Le Sénat a nourri un débat particulièrement intéressant sur le congé maternité des entrepreneuses. Alors que l’Assemblée Nationale avait adopté en première lecture du PLFSS 2019 un amendement instaurant un versement minimal de prestations de remplacement et une période minimale d’arrêt pour les entrepreneurs enceinte, le Sénat a adopté un contre-amendement supprimant la période minimale d’arrêt. Les motivations de cette suppression méritent une attention tout à fait particulière…
Nous avions évoqué les propositions de la députée Rixain, en première lecture du PLFSS, qui faisait écho à des problématiques que nous avions largement évoquées dans nos colonnes par le passé: la situation des entrepreneuses face au congé maternité est totalement contraire aux dispositions nationales et internationales applicables aux femmes salariées. La députée Rixain a fait oeuvre utile en fixant un cadre tendant à une normalisation de cette situation. Mais c’est vrai qu’en subordonnant le versement des prestations maternité à un arrêt effectif de l’entrepreneuse durant toute la durée du congé, elle a posé une condition que peu de femmes à la tête d’une entreprise peuvent remplir.
L’intéressant argument de la sénatrice Deroche sur le congé maternité des entrepreneuses
La sénatrice Catherine Deroche (LR, Angers) a déposé un amendement, adopté par le Sénat, pour supprimer cette condition d’arrêt effectif de l’entrepreneuse. Les motivations de cet amendement sont dignes d’intérêt:
“Il s’agit ainsi de revenir sur un dispositif présenté comme plus protecteur de ces travailleuses en ce qu’il aligne la durée minimale de leur congé de maternité indemnisé sur celle du congé bénéficiant au salarié, mais qui pourrait en pratique conduire certaines d’entre elles à se trouver contraintes de renoncer à toute forme d’indemnisation.
Un tel alignement n’apparaît en effet pas nécessairement adapté aux conditions d’activité des travailleuses non salariées, dont certaines doivent en pratique assurer une activité dans les semaines qui précèdent ou suivent leur accouchement pour garantir la viabilité de leur entreprise. De ce fait, si un alignement de la durée maximale de versement des prestations apparaît tout à fait souhaitable, il n’en va pas de même s’agissant de la durée minimale d’interruption d’activité conditionnant le versement des prestations.
Les travailleuses indépendantes se trouvent en effet dans une situation objectivement différente de celle des salariées : l’enjeu n’est pas de garantir leur protection dans le cadre de l’organisation d’une entreprise, mais de leur permettre d’interrompre leur activité dans des conditions financièrement acceptables, tout en leur permettant de reprendre leur activité de manière souple et adaptée à la myriade de leurs situations personnelles.”
Il n’est pas courant d’entendre des parlementaires souligner avec autant de clarté la différence de nature entre l’occupation professionnel d’un entrepreneur, et celle d’un salarié. La conclusion qui en est tirée, à savoir que les dispositifs de protection sociale applicables aux uns et aux autres ne peuvent être identiques mérite toute notre attention.
La surdité gouvernementale face à cette argumentation
On regrettera que cette lucidité qui s’est emparée du Sénat n’ait pas contaminé le gouvernement, manifestement sourd aux arguments de bon sens. La ministre Buzyn a en effet ignoré la problématique apportée par la sénatrice Deroche, et s’est contentée de répéter les arguments officiels, sans rien apporter de neuf.
“Cependant, le Gouvernement a évidemment été attentif à la spécificité du travail indépendant. Un amendement a été adopté lors des débats à l’Assemblée nationale, sur l’initiative de Mme Rixain, visant à permettre de concilier congé maternité et reprise d’activité. Après l’arrêt obligatoire de huit semaines, les travailleuses indépendantes ont la possibilité de reprendre leur activité à temps partiel.
Votre proposition, au contraire, conduirait les travailleuses indépendantes à renoncer à tout ou partie de leur congé, au détriment parfois de leur santé et de celle des enfants, plutôt qu’à essayer de l’aménager.
C’est la raison pour laquelle je sollicite le retrait de cet amendement.”
Proposer sans autre argumentation une réduction partielle d’activité là où le Sénat plaide pour une reprise à temps plein dans certains cas, sans chercher à montrer la prise en compte de ce point vrai posé par l’opposition est forcément déceptif. On s’attendait à mieux de la part d’une ministre femme…
En tout cas, le renouvellement de la vie politique n’est pas pour aujourd’hui, et le gouvernement préfère à une délibération sincère un affrontement partisan entre majorité et opposition. C’est bien dommage.
Rendez-vous à la commission mixte paritaire pour trancher ce point.