Cette publication provient du site du syndicat de salariés CFDT.
En cas de contentieux reposant sur l’exercice du droit au congé payé, l’employeur doit prouver qu’il a mis en œuvre toutes les mesures permettant au salarié de pouvoir bénéficier effectivement de son droit à congé. Faute de quoi, il sera tenu au paiement de l’indemnité de congés payés. Qu’en est-il cependant de l’employeur affilié à une caisse de congés payés ? Peut-il s’exonérer de son obligation d’assurer au salarié l’exercice effectif de son droit à congé ? La Cour de cassation vient, de manière inédite, étendre sa jurisprudence aux employeurs affiliés à une caisse de congés payés. Cass. soc. 22.09.21, n°19-17.046
Faits et procédure
En cause dans cette affaire, un dépanneur plombier chauffagiste est victime en 2012 d’une rechute pour laquelle a été décidée une prise en charge au titre d’une maladie professionnelle. Après avoir été placé en invalidité le 1er août 2013, le salarié est finalement déclaré inapte à son poste de travail en 2015, puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en janvier 2016. Dans ce contexte, le salarié saisit la juridiction prud’homale pour demander, entre autres, le paiement de rappel des congés payés non pris correspondant à la période durant laquelle il était en maladie professionnelle, soit du 1er avril 2012 au 31 mai 2013. En effet, le salarié revient sur le fait que la caisse de congés payés à laquelle son employeur est affilié a déclaré dans un courrier de 2015 que le salarié ne disposait pas de droit à congés payés au titre de l’année 2013 du fait de l’absence de temps de travail ou assimilable pour l’ouverture de ce droit.
En appel, le salarié voit sa demande rejetée. La cour d’appel considère ainsi que dans la mesure où l’employeur a satisfait à ses obligations à l’égard de la caisse (en matière d’affiliation et de paiement des cotisations), il est déchargé de toute obligation quant au paiement de l’indemnité de congés payés. L’unique action possible et restante pour le salarié est de se retourner contre la caisse.
Contestant cette décision d’appel, le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.
En substance, la question posée dans cette affaire vise à savoir si l’employeur affilié à une caisse de congés payés est tenu, au même titre qu’un employeur de droit commun, à une obligation d’assurer au salarié un droit effectif au congé payé.
Le droit au congé annuel payé : un principe du droit social de l’Union européenne
Dans un premier temps, la Cour de cassation retient parmi les arguments soutenus par le salarié que le droit au congé annuel payé constitue un principe du droit social de l’Union européenne revêtant une importance particulière (1). Ce principe ressort de la lecture combinée de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et de l’article 7 de la directive 2003/88 relative au temps de travail qui reconnait à tout travail le droit à un congé annuel payé d’au moins 4 semaines. Ainsi, la finalité même du droit au congé annuel payé vise à permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs.
Partant, il revient au juge national d’interpréter le droit français à la lumière du droit de l’UE, et plus particulièrement, de l’article 7 de la directive 2003/88 relative au temps de travail, afin que le salarié soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés.
En l’occurrence, la période pour laquelle le salarié demande le paiement des indemnités de congés payés correspond à une période de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie professionnelle. Selon le Code du travail, cette période doit être assimilée à du temps de travail effectif pour déterminer la durée des congés payés.
Pour rappel, l’article L.3141-5 du Code du travail énonce que sont notamment considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
- les périodes de congé payé ;
- les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ;
- les contreparties obligatoires sous forme de repos pour les heures supplémentaires réalisées au-delà du contingent annuel légal ou conventionnel ;
- les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
En revanche, le droit du travail français n’assimile pas l’absence du salarié pour maladie non professionnelle à du temps de travail effectif pour l’acquisition du droit à congé payé, ce qui est selon nous contraire au droit de l’Union européenne qui n’opère aucune distinction selon la cause de l’absence du salarié arrêté pour maladie (qu’elle soit professionnelle ou non professionnelle) (2).
Le régime de la preuve en matière de droit aux congés payés
Dans un second temps, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence constante relative au régime de la preuve en matière de prise de congés payés pour les employeurs de droit commun (3) : en cas de contentieux, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les diligences qui lui incombent pour mettre le salarié en capacité de bénéficier effectivement de son droit à congé.
Toutefois, jusqu’à présent, cette solution ne s’appliquait pas pour l’employeur affilié à une caisse de congés payés. En effet, la Cour de cassation énonçait que seule la caisse qui se substitue à l’employeur, est débitrice des congés payés (cass. soc. 06.05.97, n°95-12.001). Dès lors, en cas de manquement par l’employeur affilié à une caisse aux obligations légales lui incombant, le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement de l’indemnité de congés payés auprès de lui. Il pouvait seulement lui demander des dommages et intérêts en raison du préjudice subi (Cass. Soc. 24.11.93, n°89-43.437).
L’employeur affilié à une caisse doit désormais justifier avoir satisfait à son obligation légale
La Cour de cassation se réfère au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence de la Cour de justice, laquelle considère que l’employeur est tenu « de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés, en l’incitant, au besoin formellement, à le faire, tout en l’informant de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer ». A ce titre, la charge de la preuve incombe à l’employeur (en ce sens, la chambre sociale cite l’arrêt CJUE, 06.11.18, C-684/16).
C’est en s’appuyant sur cette jurisprudence européenne que, par une décision inédite, la Cour de cassation procède à un revirement et applique sa jurisprudence sur les congés payés à l’employeur relevant d’une caisse de congés payés. Ainsi, pour la Haute juridiction, il appartient à l’employeur affilié à une caisse de congés payés de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de la caisse de congés payés. Et en cas de contestation, il doit justifier avoir accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. Par conséquent, ce n’est que dans le cas où l’employeur a dûment exécuté son obligation que la caisse se substitue alors au paiement de l’indemnité de congés payés.
La CFDT salue cette décision de la Cour de cassation qui vient harmoniser les règles en matière de droit aux congés payés, que l’employeur soit affilié ou non à une caisse de congés payés. Le droit français vient ainsi se mettre en conformité avec le droit de l’Union, afin d’assurer l’objectif essentiel du droit au congé annuel payé : garantir la santé et sécurité du travailleur en lui permettant de se reposer et de disposer d’une période de détente.
(1)En ce sens CJUE, 29.11.17, C-214/16.
(2) CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez
(3) Cass. Soc. 13.06.12, n°11-10.929 ; Cass. Soc. 21.09.17, n°16-18.898.