Cet article a été rédigé par Claire Leroy, avocate, et provient du site Village de la Justice.
Cet article concerne les contrats de travail mis en place dans une grande entreprise française de services à la personne qui se définit comme le premier créateur d’emplois en France.
Les contrats de travail, dit à temps choisi, sont des contrats à temps partiel très particuliers et uniques en France, créés pour les besoins de cette entreprise en tenant compte des spécificités du secteur des services à la personne.
Le contrat de travail à temps choisi est un contrat de travail à temps partiel pour lequel l’employeur garantit à son employé un nombre d’heures de travail mensuel (souvent très faible, 8h mensuelles).
Il est convenu aux termes de ce contrat que l’employeur pourra proposer au salarié d’effectuer davantage d’heures, sans précision de limite, le salarié étant libre ou non de les accepter.
Il s’agirait donc pour le salarié de bénéficier d’un temps partiel modulable en fonction de son emploi du temps et de ses besoins.
On peut supposer que ce contrat est empli de bonnes intentions mais il est également plein d’effets pervers.
Quel est le réel libre arbitre du salarié lors de la proposition d’heures ; il ne faut pas oublier que celui-ci est lié à son employeur par un lien de subordination et non un lien de collaboration ?
Que se passe t-il en cas de refus (pas de sanction prévue mais concrètement l’employeur va t-il continuer à proposer des heures à un salarié qui en refuse plusieurs) ?
Comment s’assurer d’une stabilité de revenus, les heures proposées étant variables du simple au double chaque mois (rappelons que les heures garanties sont très faibles) ?
Ce contrat est voué à disparaître du fait de la loi du 14 juin 2013 qui est venu modifier la réglementation des temps partiels.
Il est également voué à disparaître en raison des nombreux litiges qui sont nés de son application notamment en raison de la rémunération des heures complémentaires.
Toutefois, avant cette disparition annoncée, il convient de régler le sort de tous les contrats en cours et des conflits qui y sont liés dont certains se trouvent encore devant les Conseils de prud’hommes.
Un rappel sur la législation relative au temps partiel et aux heures complémentaires s’impose avant toute chose.
La loi prévoit une limitation du recours aux heures complémentaires :
Dans le cadre d’un temps partiel, le Code du travail limite le recours aux heures complémentaires à 1/10e de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue au contrat ou un 1/3 de cette durée si une convention ou un accord le prévoit.
Les heures complémentaires ne doivent pas avoir pour effet de porter la durée du travail à la durée légale (35h) ou conventionnelle dans l’entreprise, sans quoi le salarié à temps partiel peut demander la requalification de son contrat à temps complet.
La Cour de cassation a précisé que lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet de porter la durée du travail d’un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le contrat à temps partiel doit, à compter de la première irrégularité être requalifié en contrat à temps plein [Cass. Soc. 17 déc. 2014, n°13-20627].
Enfin, lorsque le salarié est amené à accomplir des heures complémentaires, la question de sa rémunération se pose.
La loi prévoit une rémunération majorée des heures complémentaires :
Avant la loi du 14 juin 2013 applicable au 1er janvier 2014, les heures effectuées dans le cadre du 10e n’étaient pas majorées. Depuis le 1er janvier 2014, les heures complémentaires accomplies dans la limite du 10e sont majorées de 10%.
Au delà du plafond du 10e et jusqu’au 1/3 de la durée prévue dans le contrat de travail, les heures complémentaires effectuées à partir du 10e sont majorées de 25% (ou exceptionnellement de 10% à 25% si un accord de branche étendu le prévoit).
Les heures excédant le tiers de la durée contractuelle de travail sont soumises à la majoration de 25%.
Il existe donc deux principes généraux applicables au temps partiel. D’une part les heures complémentaires sont extrêmement limitées, d’autre part, elles font l’objet d’une rémunération majorée.
Ces règles ont-elles matière à s’appliquer dans le cadre du contrat de travail à temps partiel dit « choisi » tel que décrit précédemment ?
En effet par le jeu des heures garanties très faibles et des propositions d’heures faites par l’employeur, les heures de travail effectuées dépassent nécessairement le 10e et même le tiers du temps de travail initial pouvant aller du simple au double ou, bien souvent davantage…
Prenant argument de la liberté de choix du salarié, l’employeur rémunère les heures sans aucune majoration. Pas d’heures imposées, pas d’heures majorées !
L’employeur se libère des dispositions du Code du travail relatives à la limitation des heures complémentaires et de leur majoration dans une vision purement libérale et dans un absolu de liberté contractuelle (nécessairement biaisé compte tenu du lien de subordination).
Plusieurs salariés ont dénoncé ce contrat de travail et l’ont porté devant le Conseil de prud’hommes avec des résultats mitigés.
C’est par l’aspect pénal que la plus haute juridiction a été amenée à donner sa solution.
En effet, l’employeur a été poursuivi devant le Tribunal de police, le non respect des dispositions relatives aux heures complémentaires étant passible de sanctions pénales.
Condamné devant le Tribunal de police, puis devant la Cour d’appel, l’employeur a saisi la Cour de cassation.
Cette dernière a jugé que « la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que les articles L. 3123-14, L. 3123-17 et L. 3123-19 du code du travail ne distinguent pas selon que les heures effectuées au-delà de la durée prévue par le contrat de travail à temps partiel initial sont imposées ou non par l’employeur » [Crim. 2/09/14 n°13-83854].
Par conséquent, non seulement les heures doivent être limitées conformément aux dispositions légales malgré l’accord contractuel, mais encore toutes doivent être majorées suivant la loi.
L’absence de contrainte du salarié et la supposée liberté de choix de celui-ci n’exonère pas pour autant l’employeur du respect des textes considérés d’ordre public.
Cet arrêt sonne le glas de la défense de l’employeur.
Toutefois cette entreprise poursuit son combat au sein des instances prud’homales.
Celui-ci connaît un nouveau rebondissement par l’introduction d’une Question prioritaire de constitutionnalité.
Cette question est actuellement en cours d’examen par la Cour de cassation qui devra se prononcer sur le renvoi de celle-ci devant le Conseil constitutionnel.
Si tel en était le cas, le Conseil constitutionnel devra juger si la réglementation applicable au temps partiel est conforme à la Constitution est plus précisément au principe de la liberté contractuelle et au droit à la vie privée et familiale.
Cette hypothèse reste peu probable mais elle demeure actuellement suspendue à la décision de la Cour de cassation.