Compte personnel d’activité: le concours Lépine a la nostalgie du 19è siècle

L’intervention du Président de la République sur Canal+ a permis de donner naissance à une nouvelle invention digne du concours Lépine: le compte personnel d’activité. 

Le compte personnel d’activité, kesako?

La notion de compte personnel d’activité est encore très obscure. Officiellement, il s’agit de rassembler dans un seul compte l’ensemble des droits portables d’un salarié… qu’il s’agisse de droit à la prévoyance ou à la formation professionnelle, de droits ouverts au titre de la pénibilité. Bref, il s’agit de constituer une sorte de livret d’épargne des droits collectionnés par le salarié durant sa carrière et qui lui deviennent personnels à force d’être transférables d’un contrat à l’autre. 

On retrouve ici l’idée, sous une autre forme, d’une sécurité sociale professionnelle, qui regrouperait tous les droits ouverts au titre du contrat de travail, et qui se sont multipliés ces dernières années.  

Un concept plus qu’une réalité

Si l’on comprend intuitivement l’idée, ou plutôt l’intention, qui se cache derrière le concept, il n’en reste pas moins que la réalisation de cette réforme présentée comme LA réforme du quinquennat par François Hollande apparaît très fumeuse. Elle consiste en effet à rassembler dans un même « écosystème » de droits des notions qui sont très différentes. En matière de prévoyance, la portabilité des droits se limite à un an, alors que dans le domaine de la formation, le nouveau compte personnel ne prévoit plus de limite de temps. Il en va de même de la pénibilité. 

La nature ayant horreur du vide, on peut imaginer que face à ce compte « peau de chagrin », les esprits ne tarderont pas à réclamer de nouveaux droits transférables, histoire de « remplir » le compte. En attendant, le compte personnel d’activité risque bien d’apparaître comme une paperasserie de plus dans un monde déjà très compliqué. Au passage, le compte personnel de formation est déjà inopérant, faute de moyens techniques capables de gérer ces droits acquis dans une entreprise mais consommés dans une autre.  

La nostalgie du livret ouvrier?

L’inspiration du compte personnel de formation est claire: petit à petit, il s’agit de dissocier les droits du salarié et son contrat de travail. D’une certaine façon, le compte personnel est l’enfant de la précarité: ce n’est pas parce que le salarié connaît des interruptions de carrière qu’il doit perdre ses droits. 

Les défenseurs de ce concept y voient volontiers un acte de flexibilité. L’existence du compte personnel d’activité dédramatise le licenciement et favorise la mobilité professionnelle. Le salarié perd en effet beaucoup moins, en cas de licenciement, avec un compte qui lui « enregistre » ses droits, que dans le système actuel. On pourrait même dire que le compte personnel est une façon plus intelligente de lutter contre les dégâts du chômage que l’indemnisation classique. Il faudra juste voir à l’usage si une entreprise ne sera pas effrayée, au moment du recrutement, par un livert aux droits bien remplis: la perspective de compter dans ses rangs un salarié qui peut partir pendant deux ans en congé formation, puis rapidement faire valoir ses droits au titre de la pénibilité peut comporter un fort effet dissuasif. 

Au fond, le compte d’activité que le salarié devra tôt ou tard exhiber agira comme le livret ouvrier du 19è siècle: il constituera l’enregistrement officiel de la carrière sans possibilité de droit à l’oubli. Ceux qui auront eu une carrière chaotique n’auront qu’à bien se tenir. Leur futur employeur n’aura plus besoin de curriculum vitae, il disposera d’un document officiel dont la lecture entre les lignes constituera une redoutable aide au recrutement.  

Ainsi va l’Histoire. A une époque, la gauche avait réclamé la suppression du livret ouvrier parce qu’il était intrusif et discriminatoire. Elle demande aujourd’hui son rétablissement. Erreur aujourd’hui, vérité demain… 

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