Comment la loi Travail va asphyxier les start-up

Il fallait bien que quelqu’un brise la loi du silence sur les effets toxiques que la loi Travail aura sur les start-up. Et il fallait bien expliquer pour quelle raison les organisations patronales regardent le bout de leurs chaussures, d’un air gêné et les doigts noués et dénoués dans le dos, pendant que l’assassinat se prépare. Beaucoup espéraient que les organisations syndicales de salariés empêchassent ce petit règlement de comptes entre amis. Mais l’expérience montre que, de nos jours, on n’est jamais mieux servi que par soi-même… et on ne peut plus compter sur personne, même pas sur la CGT! 

 

 

Les start-up assassinées dès les premiers jours

 

Initialement, les start-up devaient être servies par la loi Travail. L’une des dispositions inscrites dans la première version du texte (celle avant le premier nettoyage imposé par les syndicats) permettait de recourir au forfait-jour par décision unilatérale de l’employeur. 

C’est la seule revendication émise par les start-up dans le domaine du code du travail à ce jour: permettre de demander plus que 35 heures par semaine aux ingénieurs débutants sans avoir à obtenir des dizaines d’autorisation. 

Comme par hasard, cette disposition a immédiatement suscité la fureur des syndicats, ces amis des corporations, ces garde-chiourme d’une France rancie où les jeunes n’ont de place que si et seulement si ils acceptent de rentrer dans les combines des anciens, fondée sur la promotion à l’ancienneté, sur la démotivation et sur le calcul savant pour ne jamais donner trop à son travail. Et comme les syndicats ont hurlé, la première disposition qui a disparu dans l’absurde réécriture du texte, c’était, évidemment, le forfait-jour par décision unilatérale de l’employeur. 

 

Pourquoi les start-up n’ont pas accès au forfait-jour

 

Pour bien comprendre cette affaire, il faut revenir à ce que les pouvoirs publics appellent le Code du Travail, et qui serait mieux nommé s’il s’appelait le Code de la Paresse. Son article L 3121-39 stipule ceci: 

La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions. 

Sans accord collectif, donc, pas de forfait-jour. Or, une start-up commence d’ordinaire avec moins de dix salariés. Elle n’a donc pas la faculté de négocier un accord d’entreprise, puisque celui-ci est réservé aux entreprises de plus de dix salariés. Elle a besoin d’un accord de branche pour agir. Et, comme par hasard, l’accord de la branche à laquelle les start-up appartiennent d’ordinaire est défavorable, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans un prochain article. 

Bref, l’édifice construit en droit du travail pour limiter le recours au forfait-jour dans les start-up est un véritable parcours du combattant, que la loi Travail aurait pu simplifier. Mais, redisons-le, ce point-là fut le premier à disparaître. 

Les start-up placées à la table des enfants

 

Dans la pratique, la taille des start-up leur interdit, quoiqu’il arrive, de bénéficier des dispositions légales subordonnées à la conclusion d’un accord d’entreprise. Toute l’inversion de la hiérarchie des normes est donc inopérante pour elles. Autoriser une entreprise à déroger à la loi par accord d’entreprise, avantage les entreprises qui ont une taille suffisante pour avoir des représentants du personnel et handicape les autres. 

Pire même, l’inversion de la hiérarchie des normes favorise les grands en leur donnant un pouvoir de décision sur les petits. La mécanique (renforcée, a priori, par la future version de la loi) qui autorise les branches à interdire les dérogations (il fallait y penser, à celle-là), donne un pouvoir extrêmement important aux grandes entreprises. Statistiquement il n’y a qu’elle qui ont les moyens de déléguer des représentants aux travaux des branches. Les start-up, elles, ont trop le nez pointé dans leur guidon pour faire autre chose que développer leurs produits. 

Autrement dit, la loi Travail va permettre à des instances opaques appelées les branches de décider ce que les entreprises de plus de 10 salariés auront le droit de signer ou pas, et décideront des normes applicables par défaut dans les branches. Dans les branches très concurrentielles comme celles auxquelles les start-up appartiennent, les grands pourront donc décider des normes applicables dans les start-up, et s’octroyer le droit d’y déroger défavorablement. 

Pratiquement, la corporation des taxis pourra décider des normes applicables chez Uber, et s’exonérer elle-même de ces règles. 

 

Pourquoi les organisations patronales regardent le bout de leurs chaussures pendant ce temps

 

Comme je l’ai écrit plusieurs fois, la loi Travail est donc un formidable cadeau fait par le gouvernement, par le Parti Socialiste, par les Frondeurs, par la CFDT, au grand capital et aux rentiers sur le dos des créateurs de valeur que sont les entrepreneurs des start-up. 

Avec la loi Travail, les grandes entreprises ne bénéficieront pas seulement d’une distorsion de concurrence. Ce sont elles qui en fixeront l’étendue. Bien organisées, elles pourront déléguer dans les branches leurs représentants les plus loyaux et les plus dévoués pour choisir « l’ordre social », comme dit Laurent Berger, applicable dans la branche. 

