Crise de l’élevage: crise du libre-échange?

Les éleveurs français mènent depuis plusieurs jours maintenant un conflit violent lié à la baisse des tarifs. Ce conflit était prévisible et pose avec une acuité rare (dans sa “pureté”, si on ose dire) la question du libre-échange et de son impact sur les prix. 

Des marchés secoués par les importations

Dans la pratique, le marché français de l’élevage est perturbé par deux données exogènes qui avivent des tensions latentes depuis plusieurs années. 

Première donnée exogène: l’embargo russe a réduit les débouchés de l’élevage européen et crée une crise de surproduction. Rappelons que cet embargo est intervenu courant 2014 en représaille contre des sanctions décidées par l’Union Européenne contre la politique russe en Ukraine. Tout au long de l’année 2014, Vladimir Poutine n’a cessé d’léargir son périmètre, qui touche essentiellement les produits frais.  

Les éleveurs français ont tout de suite compris la menace: la production agricole de l’Union, privée de ses débouchés en Russie (10% de ses exportations…), était promise à la crise. Si la France n’est pas touchée directement par l’embargo, elle en subit les contre-coups: les exportateurs se sont rabattus vers le marché français pour écouler leur stock à bas prix.  

La réforme de la PAC en ligne de mire

Dans le même temps, l’Union Européenne a décidé de supprimer les quotas laitiers mis en oeuvre dans les années 80 pour lutter contre la surproduction. Les producteurs allemands, irlandais et néerlandais étaient impatients de bénéficier de cette mesure qui leur permet d’inonder leurs voisins avec leur production à bas prix, permise par des gains de productivité liés tant à la taille des élevages qu’à la performance des vaches laitières (la Holstein…).  

Là encore, les producteurs français ont beaucoup souffert, faute de disposer des mêmes atouts. Les races laitières françaises sont moins productives que la Holstein et les élèvages sont moins importants.  

La productivité agricole française en question

Ces facteurs exogènes révèlent les difficultés structurelles de la filière française de l’élevage, affectée par son retard industriel. Depuis une dizaine d’années, les concurrents de la France se sont en effet lancés dans une course au gigantisme que refusent les producteurs français. Ainsi, alors qu’entre 2000 et 2010, la taille moyenne de l’exploitation agricole allemande a augmenté de plus de 50% (passant de 36 à 55 hectares), cette progression n’était que de 25% en France (de 42 à 53 hectares).  

Dans le domaine plus spécifique de l’élevage, les producteurs allemands se sont structurés pour produire à faible coût. Alors que les fermes de plus de 1.000 vaches suscitent une résistance farouche en France, elles sont monnaie courante en Allemagne. On lira ici le témoignage d’un éleveur allemand qui illustre ce changement de métier: 

« Si j’ai voulu avoir un très grand troupeau, je crois que c’est d’abord parce que je ne voulais pas traire toute ma vie ! Construire de grandes fermes devient de plus en plus compliqué en Allemagne et il ne fallait pas partir trop tard. Et puis, j’aime calculer, optimiser l’existant, améliorer la rentabilité de l’exploitation, mais aussi travailler avec des gens et gérer une équipe. En quelques années, mon métier a beaucoup changé. Je n’hésite pas à m’entourer de spécialistes, notamment pour la finance, la gestion ou dans le domaine juridique. Il y a des boulots que je suis le seul à pouvoir faire sur l’exploitation et ceux que je peux confier aux salariés, il faut progressivement apprendre à déléguer et à faire confiance à ses équipiers. » (…) 

« Il m’est aujourd’hui bien plus simple de gérer 900 ou 1.200 vaches qu’à l’époque où je n’en avais que 300 ou 400 et j’ai davantage de temps libre pour mes quatre enfants. En effet, avec un troupeau de taille intermédiaire, je n’avais que deux salariés et cela posait beaucoup de problèmes d’organisation pour les week-ends, les congés,… Aujourd’hui, c’est plus facile de faire un roulement. »  

 

On est évidemment très loin de la logique française… 

Des filières défaillantes

Dans le même temps, les producteurs allemands ont su organiser une logique de marché à terme qui stabilise les tarifs. 

« Pour cette laiterie, ce contrat garantit l’approvisionnement, car aujourd’hui avec le marché « spot » du lait, les éleveurs allemands ne sont plus contraints à la fidélité avec leur laiterie, explique-t-il. Avant d’avoir contractualisé, j’étais souvent payé en-dessous du prix du marché. En mai 2013, j’ai reçu entre 0,32 et 0,35 €/l ». En France, à la même époque, les éleveurs recevaient en moyenne 0,309 €/l . 

 

Pourquoi le puissant syndicalisme agricole en France n’est-il pas parvenu à négocier la mise en place d’un système de ce type? La réponse à cette question mériterait une enquête approfondie. Toujours est-il que c’est l’organisation de la filière qui manque d’efficacité en France en ne permettant pas ce système de contrats à terme protecteur pour le producteur. 

Libre-échange et protection du terroir

Face à l’industrialisation agricole à l’oeuvre dans les pays du Nord de l’Europe, la filière de l’élevage en France est confrontée à un dilemme. Soit elle s’adapte à cette tendance, ce qui signifie un arbitrage collectif complexe à rendre sur l’avenir de nos terroirs: moins de paysans, mieux payés, mais avec une activité moins diversifiée (à quel prix seront vendus nos bons steacks de Salers?). Soit elle préserve sa diversité et son ancrage territorial, mais elle deviendra plus que jamais un produit de luxe. A moins, bien sûr, de bénéficier d’une protection tarifaire contre les importations de nos voisins. 

Très vite après la crise grecque, donc, une autre question sur le marché unique se pose. Et cette fois, elle se pose en France.  

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