie britannique s’était pourtant vantée d’être suffisamment nantie pour affronter la crise due à la pandémie et avait décliné toute aide de l’État. Le groupe IAG englobe également la compagnie espagnole Ibéria et l’irlandaise Aer Lingus. Cette dernière prévoit, elle, de supprimer environ 20% de ses effectifs, soit environ 900 postes sur un peu plus de 4 000. 

La compagnie irlandaise à bas prix Ryanair a de son côté annoncé 3 000 licenciements (soit 15% des effectifs ), principalement parmi les pilotes et personnels navigants. Elle prévoit également de réduire de 20% le salaire de certains de ses salariés et d’en placer d’autres en congé sans solde. Cela représente le minimum dont nous avons besoin pour survivre les douze prochains mois, a d’ores et déjà prévenu le patron de la société, Michael O’Leary, précisant qu’il fallait s’attendre à des fermetures de bases au Royaume-Uni. Le syndicat britannique Unite a demandé à la compagnie de renoncer à ces suppressions d’emplois, estimant qu’elle dispose de réserves de trésorerie importantes et est mieux armée que d’autres compagnies pour affronter la crise. 

 

Les avionneurs dans le sillage 

De fait, à l’autre bout du monde, en Afrique du Sud, la compagnie aérienne nationale South African Airways (SAA) qui était déjà en difficulté avant la crise est en voie de liquidation. La compagnie a annoncé purement et simplement le licenciement de la totalité de ses quelque 5 000 salariés, après que l’État a refusé de lui verser une nouvelle aide d’urgence. La crise due à la pandémie n’a fait que précipiter les choses pour une compagnie déjà très lourdement endettée et qui n’a réalisé aucun bénéfice depuis 2011. Toutefois, le 8 mai, les syndicats de la métallurgie et des personnels de cabine ont obtenu que la justice suspende les licenciements tant que la direction, qui a déjà en projet la création d’une nouvelle compagnie a capitaux publics et privés, n’aura pas mis sur la table un plan de sauvetage de la compagnie. 

Au Moyen-Orient, la compagnie aérienne du Qatar (Qatar Airways) a averti le 5 mai qu’elle n’échapperait pas à de nombreux licenciements (…) y compris au sein du personnel navigant, sans préciser combien de ses quelque 30 000 employés seront concernés. 

Très logiquement, la crise se répercute aussi sur les constructeurs d’avions. Le groupe industriel britannique Rolls-Royce, qui fabrique des moteurs d’avions, envisage jusqu’à 8 000 suppressions d’emploi, ce qui représente environ 15% de sa main d’œuvre. 

Outre Atlantique, aux États-Unis, où le trafic aérien a été réduit de plus de 95%, le constructeur américain Boeing, a rouvert ses usines temporairement fermées, mais a confirmé le 29 avril la réduction d’environ 10% de ses effectifs mondiaux (soit environ 16 000 sur 160 000), précisant que cela se fera par des départs volontaires mais aussi des licenciements secs. 

Boeing a demandé une aide gouvernementale d’au moins 60 milliards de dollars pour lui et ses 17 000 sous-traitants, mais a averti dès le 29 avril qu’une entrée de l’État fédéral dans son capital serait une ligne rouge à ne pas franchir. L’avionneur américain va réduire les cadences de production de ses longs courriers, à l’instar de son concurrent européen Airbus. 

Depuis la mi-avril, Airbus a en effet réduit sa production d’un tiers, passant de 60 à 40 appareils par mois, pour les A320, d’une dizaine à 6 par mois pour les A 350 et de 3 à 2 par mois pour les A330. Une nouvelle baisse pourrait être décidée en juin, a déjà averti la direction. Si aucune annonce précise de suppressions d’emplois n’a été faite pour l’instant, la direction n’en a pas moins tiré la sonnette d’alarme. Notre trésorerie diminue à une vitesse sans précédent, ce qui peut menacer l’existence même de notre entreprise, a-t-elle écrit dans un courrier adressé à ses 135 000 salariés le 29 avril. 

 

Et les autres … 

La direction de la SNCF a elle été beaucoup plus précise sur ses intentions. La question de l’emploi n’est pas un sujet tabou, a déclaré son P-DG, Jean-Pierre Farandou. Si la reprise est lente et si nous produisons moins de trains que par le passé, il ne sera pas anormal ou illogique d’ajuster le niveau d’emploi au volume d’activité, a-t-il ajouté. Les suppressions de postes se traduiraient essentiellement sur le niveau des embauches, a indiqué un porte-parole de la compagnie. 

Certains entendent visiblement profiter de la situation. Ainsi, alors que le groupe américain General Electric a annoncé la suppression de 10 000 emplois supplémentaires dans sa division aviation (il en avait déjà supprimé 2 600 en mars), précisant qu’il s’agira de départs volontaires mais aussi de licenciements secs, sa direction française a décidé d’accélérer la délocalisation de l’activité de son site de Belfort vers la Hongrie et l’Arabie saoudite. La délocalisation était prévue dans un an à l’origine. 

 

Un sale coup pour un « marché » de l’emploi déjà affaibli par la crise 

Déjà décidés ou pour l’instant murmurés, ces plans des grandes entreprises frapperaient un « marché » de l’emploi américain déjà extrêmement fragilisé par la crise. Pas moins de 20,5 millions d’emplois ont ainsi déjà été détruits aux États-Unis au mois d’avril, selon les derniers chiffres officiels publiés le 8 mai. L’emploi a fortement chuté dans tous les principaux secteurs, avec des pertes d’emplois particulièrement importantes dans les loisirs et l’hôtellerie, a précisé le département du travail. 

Le taux de chômage de la première économie mondiale a ainsi bondi à 14,7% (contre 4,4% en mars), alors que son plus haut niveau avait été de 10,1% au plus fort de la crise de 2009. De plus, le nombre de personnes de personnes occupant un emploi à temps partiel pour des raisons économiques a presque doublé pour atteindre 10,9 millions, a précisé l’administration américaine. 

 

Le chômage partiel amortit le choc, mais pour combien de temps ? 

En France, comme dans d’autres pays européens, le recours aux dispositifs de chômage partiel permet d’amortir le choc. Mais pour combien de temps ? 

Ce 11 mai, premier jour de déconfinement pour les Français, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a confirmé que le dispositif de prise en charge du chômage partiel par l’État allait être progressivement réduit. Il y a 12,2 millions de salariés qui sont couverts par le chômage partiel [soit] six emplois sur dix du secteur privé, a-t-elle indiqué, reconnaissant que ce dispositif avait permis d’éviter une vague de licenciements massifs. Aujourd’hui, les conditions de la reprise sont là. Donc il n’y a pas tellement de raison que ce soit l’État qui continue à payer l’intégralité des salaires de 12 millions de salariés en France, a-t-elle ajouté. 

Mais, les conditions de la reprise sont-elles vraiment là ? Et que faut-il entendre par « reprise » ? Ces deux mois nous ont déjà coûté près de 6% de perte sur la croissance annuelle. La perte sur l’ensemble de l’année sera plus élevée que cela puisque pendant le redémarrage, l’activité reste partielle, a d’ores et déjà prévenu le gouverneur de la Banque de France, M.Villeroy de Galhau, ce 12 mai. Dans ce contexte plombé par la crise sanitaire, la confiance dans des entreprises qui n’ont pas attendu le Covid-19 pour sacrifier des emplois sur l’autel de la rentabilité est bien ténue. 

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