Les start-up sont peu capitalisées mais agiles? On fixera des salaires et des normes sociales élevées pour les contraindre à s’adosser capitalistiquement aux plus fortunés. On mettra de l’épaisseur dans l’organisation du temps de travail pour compliquer ou renchérir les livraisons de produits en urgence, les surcharges de travail et les opérations coups de poing. Vous avez besoin d’un sprint pour satisfaire le client? Il vous coûtera cher, car la branche interdira les journées trop longues et l’excès de flexibilité dans l’annualisation du temps de travail. 

Les grandes entreprises coalisées dans les branches, selon des règles opaques, ne manqueront pas d’imagination pour asservir les concurrents issus de la nouvelle économie qui ne comptent que sur leur travail pour réussir. Car, disons-le crûment, les organisations patronales sont des clubs d’entreprises rentières qui ne veulent surtout pas entendre parler des nouveaux entrants sur le marché, et qui ne lésineront sur aucun moyen pour arriver à leurs fins. 

 

Les écoeurants rentiers de la gauche bien pensante

 

Le plus écoeurant dans cette affaire, c’est l’hypocrisie, la tartufferie, les mensonges de ces bien-pensants qui utilisent la solidarité pour justifier un cadeau aux puissants et un poison pour les faibles. Ceux qui trinqueront, dans la loi Travail, ce ne sont certainement pas les grands patrons fortunés, nés dans les quartiers chics qui inspirent une lamentable admiration à tous les donneurs de leçon rassemblés sur les bancs des Frondeurs. Ceux qui trinqueront, ce sont ceux qui travaillent de leurs mains et de leur intelligence pour réussir, ceux qui ont du talent mais pas d’argent, de la volonté mais pas de pedigree. 

Une fois de plus, la gauche déclare la guerre au mérite, et dévoile la haine qu’elle lui porte. 

 

Ajouter aux articles favoris

Conformité CCN en santé

Pour vous aider à gérer la conformité CCN de vos offres "santé standard", profitez de notre outil en marque blanche gratuitement en 2023. L'outil vous permettra de savoir, en un clic, le niveau de votre offre compatible avec la CCN que vous aurez sélectionnée. L'outil en marque blanche est relié à la base de données CCN de Tripalio, juridiquement certifiée et mise à jour en temps réel. Il bénéficie de notre algorithme de comparaison qui détecte les non-conformités du contrat santé standard.
Demandez votre outil
0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer
Lire plus

L’introuvable décret dédié à la santé collective des travailleurs des Esat

C'est aujourd'hui que tous les travailleurs handicapés des établissements ou services d'aide par le travail (Esat) doivent obligatoirement être couverts en santé collective par leur employeur. Ces travailleurs (qui ne sont pas des salariés) sont censés pouvoir être dispensés d'adhérer à cette couverture, mais le décret n'est toujours pas paru. Tous les organismes de complémentaire...
Lire plus

Mutuelle à 1 euro par jour : enfin une réaction (timide) d’un poids lourd du secteur

Cela fera bientôt 15 jours que le Premier ministre Gabriel Attal a lancé l'idée d'une mutuelle à 1 euro par jour. Annoncée comme une révolution qui permettra enfin à toutes les personnes non assurées d'être couvertes à moindre frais, cette mesure mènerait plutôt à une complémentaire santé solidaire (CSS) dégradée qu'à une meilleure couverture de la population visée. Or la place...
Lire plus

Loi Evin : comment traiter les CCN dont la cotisation santé est assise sur le salaire

L'article 4 de la loi Evin du 31 décembre 1989 est un pilier historique de la complémentaire santé collective. Grâce à lui, les anciens salariés d'une entreprise (voir le rappel ci-dessous) peuvent continuer à bénéficier de la même couverture santé que les salariés actifs. Cette couverture est maintenue à certaines conditions. L'une d'elle est centrale : c'est le plafonnement de la cotisation applicable à ces anciens salariés. Or calculer ce plafonnement relève du jeu d'équilibriste lorsque les conventions...
Lire plus

La cotisation santé augmentée de la CCN 51 est agréée

La réévaluation de la cotisation santé de la CCN 51 (IDCC 29) est un immense point de tension entre les partenaires sociaux du secteur. Après plusieurs mois de négociations, un accord a finalement été trouvé pour acter une hausse tarifaire destinée à rééquilibrer le régime. Ce texte vient tout juste d'être ...
Lire plus

J-7 pour la santé collective des travailleurs des Esat

Il ne reste plus que 7 jours avant l'application de l'obligation de couvrir les travailleurs handicapés des établissements ou services d'aide par le travail (Esat) en santé collective. Cette réforme, dont quelques détails restent à définir, impactera grandement les employeurs qui relèvent majoritairement de la CCN 66 (IDCC 413). ...

Frais de santé : l’Education, l’Enseignement Supérieur et les Sports lancent leur appel d’offres

Le ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse, le ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et le ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques viennent de lancer leur appel d'offres concernant la protection sociale complémentaire (PSC) frais de santé de leurs agents et anciens agents. Les informations sont à retirer à l’adresse suivante : https://www.marches-publics.gouv.fr et les candidatures devront être formulées avant...