Certains pensent parfois que les critiques que nous adressons au paritarisme de gestion visent l’action syndicale, et constitueraient même une remise en cause du fait syndical. Les chiffres de la représentativité patronale publiés hier par le ministère du Travail permettent une fois de plus d’illustrer le contraire: le paritarisme de gestion est le plus grand ennemi de l’action syndicale, parce qu’il détourne le syndicat de ses adhérents et qu’il le transforme en bureaucratie inopérante.
Comment le paritarisme de gestion a tué le patronat de la boulangerie
Les chiffres de la représentativité patronale indiquent que la Confédération Nationale de la Boulangerie compte, en 2016, moins de 6.000 adhérents, dont 5.276 employeurs, pour un total de 31.000 salariés dans la branche. Autrement dit, le taux d’adhésion à la Confédération est tombé à moins de 18% dans cette branche pourtant travaillée au corps par un corporatisme extravagant.
Les esprits malicieux se souviennent qu’en 2007, la même Confédération comptait 30% d’adhérents. En dix ans, ce syndicat patronal a perdu la moitié de ses effectifs.
Les raisons de cet effondrement sont bien connues: en 2007, le président Crouzet a fait le choix de basculer sa confédération dans le monde du paritarisme de gestion. La désignation d’AG2R en santé, qui commissionne la confédération patronale sur les contrats, puis la relance de l’Institut National de la Boulangerie, qui a rapidement augmenté ses recettes issues de la formation professionnelle, ont permis aux permanents de s’installer dans un train de vie confortable, financé par des contributions obligatoires sur les adhérents.
Et voilà comment un syndicat supposé représenter ses adhérents devient peu à peu une machine à cash qui, comme aux grandes heures du syndicalisme salarié des années 60, se passe allègrement de ses cotisants.
Le parcours exemplaire de Jean-Pierre Crouzet dans la bureaucratie syndicale
Au demeurant, les institutions françaises sont organisées sur une large incitation à ne plus reposer sur l’adhésion et à vivre confortablement de contributions obligatoires. Le cas du président de la Confédération de la Boulangerie est exemplaire.
Après avoir imposé au sabre la désignation d’AG2R, en étant vice-président de ce groupe paritaire qu’il a avantagé sans aucun appel d’offres, Jean-Pierre Crouzet a entamé un parcours exemplaire dans les institutions et les corps intermédiaires de la Vè République. Cet obscur boulanger est devenu président de l’UPA, membre du Conseil Economique et Social, en plus de ses fonctions quasi-inamovibles de président de sa confédération, sans compter ses fonctions chez AG2R.
Alors pourquoi s’embêter à se fâcher avec le gouvernement, avec les syndicats de salariés pour défendre les intérêts de ses adhérents, quand il est infiniment plus simple de se passer d’eux et de faire carrière sous les lambris de la République en devenant politiquement correct et en servant les puissants? Le bilan de Jean-Pierre Crouzet est ici implacable: une réussite sociale, mais l’effondrement complet de son syndicat.
De là à dire que le paritarisme de gestion fut inventé pour ruiner l’action syndicale, il n’y a qu’un pas que nous franchissons allègrement.
La solidarité de branche, ce faux nez de la connivence
Car de quoi la solidarité de branche invoquée par les défenseurs du paritarisme de gestion est-elle le vrai nom?
En réalité, le paritarisme de gestion est la meilleure voie pour tuer la solidarité syndicale entre les salariés, puisqu’il permet à une organisation syndicale de vivre sans adhérents. Il ne faut jamais oublier, lorsqu’on lit la prose officielle sur le sujet (celle de Jacques Barthélémy), que la notion de solidarité qui justifierait des entorses à la concurrence signifie en réalité la défense des intérêts d’une bureaucratie syndicale (au sens large, dans laquelle nous englobons les conseils qui collaborent à cette vaste imposture). Celle-ci instrumentalie l’action collective pour assurer sa propre subsistance.
Le paritarisme de gestion est l’un des faux nez de ce capitalisme de connivence à la française, dont nous assistons aux derniers souffles, qui construit des rentes personnelles sur le dos de l’intérêt général qu’il prétend incarner.
Pour un syndicalisme d’adhésion
L’occasion était donc trop belle de rappeler que la vocation du syndicalisme, c’est la défense des intérêts de ses adhérents. Cette action est indispensable et à la démocratie et au progrès économique général. Mais pour être bien menée, cette action doit être indépendante. C’est-à-dire affranchie des entraves imposées par le paritarisme de gestion.