Dans quelle mesure le salarié peut-il jouir de sa liberté d’expression au sein de l’entreprise ?

Cet article a été intialement publié sur le site du syndicat : CFDT

 

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation rappelle que pour apprécier la gravité des propos tenus par un salarié, il faut tenir compte du contexte dans lequel ils ont été tenus, de la publicité qui leur a été donnée et de leurs destinataires. Ainsi, le salarié n’a pas abusé de sa liberté d’expression lorsque ses propos ont été tenus dans un message destiné à des salariés et représentants syndicaux, à propos de la négociation d’un accord collectif, pour défendre des droits susceptibles d’être remis en cause. Cass. soc. 19.05.2016, n° 15-12.311. 

Selon une jurisprudence constante, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées (1). 

Ainsi, l’employeur ne peut-il restreindre cette liberté que dans la mesure où cela est justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché (2). 

Pour qu’un abus soit caractérisé, il faut que les propos de l’intéressé aient été injurieux, diffamatoires ou excessifs (3). Mais les juges apprécient cet abus au cas par cas, en fonction du contexte dans lequel les propos sont prononcés. 

  • Un langage excessif et familier

Dans le cadre d’une fusion, l’entreprise avait présenté un projet d’accord en vue de l’harmonisation des statuts collectifs du personnel. Avant une réunion de consultation des salariés à laquelle il ne pouvait assister, le salarié avait adressé un courrier électronique à l’ensemble des salariés concernés et aux représentants syndicaux de l’entreprise, critiquant vigoureusement ce projet d’accord. Il avait employé des termes tels que « lamentable supercherie », « chantage », « couteau sous la gorge », « propos incomplets voire fallacieux de M. Y… qui semble bien pressé de voir signer ce texte », « dictature », « actions sournoises et expédiées », « laissons la direction s’enliser elle-même dans ses propres erreurs » ou encore des termes familiers tels que « génial l’accord !» ou « merci l’accord !». 

A la suite de cet e-mail, le salarié a été licencié pour faute grave au motif qu’il aurait abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos jugés excessifs et insultants par l’employeur. 

Le salarié a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes. Les premiers juges l’ont débouté, mais la cour d’appel a prononcé la nullité du licenciement du salarié pour violation de sa liberté d’expression. 

Les opinions que les salariés émettent dans l’exercice de leur liberté d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement. Ainsi, un licenciement pris en violation de la liberté d’expression du salarié est nul (4). 

Tout en rappelant que la liberté d’expression était une liberté fondamentale du salarié, les juges d’appel ont estimé que le salarié n’avait fait qu’user de sa liberté d’expression quand il a critiqué l’accord d’harmonisation qui lui était soumis. Plusieurs éléments ont permis aux juges d’aboutir à cette solution. Ils ont notamment établi un historique des relations entre l’employeur et le salarié et ont pu constater que ce dernier avait déjà usé d’une liberté de ton particulière, mode d’expression que l’employeur avait tolérée sans jamais la sanctionner. Mais le facteur le plus déterminant est le fait que les propos tenus par le salarié s’inscrivaient dans un contexte de négociation collective dans l’entreprise. 

  • La liberté d’expression dans le cadre de la négociation d’un accord collectif

La Cour de cassation a confirmé l’analyse faite par la cour d’appel. Elle rappelle d’abord que pour apprécier la gravité des propos tenus par un salarié, il faut tenir compte du contexte dans lesquels ces propos ont été proférés, de la publicité qui leur est donnée et de leurs destinataires. 

A l’analyse des faits, les propos du salarié n’étaient pas sortis de l’entreprise et avaient été tenus dans un message destiné à des salariés et représentants syndicaux. Ils concernaient la négociation d’un accord collectif et avaient pour objectif de défendre des droits susceptibles d’être remis en cause. Dans ce contexte, les juges ont pu considérer qu’il n’y avait pas eu abus de la liberté d’expression. 

La Cour de cassation protège une nouvelle fois la liberté d’expression des salariés. Cette liberté est largement garantie dans un contexte de négociation collective dans l’entreprise, particulièrement lorsqu’il s’agit de « défendre des droits susceptibles d’être remis en cause ». 

Cet arrêt de la Haute juridiction est éminemment important au regard de la place que prévoit de donner le projet de loi travail à la négociation collective d’entreprise. Le dialogue social en entreprise sera amené à s’intensifier. Cette solution de la Haute juridiction tombe à point, elle garantit que les salariés seront protégés dans leurs échanges avec l’employeur dans ce cadre. 

(1) Cass. soc. 14.12.99, n° 97-41.995. (2) Art. L. 1121-1 C. trav. (3) Cass. soc. 27.03.13, n° 11-19.734. (4) Cass. soc. 28.04.88, n° 87-41.804 

 

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