La très hors sol Myriam El-Khomri a rendu hier, au Premier Ministre, ses préconisations pour la réforme du Code du Travail. Accueillies avec scepticisme par les observateurs, celles-ci n’ont pas surpris en surface: la ministre a confirmé que les entreprises ne pourraient déroger ni au SMIC, ni aux 35 heures, par accord majoritaire. En lisant de plus près le document préparé par le gouvernement, on y trouve toutefois quelques détails qui font froid dans le dos, car la réforme qui s’engage pourrait bien se traduire, au final, par plus de complexité et de lourdeurs qu’en l’état actuel. Voici un condensé des dangereuses erreurs d’analyse qui servent de point de départ à l’analyse du gouvernement.
Pas d’inversion de la hiérarchie des normes
Les orientations de Myriam El-Khomri revendiquent ouvertement le renoncement à l’inversion de la hiérarchie des normes. C’est évidemment une catastrophe pour tous ceux qui attendent avec impatience que l’entreprise dispose des marges de manoeuvre suffisantes dans leur organisation interne. En posant le principe de non-inversion, le gouvernement a renoncé à une véritable réforme dont les entreprises françaises ont pourtant besoin: celle qui compenserait les importantes rigidités existantes (notamment dans le coût socio-fiscal du travail) par une marge d’autonomie dans la politique de ressources humaines.
Parallèlement à cet immobilisme, le gouvernement annonce le principe de l’accord majoritaire dans la négociation collective.
Ces deux fondamentaux signent, en réalité, l’arrêt de mort du dialogue social dérogatoire: les employeurs n’auront aucune raison de s’avancer sur un terrain où toute proposition se heurtera d’un côté à la loi et de l’autre à l’obligation d’obtenir une majorité syndicale.
La réforme confisquée par les lobbyistes et les fonctionnaires
La réforme du code du travail sera confisquée par les fonctionnaires:
“Une mission des Sages sera constituée dès novembre pour définir des principes fondamentaux du droit du travail. Elle sera composée de deux Conseillers d’État, de deux magistrats de la Cour de cassation et de deux universitaires spécialistes du droit du travail. Elle proposera au gouvernement d’ici janvier 2016 les principes fondamentaux qui seront intégrés au projet de loi pour guider les travaux de réécriture du code.Cette réécriture aura lieu en deux ans et sera confiée à la mission élargie à des personnalités qualifiées (juristes, universitaires, praticiens des relations sociales). Le mandat lui sera donné par la loi ; elle rendra des comptes réguliers aux partenaires sociaux et au législateur.”
On peut d’ores et déjà donner les noms des personnalités qualifiées qui apparaîtront dans la commission: Jacques Barthélémy, par exemple, grand défenseur des branches et de leur combinazioni, et quelques autres…
Bref, les conclusions de ces intensives années de travail sont déjà connues: elles reprendront à l’identique les idées développées par les aristocrates bien en cours dont la carrière a commencé avant l’invention de l’ordinateur personnel. On est au moins sûr que les propositions (qui devraient être rendues en 2018!) prépareront efficacement l’économie française à la société pré-numérique!
Les TPE mises sous surveillance dans les branches
Dernière aberration du texte: la fausse information selon laquelle la branche protège les TPE. On lira dans le document du gouvernement ces phrases remarquables:
“Les branches professionnelles doivent occuper une place importante dans la nouvelle architecture qui sera définie. Elles constituent un sas entre la loi et l’entreprise dont la nécessité est évidente tant pour les TPE et les PME que pour assurer son rôle de régulation de la concurrence entre entreprises et de lutte contre le dumping social entre entreprises qui exercent le même type d’activité.”
Chacun aura bien compris que la protection de la TPE doit s’entendre ici comme une protection contre les nouveaux entrants. Dans la pratique, et puisque le gouvernement n’entend instaurer aucune transparence dans les accords de branche, chacun aura bien compris que la réforme qui se prépare accroîtra la domination des grandes entreprises sur l’économie française et accélérera la suffocation des petits acteurs. Les majors auront en effet tout loisir pour imposer les normes de leur choix dans les branches, surtout lorsque celles-ci seront en nombre réduit.